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Mercredi 20 Août 2008

3ème Jet


Chapitre 2

De jeunes retraités de l’avenir se rebellent.

A l’occasion de ses différentes sorties publiques, la jeunesse acclame à tout rompre, l’ancien chef de file de l’opposition. Celle-ci l’identifie comme étant le porte-parole du peuple opprimé et le seul recours disponible pour faire face au régime socialiste. Sa déception est grande. Sa défaite aux élections est impossible pour elle. Cette jeunesse reste convaincue que la victoire lui a été volée. Elle qi se sent déjà retraitée de l’avenir, se révolte, et casse tout, dès l’arrestation de Me Wade



3ème Jet


Un éditorialiste de l’époque peut écrire :

« La sanction de la rue n’a pas tardé avec les chars dans le rues, ces voitures incendiées, ces lumières de circulation et ces cabines téléphoniques détruites, Dakar a offert un visage dévasté, un spectacle inconnu par la majorité des Sénégalais, depuis l’état d’urgence proclamé en 1969, alors que la plupart des jeunes qui ont pris possession de la rue n’étaient encore nés. »1

Pape Ibrahima Diakhaté fait partie de cette bande de jeunes qui pillent Dakar car convaincu que la victoire électorale leur est volée. Ils attendent Abdoulaye Wade et son parti. Au décompte final, la désillusion est grande :

« Personnellement, je n’ai jamais milité dans son parti. Il n’empêche, le discours m’emballait. J’étais subjugué, je croyais à sa parole, le l’ai parfois pris pour un prophète. En lui, j’avais trouvé le prolongement naturel de mon engagement et une garantie pour le triomphe de mes convictions. Il avait pris en charge la révolte intérieure qui me minait. Il était le chantre de la démocratie, mais il était surtout l’homme providence qui me réconcilierait, enfin, avec la politique et la pratique du pouvoir. J’étais certes jeune, j’avais pourtant acquis une certaine maturité dans la contestation et j’avais su cultiver une certaine forme de conscience politique. J’étais déçu des résultats des élections.

Le mal absolu, c’était le Ps et tout ce qui le symbolisait. Abdoulaye Wade nous l’avait indiqué et décrit avec une très grande précision. En 1988, il fallait empêcher à tout prix le Ps de rester au pouvoir. A défaut de réussir à le conquérir par la voie des urnes, le Pds et son leader nous avaient donné comme consigne de semer le désordre et le chaos dans le pays, afin de créer les conditions d’une insurrection populaire qui pouvait forcer les puissances occidentales, en particulier la France, considérées comme les soutiens inconditionnels du régime de Abdou Diouf, à envisager l’organisation d’une transition au sein de laquelle l’opposition qu’il incarnait devrait jouer un rôle prépondérant. Je ne le comprendrai que plus tard. »

On comprend mieux, le sens de l’engagement de cette bande de jeunes, qujand on lit Tidiane Kassé et Abdourahmane Camara : « Quelque part, un ressort s’est brisé, d’autant plus brutalement que tout en eux était généreux, non calculé, pas politique du tout. Ils n’avaient pas fouillé dans la barbe fournie de Marx, ni ne s’étaient miré dans la brillante calvitie de Lénine. Ils ne traçaient pas de plan sur la comète, ni ne voulaient refaire le monde. Ils jetaient simplement un regard sur leur présent et ne se découvraient aucun futur. Au Grand soir, ils préféraient le Grand jour. Assez portés sur les choses de la vie et comprenant que dans sa fuite, le temps ne les attendait pas, ils voulaient tout, ici et maintenant. Il fallait que çà change, et le « sopi » leur offrait une bouée de sauvetage inespérée, enfin, l’occasion d’agréger une somme de frustrations individuelles »1

Le chemin ayant conduit cette jeunesse désespérée, symbolisée par Pape Ibrahima Diakhaté et ses amis, au crime perpétré contre la personne de Me Babacar Sèye, a été un long parcours semé d’actes terroristes qui ont marqué le lendemain des élections générales de février 1988. Pape Ibrahima se souvient de ces péripéties dans leurs moindres détails. Son récit se présente comme un document important éclairant, à plusieurs égards, l’histoire politique récente du Sénégal.

