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Zoom sur Ama Baldé : La mue d’un «veau» en cage, racontée par les siens

Il était à un pas de réussir le grand chelem de la lutte dans le tournoi de la TNT et de confirmer ainsi qu’il est le digne successeur de son défunt père, Falaye Baldé, véritable monument de la lutte. Hélas, très lié à ses supporters, Ama Baldé n’a pu se contenir quand il a vu l’un d’eux se faire malmener par la police. Déchaîné, tel un ouragan, c’est par un coup de poing ravageur qu’il a mis presque K.O l’agent de police. Un coup de trop. Un coup d’arrêt dans l’ascension d’un jeune champion qui désormais, se morfond dans une cellule à la prison de Rebeuss. L’Obs est allé à la rencontre de son entourage, ses amis, son écurie, le Fan’s club… Histoire de découvrir la face cachée du tombeur de Tapha Tine, le géant du Baol.


Rédigé par leral.net le Dimanche 5 Juillet 2015 à 12:32 | | 0 commentaire(s)|

Zoom sur Ama Baldé : La mue d’un «veau» en cage, racontée par les siens
Les inconditionnels - A Pikine-Ouest, le fief d’Ama Baldé, c’est l’expectative. Parents, supporters, voisins, tous restent accrochés à la décision qui sera rendue aujourd’hui vendredi par le tribunal des flagrants délits de Dakar. Vendredi, certainement le jour le plus long pour Ama, où pour la premiére fois dans sa jeune carrière, ses coups de poing, ses déhanchées ne lui seront d’aucune utilité au cours de son face à face avec le juge. Un combat bien paradoxal pour un lutteur qui ne pourra pas compter sur les encouragements et surtout sur l’appui de ce groupe de jeunes qui se font fièrement appeler «les fous d’Ama». Un groupe qui s’est révélé au grand public un soir de victoire. C’était à Pikine-Ouest. Lorsqu’au milieu de la rue envahie par le sable, non loin du domicile d’Ama Baldé, des jeunes revenus du stade, torse nu, se roulent par terre. Puis, sans crier gare, tous se jettent du sable sur le corps. C’est leur manière à eux de fêter la victoire d’Ama Baldé sur Tapha Guèye n°2 de l’écurie de Fass. Le corps couvert de sable, ils jubilent et hurlent de joie.

Au nombre de vingt-deux, tous sont du même âge qu’Ama Baldé. Ils habitent la «Cité Police», un quartier de Pikine-Ouest où crèche la famille du défunt champion de lutte, Falaye Baldé, le pater d’Ama. Désormais, c’est de cette manière que ce groupe de jeunes, qui ont grandi avec Ama Baldé, fêtent les victoires du fils de Falaye. Une manière bien originale qui désormais les soirs de victoire, fait affluer vers la «Cité Police» une foule monstre qui vient assister au spectacle. Un spectacle fou tel que l’explique Ibrahima Sarr dit Lilou, ami d’enfance d’Ama. «La première fois, cette manière de fêter la victoire d’Ama Baldé a surpris tout le monde. Beaucoup de passants et des habitants du quartier croyaient, à l’époque, qu’on était atteints d’une folie subite. Et depuis, les gens nous ont collé le nom de «Doffou Amayi» (les fous d’Ama ou les inconditionnels d’Ama). Nous sommes tout le temps avec lui et cela, bien avant qu’il ne devienne un célèbre lutteur», confie Lilou, désormais «président des fous d’Ama».

Les études du lutteur, ses relations avec les filles, ses premiers pas dans la lutte. Lilou, dressant le portrait d’Ama, nous apprend que le bonhomme n’a vraiment pas changé. Malgré les titres et la gloire, il est resté le jeune Ama, chahuteur avec ses amis, mais timide, surtout avec les filles. Hé oui ! Adolescent, Ama avait une peur bleue des filles. Les soirées dansantes, comme on adore en organiser entre ados dans la banlieue, n’étaient pas son dada. «Il n’a jamais fréquenté les soirées dansantes, ce n’est pas qu’il ne voulait pas, mais parce que tout simplement il n’avait pas la cote auprès des jeunes filles, du fait de sa timidité. A chaque fois qu’on voulait le présenter à une fille, Ama s’emportait avant de détaler.» La raison ? Peut-être la morve, «il en avait tout le temps et il était plus préoccupé à s’en débarrasser qu’à chercher à plaire aux filles. D’ailleurs, du fait de ses morves et de sa manie à hurler le matin pour réclamer son petit-déjeuner, il a été, un jour, bien chahuté par le frère de notre papa, qui l’a assimilé à un veau. Ama était furieux, mais depuis, le nom de «Seul Bou Ndaw (veau)» lui est resté», révèle Pathé Baldé, frère aîné d’Ama, qui a dû, hélas, quitter précipitamment l’arène du fait de ses fréquents démêlés avec Dame justice. Point noir de la famille. Chez les Baldé, on est habitué aux coups de poing sur les adversaires dans l’arène ou alors, c’est dans la rue qu’on déverse ce trop plein d’énergie.

