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Thiès: Déficientes mentales victimes d’abus sexuels

Les déficientes mentales grouillent, ventre bedonnant ou bébé à califourchon sur le dos, dans la ville. Elles sont victimes de la perversité d’hommes vicieux qui les engrossent sans jamais réclamer la paternité des enfants.


Rédigé par leral.net le Mardi 1 Juillet 2014 à 23:00 | | 0 commentaire(s)|

Thiès: Déficientes mentales victimes d’abus sexuels
«Durant la nuit, des hommes proposent aux folles des sandwichs pour abuser d’elles»

Les candélabres distillent une lumière feutrée sur la mythique Place de France. Une chaleur torride enveloppe l’espace. La place est fortement animée. Assis sur les bancs publics, de petits groupes d’individus discutent bruyamment sur des questions diverses. Des femmes assises sur des bancs, devant leurs fourneaux, grillent des cacahuètes. A côté d’elles, des hommes, devant leurs charriots, proposent du café Touba ou du café express. Des conducteurs de moto taxis Jakarta guettent les clients. La forte canicule dissuade les gens à venir humer l’air du dehors aux environs de la Promenade des Thiessois ou de la Place de France. Dans ce méli mélo, plus d’une dizaine de déficients mentaux, hommes et femmes, circulent dans les parages en quête de nourriture. La Place de France semble être le point de convergence des déficients mentaux de la ville de Thiès. Nombreux parmi eux dorment à la belle étoile sur les bancs publics.

Amy Diabang, proprement vêtue, se pavane comme une reine dans cet espace. Sur son 1,90 m, elle semble de prime abord jouir de toutes ses facultés mentales. Elle porte des bracelets, une chaîne et des boucles d’oreilles dorées qui contrastent avec la noirceur d’ébène de sa peau. Les bras sur le dos, elle fait souvent le tour de la Place de France. «J’attends Ass (diminutif d’El hadji). Il va bientôt venir me chercher pour m’emmener au camp militaire de Diakhao», dit-elle. Amy Diabang a le nom de ce militaire «Ass» au bout des lèvres. Elle avoue aimer cet homme à la folie. Elle dit avoir quitté son Kaolack natal au quartier Abattoir pour suivre un vieux mari à qui on l’avait donnée en mariage et qu’elle n’aimait pas. Malheureusement, cet homme finira par décéder. «Nous avons eu un garçon. Je ne l’aimais pas, mais ma famille m’a forcée à l’épouser», confie-t-elle.

Dans un boubou brodé noir avec de petites fleurs vertes, Amy dort tous les soirs comme les autres malades mentaux sur les bancs publics de la Place de France. Elle traîne comme un boulet deux grosses piles d’habits. A chaque instant, elle change d’habits et se met sur son 31 pour se faire belle. Amy est bien dotée par Dame Nature et sait mettre en valeur sa féminité. Ainsi, elle ne laisse pas indifférents les hommes, qui tournent autour d’elle comme des mouches. «L’autre jour, c’est un chauffeur de taxi qui est venu me proposer de coucher avec lui. J’ai refusé. Il m’a violentée pour me faire monter dans son taxi. J’ai résisté et il m’a donné une violente gifle. Mes oreilles ont fortement bourdonné. Je suis restée plusieurs minutes sans réaction», explique-t-elle. Vulnérable à souhait, Amy est toujours victime de violences sexuelles.

Un homme, déficient mental, d’une quarantaine d’années, certainement torturé par la faim, passe et repasse devant une vendeuse de cacahuètes. Un autre, moins jeune, tourne sur lui-même à chaque seconde en réalisant des figures géométriques circulaires. Une autre encore, assise sur un banc, grille une clope. Elle dégage une forte odeur de bière. Elle crie souvent dans le néant. Elle dit être originaire de Diourbel. Elle attend, dit-elle, son mari qui vit en Italie. Toutefois, elle a un amant handicapé, qu’un bus a heurté en lui sectionnant la jambe. Ce dernier vient la chercher toutes les nuits. Elle dort aussi sur les bancs publics de la Promenade des Thiessois. Une autre encore a installé son gîte composé de cartons derrière un bosquet de fleurs sur l’esplanade de la Place de France.

Amy Diabang, debout juste à ses côtés, jette un regard furtif sur une moto Djakarta qui vient de déposer un client. «Ass a une moto Djakarta. Il va bientôt venir me chercher pour me conduire au camp militaire. Souvent, il m’emmène chez lui au quartier Médina Fall. Il m’a promis de m’épouser. Il est le père d’un de mes garçons, qui vit avec lui », dit-elle. Amy Diabang est mère de 4 enfants. Ses dents témoignent de ses origines saloum saloum qu’elle clame à tout moment.