Nous avons cédé à la tentation compréhensible de livrer son témoignage pour mieux éclairer les événements qui conduit au meurtre de Me Sèye. Les actes de violence qui ont ponctué les élections de l’année 88 ont beaucoup marqué la conscience de l’homme. Il a joué avec au moins quatre de ses camarades un rôle essentiel dans ces actes. Il s’en souvient avec, paradoxalement, un brin de nostalgie dans la voix :

i[ « Je disais, tantôt, que je ne suis pas militant. Je précise que je ne l’ai jamais été, même si une bonne partie de ma famille a toujours été active dans le Pds. Ce parti, je l’ai rencontré de façon presque naturelle car son leader représentait à mes yeux un idéal de dirigeant. Pour moi, l’action militante n’était pas forcément liée à l’achat d’une carte de membre d’un parti politique. C’est le 12 février 1988 que je me suis pour la première fois signalé en travaillant pour le compte du Pds et dans le sens des consignes explicites émanant de la direction du parti. La campagne électorale se menait tambours battants. Le duel Ps Pds à Dakar était infernal. Le jeu de menace et d’intimidation avait franchi un nouveau palier en s’engageant dans une spirale de la violence que nous avons inaugurée au cours d’un meeting que le parti socialiste avait organisé dans le quartier de la Sicap, à Liberté 5, précisément. Nous avions reçu pour consigne majeure de semer la terreur dans le pays, en sabotant les rassemblements organisés par les socialistes, sans faire de pertes humaines, conformément aux orientations dégagées dans un plan méticuleux de déstabilisation de l’ensemble du système. Ma haine pour le régime était réelle. J’avais grandi dans un quartier que j’ai vu mourir à petit feu du fait de la négligence de ce régime.

Je suis né dans une famille et j’ai été élevé par un père qui dans les années 60 et 70 avait fait partie d’une petite minorité d’entrepreneurs nationaux s’activant aux côtés des expatriés coloniaux qui n’avaient pas encore fait leurs bagages après l’indépendance du pays. Mon enfance n’a pas été trop perturbée par des difficultés d’existence. Je peux même dire que ma famille était privilégiée car socialement stable. Mon père s’appelait El Hadji Omar Diakhaté. Ceux qui fréquentent la grande mosquée de Dakar peuvent lire l’hommage qui lui est rendu sur les murs, pour avoir participé de façon déterminante, comme entrepreneur, à l’édification de cette maison de Dieu.


Entre mon enfance et mon adolescence les choses avaient changé, à l’image du pays livré à lui-même et en butte aux pires difficultés économiques et sociales que j’imputais naturellement à la politique socialiste. Ce n’était vraiment pas difficile, dans ces conditions de me convaincre et d’embarquer d’autres jeunes de mon âge dans une entreprise de déstabilisation du régime qui conduirait irrémédiablement à sa perte. C’est ce qu’on nous avait fait croire. Siga Sèye Coulibaly et ses partisans étaient les premières victimes de notre engagement dont se servaient, en abusant de notre innocence et de notre naïveté juvéniles, Abdoulaye Wade et ses partisans pour installer le pays, en particulier la capitale Dakar, dans la peur et la violence politique. C’est un « commando » constitué par moi-même, Clédor Sène, Ousmane Sène et d’Ameth Guèye qui a organisé les rixes et occasionné les casses qui avaient permis la dislocation du meeting de Liberté 4.

A l’époque nous rendions compte à Mody Sy, un ancien député libéral qui à l’époque résidait encore pour partie en France. Je n’avais pas de relation directe avec Abdoulaye Wade. C’est Ameth Guèye et Clédor qui m’ont introduit auprès de lui. C’était un jour de samedi, dans l’après-midi. Nous l’avions trouvé dans sa maison du « Point E. » C’était juste deux jours avant les élections de février 1988. Abdoulaye Wade anticipait la victoire socialiste. Il nous faisait comprendre que nous avions pour mission de rendre le pays ingouvernable dès lors que les résultats étaient officiellement proclamés dans le sens où il le prévoyait.

Quand nous avons fait connaissance, il m’a demandé ce que j’avais fait dans ma vie, auparavant. En réalité, rien sinon mon service militaire. Ma qualité d’ancien commando l’intéressait particulièrement car il me voyait en moi un guerrier capable d’exécuter des tâches précises. J’étais, je dois l’avoue, flatter de noter à quel point il s’intéressait à moi. J’ai très vite gagné sa confiance. Assane Diop n’avait pas encore intégré la bande. Il le fera plus tard. Dès la proclamation des résultats des élections, Abdoulaye Wade et plusieurs responsables de l’opposition nationale ont été arrêtés. J’avais été ulcéré par ces mesures d’arrestation.