L’apprentissage - Fort heureusement pour Ama, après de petits comptes réglés dans la rue où il avait «l’habitue de prendre à son compte des bagarres auxquelles ses amis étaient mêlés» (comme ce fut malheureusement le cas lundi dernier à la Place du Souvenir), il a fini par choisir. Très jeune, il a choisi sa voie : ce sera désormais dans les arènes. Son initiation fut rude. Entre un père, Falaye Baldé, vieillissant certes, mais gardant de beaux restes, et un frère (Pathé Baldé) aux coups de poing ravageurs, le bonhomme a très vite été pris en charge. «Je me souviens bien, c’est ici, dans cette salle, qu’il a appris les rudiments de la lutte. Alors qu’il tenait à peine sur ses jambes, Pathé le portait sur ses épaules et l’amenait dans la salle. Plus tard, quand il est devenu adolescent, il a côtoyé de grands lutteurs comme Baboye… et chacun lui a inculqué les rudiments de la lutte», explique Malick Sow, trésorier et directeur technique adjoint de l’écurie «Pikine-Falaye Baldé».

Soumis à de rudes entraînements, Ama Baldé s’impatiente et finit par trouver la salle trop petite. Sûr de son talent, il part ainsi à la conquête des «Mbappats». Là-bas, il vole de succès en succès, à Pikine, avant d’aller défier Modou Lô dans son fief aux Parcelles Assainies. «Le combat a eu lieu non loin du domicile de Modou Lô. Arrivé sur les lieux à 16 heures, Ama a dû attendre jusqu’à 23 heures pour se frotter à Modou Lô», se rappelle encore l’actuel directeur technique adjoint de l’écurie «Pikine Falaye Baldé». Terrassé par la fatigue et par celui qui sera plus tard à la tête de l’écurie «Rock Energie», Ama Baldé tourne alors le dos aux «Mbappats» et intègre le cercle des ténors de la lutte avec frappe à Pikine. «Il tient désormais à maintenir très haut le flambeau légué par son défunt père. Un legs que ses devanciers n’ont pu perpétuer. Ni l’aîné, le défunt Papa Baldé, ni le dur à cuire, Pathé Baldé et encore moins son coach actuel, Jules Baldé, n’ont réussi à perpétuer le palmarès ô combien élogieux de leur père, le défunt Falaye Baldé».

Ama réussira-t-il là où ses aînés ont échoué ? Quel sera l’impact de son séjour en prison sur la suite de sa carrière ? A Pikine, ses supporters croisent les doigts. En effet, aussi bien Jules que Pathé Baldé les frérots d’Ama, ont dû mettre une croix sur leur carrière après des démêlés avec la justice et des «flirts» fréquents avec les milieux interlopes de la banlieue. «Ama n’a pas la même trajectoire que ses deux frères aînés», freine volontiers Lilou, qui rappelle ce fait survenu alors qu’Ama avait à peine douze ans. «C’était lors du dernier combat de son défunt frère, Papa Baldé. Ama était là tout petit et pendant que tout le monde s’affairait autour du lutteur Papa Baldé, Ama s’est emparé d’une bouteille remplie de «safara» et en a bu le contenu d’un trait. Ses yeux sont alors devenus subitement très rouges. Les gens étaient à la fois étonnés et inquiets pour le jeune Ama, y compris son papa. On craignait le pire. Son geste a ému son frère Papa Baldé, qui s’est immédiatement levé et a dit à l’assistance : «Prenez date, ce gosse (Ama), par ce geste, vous avertit : il sera un grand champion», témoigne Ibrahima Sarr dit Lilou. Comme quoi à Pikine, on refuse de croire à l’histoire qui se répète. «Cette arrestation sera vite oubliée. C’est juste un intermède. Ama reviendra plus fort», assène le président des «inconditionnels» du lutteur de la Cité Police de Pikine. Lilou, très détendu, préfère d’ailleurs se marrer en rappelant l’épisode du «bol dof».

Le «bol dof» - Sur le chapitre des souvenirs, on raconte volontiers ce fait survenu à la «Cité Police» et qui continue d’arracher de fous rires aux plus sérieux parmi les habitants de ce quartier. «A l’époque, il était fréquent de trouver dans les maisons un bol de riz ou de couscous réservé aux noctambules. C’était le fameux «bol dof». Une maman nous avait fait venir dans une maison mal éclairée pour nous offrir un bol de couscous. On était un groupe de garçons très agités et très bruyants. La dame nous a demandé de nous laver d’abord les mains avant de nous mettre autour du bol de couscous. Ama, très pressé, a plongé ses mains dans un récipient qui contenait de la sauce, qu’il avait confondue avec de l’eau. Il s’est brûlé les mains et a hurlé de douleur. Un cri très fort qui a réveillé ceux qui étaient déjà au lit dans la maison. Puis, énervé, il a quitté la maison et est rentré chez lui pour aller directement au lit», raconte Lilou. Il faut espérer que Gouy Gui, le prochain adversaire d’Ama Baldé, ne va s’aventurer à venir dans l’arène avec un bol rempli de sauce. Le veau, repu, s’est assagi. Reste maintenant à convaincre le tribunal que désormais, ses coups de poing, il va les garder pour ses adversaires.

L'Observateur