Iba Guèye surnommé « Toucher couler », un habitué de la Place de France, l’a tout dernièrement conduite auprès d’un gynécologue. «Un jour, je l’ai trouvée en train de saigner abondamment. Elle était enceinte. Je l’ai emmenée en consultation à la clinique de Dr Ndiaye, qui lui a fait gratuitement les échographies. Malheureusement, Amy a avorté. Je suis allé voir le maire Pape Diop, qui lui a payé ses ordonnances. C’est vraiment regrettable. Les hommes abusent d’elle et l’engrossent à chaque fois. Elle est diminuée, mais quand elle s’habille, elle a l’air normal. Et lorsqu’elle traîne aux alentours de la mairie, les hommes viennent la chercher pour abuser d’elle. Elle est très propre, parce qu’elle se lave toujours dans la station d’essence. Elle s’habille proprement. Ces déficientes mentales ont besoin d’assistance. Malheureusement, les hommes politiques appellent à chaque fois qu’on évoque leur cas dans les émissions interactives pour promettre monts et merveilles, mais ils ne font rien. Leurs paroles ne sont jamais suivies d’effet», regrette Iba Guèye.

Des hommes pervers profitent de la vulnérabilité de ces cibles faciles. Elles finissement par tomber enceintes et accouchent sans assistance. «Durant la nuit, les hommes leur proposent des sandwichs pour abuser d’elles. Elles sont des cibles faciles parce qu’elles ont toujours faim», explique-t-il. Les déficientes mentales fourmillent dans le périmètre communal. Des hommes sans scrupule abusent d’elles et elles tombent généralement en état de grossesse.

La nuit, tous les chats sont gris

Ces femmes, déréglées mentales, sont nombreuses dans la cité du rail. Elles grouillent comme un bataillon de fourmis et chaque jour, apparaissent de nouvelles têtes dans les rues de Thiès. Leurs silhouettes sont devenues des éléments du décor. Elles défilent surtout pendant la nuit dans les espaces publics. Elles sont nombreuses. A ces heures tardives où elles arpentent les rues de la ville pour se mettre un morceau sous la dent, elles deviennent des proies faciles pour les pervers. Elles circulent souvent un enfant de père inconnu sur le dos. Certaines d’entre elles continuent à loger dans la maison familiale, mais d’autres sont dans. Et les bancs publics de la Place de France sont devenus leurs lits de fortune. Autour d’elles, un univers cosmopolite, hommes et femmes, marchands et promeneurs s’activent dans des petits commerces et discutent de l’actualité.

Les hommes ne font pas attention à elles. Ils les ignorent ou peut-être font semblant, étant donné qu’une forte suspicion pèse sur les pères de leurs enfants, habitués de ces lieux où elles se baladent. Autour d’elles, des services publics ou privés, où des vigiles montent la garde, casquette vissée sur la tête, le visage grave. Mais comme le dit l’adage : «La nuit tous les chats sont gris.» Les chantiers inachevés de Thiès servent souvent de lieux d’abattoir de ces êtres vulnérables.

Dans les parages, traîne une jeune fille, Coumba, peut-être la vingtaine, un enfant de moins de 2 ans sur le dos. Elle n’en connaît pas le père. Elle tend la main au passant pour quémander de quoi nourrir son fils. Un tout petit bout de bois de Dieu, le corps frêle, qui pleure à s’arracher les tripes. Le caleçon toujours mouillé, le gamin a presque la peau qui lui colle aux os. Le regard triste et mélancolique, sa génitrice est désemparée, impuissante devant cet enfant qui a faim et qui n’arrête pas de pleurer. Souvent, elle le roue de coups, irritée par les cris. L’enfant est devenu un fardeau trop lourd pour elle. Elle finit par le mettre par terre. L’enfant à peine âgé de deux berges, a du mal à suivre les pas de sa mère. Une vendeuse d’arachides, très émue, lance dans la foulée : «L’homme qui lui a fait cet enfant rendra compte à Dieu. Il n’a aucune pitié. Il sait bien que cette femme est mentalement diminuée et il en a profité pour lui faire un enfant. Certains hommes sont vraiment cruels», vocifère-t-elle.

Coumba tombe enceinte presque chaque année et donne naissance à des enfants de père inconnu.

Une ligature des trompes pour éviter des grossesses

Une autre, Soukeyna, la trentaine, a son gîte au marché Sam. Elle au marché au poisson sur des cartons à même le sol. Elle a le corps ravagé par des plaies béantes qui lui font très mal.