Immédiatement après l’annonce de ces arrestations Ameth Guèye et Clédor Sène ont pris contact avec Diakhaté pour le convier à une réunion qui devait se tenir dans la nuit à la permanence électorale du Pds. Les vigiles avaient reçu pour consigne de ne laisser personne entrer, sauf ceux qui disposer d’un mot de passe. L’état d’urgence avait été décrété et le couvre feu était de mise partout à Dakar pendant la nuit. Etaient présents à cette réunion, révèle Diakhaté, neuf personnes : Mody Sy, Clédor Sène, Ameth Guèye, King, moi-même, Pa Ndaw :

« Je n’ai jamais connu son no), deux journalistes de l’hebdomadaire «Sopi » et Modou Ka. C’est au cours de cette réunion qu’il a été planifié des actions de sabotage à l’explosif qui devaient exclusivement viser des véhicules et des bâtiments administratifs. Il était totalement exclu de porter atteinte à des vies humaines. Je me rappelle les mots de Mody Sy : [il est exclu de tuer]. » ]i

L’équipe opérationnelle au sein de laquelle Pape Ibrahima jouait un rôle assez important du fait de sa connaissance des techniques de mise à feu des explosifs, n’avait aucune intention de donner la mort. La première action a été tentée sur un véhicule de la gendarmerie nationale stationnée à Liberté 4 non loin de la maison de Siga Sèye Coulibaly. En réalité l’explosion ne s’est pas déroulée comme prévue. Le détonateur avait été mal amorcé. Le sac qui a été placé sous le véhicule et bourré d’explosif a été récupéré chez Clédor Sène, soutient Diakhaté Il s’agissait d’un sac d’écolier d’un des jeunes frères de Clédor. Le signal d’une série d’actions violentes était ainsi donné. L’équipe de choc constituée de pape Ibrahima Diakhaté, de Cléodr Sène, d’Ameth Guèye et Ousmane Sène dit « Tenace » était très active. De la cellule de sa prison Abdoulaye Wade transmettait, à en croire Diakhaté et Ameth Guèye des ordres et des instructions précises sur les lieux des attentats planifiés. Son épouse était la principale liaison entre lui Mody Sy et les fauteurs de troubles.

En vérité, elle parlait à Mody Sy qui rendait régulièrement compte. L’équipe de Diakhaté n’était pas, cependant, la seule désignée aux tâches de casse et de sabotage. Diakhaté se souvient d’une opération avortée menée au centre ville de Dakar par Pape Samba Mboup, Cheikh Tidiane Touré et Ousmane Sène. Ils étaient tous volontaires pour exécuter la mission. Diakhaté ne leur faisait pas confiance et il en avait, d’ailleurs, parler à ses amis Quand, finalement, ils ont échoué il n’avait pas été surpris par cet échec. Il était important pour eux de faire savoir au chef des opérations qui coroupiss&ait en prison leur détermination leur détermination à prendre aux efforts de guerre. Nous étions comme dans une sorte de secte, dit Pape Ibrahima Diakhaté. « Nous devions prouver notre attachement au maître et notre engagement dans la lutte. J’imagine aussi que certains militants qui prenaient les risques avec nous étaient animés par les mêmes sentiments. »

L’année 1988 a été riche en événements graves qui ont failli mettre en péril les institutions de la république voire la cohésion de la nation. Pape Ibrahima Diakhaté se souvient parfois de certains actes avec la peur au ventre, avoue-t-il. Abdoulaye Wade a été élargi de prison en mai 1988. Il délivre un message en présence des journalistes, le 13 mai quelques jours après sa sortie de prison. Il a été jugé le 25 avril 1988. La Cour de Sûreté de l’époque l’avait reconnu coupable d’avoir organisé des attroupements sans autorisation et condamné de six mois avec sursis. Il déclara à la suite de sa condamnation avec sursis :

« (…) Non il n’y a pas eu de tractations entre moi et le gouvernement. Seulement, quelques bonnes volontés sont intervenues. Ce verdict est ridicule. Je ne suis nullement préoccupé par cette peine »

En vérité, il y en avait eu, en dépit de toutes ses déclarations. Sa sortie de prison avait été négociée. Dans le marché conclu, nous a révélé un ancien ministre socialiste, l’Etat devait sauver la face en maintenant en prison Boubacar Sall mais aussi pour contraindre le Pds à faire cesser la violence gratuite dont il était le principal instigateur dans la capitale. Abdoulaye Wade dira d’ailleurs à ce sujet que le Ps avait en pris en otage Boubacar Sall. Pourtant, en le déclarant il savait parfaitement que le marché conclu prévoyait son maintien en prison pour quelques semaines.