Lors de son dernier accouchement, elle a failli accoucher dans la rue. Elle a aussi des partenaires multiples. Très coquette, elle attire les hommes. Malgré sa démence, cela n’empêche pas les hommes de la convoiter. Elle en est à son quatrième gosse. Les trois n’ont pas survécu, faute de suivi médical. Le dernier né a été placé à la pouponnière de Mbour. Ainsi, lors de son dernier accouchement, une ligature des trompes lui a été faite pour l’empêcher d’attraper d’autres grossesses. Une sage femme de l’hôpital régional Ahmadou Sakhir Ndiéguène constate que « la maternité reçoit beaucoup de déficientes mentales. Un jour, les sapeurs-pompiers ont amené une déficiente mentale qui a failli accoucher dans la rue. C’est le service de l’action sociale de l’hôpital qui les prend en charge. Elles sont pour la plupart abandonnées ou issues de familles diminues», fait-elle remarquer. Les déficientes mentales pullulent dans la cité du rail comme des mouches. Elles sont les cibles faciles des hommes pervers en quête de sensations fortes.



Binta Fatim Dieng, Présidente de l’Association Aide aux malades mentaux démunis (AAMD)


«Les agressions sexuelles contre les déficientes mentales sont un fléau à Thiès »

Votre combat se résume depuis plusieurs années à une assistance aux malades mentaux. Comment expliquez-vous le phénomène des grossesses des déficientes mentales ?

La vie des femmes malades mentales est très critique à Thiès. Elles sont pour la plupart victimes de détresse familiale. Toutefois, il y en a qui sont issues de familles qui ont naturellement les gènes de la démence dans leur lignée. Les malades mentales sont agressées sexuellement par des inconnus. Ces pervers leur donnent à manger. Parfois, ils leur donnent des comprimés pour les droguer afin de pouvoir abuser d’elles, parce que certaines déficientes sont souvent agressives. Je ne m’explique pas les motivations de ces individus. Mais c’est un fléau qui est là, une situation regrettable. Des hommes abusent de ces femmes vulnérables et les mettent enceintes. Je pense qu’une personne consciente doit se garder d’abuser de ces femmes. C’est lâche d’abuser d’une malade mentale parce qu’elle a faim. Les hommes les piègent avec des sandwiches. Il s’agit de femmes très fatiguées issues de familles démunies qui ne peuvent pas les prendre en charge. Il y a le fait aussi qu’elles sont souvent ingérables, parce que le suivi médical est très coûteux. Le traitement coûte cher. Il suffit pour la patiente d’arrêter de prendre ses médicaments pour déprimer. C’est une cible à entretenir, qui a besoin d’un suivi médical intensif. Le gouvernement doit prendre en charge les déficients mentaux, parce que les familles n’ont pas les moyens financiers pour acheter leurs médicaments.

Aujourd’hui, vous êtes en train de monter une pouponnière à Thiès. Où en êtes-vous avec le projet ?

Mon objectif, c’est d’avoir un centre d’accueil et une pouponnière pour accueillir les déficients mentaux, en particulier les bébés qui naissent des agressions sexuelles dont elles sont victimes. Je sillonne depuis plusieurs années les rues de Thiès pour nourrir et soigner les déficients mentaux. J’ai pu constater que les femmes déficientes mentales tombent souvent enceintes. Malheureusement, elles ne peuvent pas entretenir leurs enfants après l’accouchement. Elles finissent par abandonner les bébés, qu’on envoie souvent à la pouponnière de Mbour. J’ai pensé alors monter une pouponnière ici à Thiès car le taux des femmes malades mentales victimes d’abus sexuels y est très élevé. Elles sont dans les rues et sont agressées sexuellement. Notre objectif, c’est de récupérer leurs bébés pour les placer dans la pouponnière pour un meilleur suivi médical et social. Nous avons déjà le site, nous en sommes présentement aux installations. Bientôt, nous allons commencer à accueillir les enfants des femmes déficientes. Avec l’aide de l’Etat, nous atteindrons peut-être nos objectifs. Pour le moment, nous roulons avec nos propres moyens. J’ai vendu mes terrains, mes bijoux, presque tous mes biens, pour assurer la prise en charge des malades mentaux. Il est temps que le gouvernement assiste davantage les malades mentaux. Il met beaucoup de moyens pour les programmes sur le paludisme, la tuberculose et le Sida, entre autres. Il doit en être de même pour les malades mentaux.

L'Obs