Les engagements souscrits de part et d’autre prévoyaient un apaisement des tensions et l’amorce de pourparlers entre l’opposition et le pouvoir Le signal de la décrispation souhaitée sera donné par le discours à la nation que devait prononcer Abdou Diouf le 9 mai 1988, le jour de la korité. Ce qui, au vu de la tradition, était exceptionnelle.

La spirale de la violence semble s’estomper. Pape Ibrahima Diakhaté révèle à ce propos :

i[ « Quelques jours avant sa sortie de prison Me Wade nous a fait parvenir un message clair et explicite qui nous a été transmis par Mody Sy : [les gars vous pouvez maintenant décélérer. Je vais sortir de prison. Nous avons trouvé un accord avec le pouvoir. Suspendez vos activités en attendant mon prochain signal. Arrêtez tout, j’aviserai, il faut que je donne une chance à Diouf qui s’est engagé à accéder à mes exigences].» ]i

Les faits constatés par la suite confirment. C’est l’accalmie totale à Dakar pendant au moins cinq mois. Tout s’est emballé au courant du mois de mai. Déjà dans son speech du 9 mai, Abdou Diouf avait annoncé la levée de l’état d’urgence et le vote d’une loi d’amnistie. Celle-ci interviendra le samedi 28 mai 1988. Deux jours auparavant, Abdou Diouf avait rencontré au palais de la république son adversaire, Abdoulaye Wade, en présence de MM Jean Collin, ancien ministre d’Etat, tout- puissant Secrétaire général de la Présidence de la république et de Ousmane Ngom député élu, numéro deux du Parti démocratique sénégalais.

A la sortie d’audience Abdoulaye Wade fait lire un communiqué, par son lieutenant Ousmane Ngom, en présence d’une vingtaine de journalistes qui font le pied de grue dans le grand hall du palais :

« Après la volonté exprimée de part et d’autre d’une concertation nous nous sommes retrouvés aujourd’hui et nous avons passé en revue tous les problèmes qui se posent au Sénégal sans en occulter aucun et auxquels nous pensons que des solutions pourraient être trouvées. A la condition d’une concertation démocratique permettant d’aboutir à un consensus. Nous avons réfléchi sur une approche et nous avons proposé un cadre de concertation sous la forme d’une table ronde nationale à laquelle sera conviée toute l’opposition. Cette table ronde travaillerait sous forme de commission correspondant aux différents secteurs identifiés : politique, jeunesse, éducation et emploi, économique et social. Ces commissions devraient pouvoir siéger dans un délai de 15 jours et terminer leurs travaux dans les plus brefs délais. »3

L’euphorie est de mise dans le pays, même si quelques éditorialistes de l’époque appellent à la prudence. Notre confrère, feu Ibrahima Fall écrit dans la même édition du journal :

« L’audience a commencé un peu après 17 heures. Les caméras et les photographes avaient été auparavant admis dans le bureau présidentiel pour immortaliser l’événement attendu avec d’immenses espoirs par tout un peuple. Tous les sénégalais sont conscients de l’enjeu et ne peuvent que se féliciter de cette rencontre (..). Il faudra cependant plus qu’une audience, pour donner suite aux espoirs suscités… Sachons raison garder. »

Il n’empêche ! Abdoulaye Wade est lui-même euphorique. Il se montre même très loquace face aux journalistes qui l’interrogent à sa sortie d’audience. En fait, la déclaration lue par Ousmane Ngom ne sera pour lui qu’un simple propos liminaire. Il développe devant les scribes le sens de la rencontre qu’il venait d’avoir avec le Chef de l’Etat :

« Quatre commissions ont été créées. Elles auront à examiner toutes les questions d’intérêt national sous quinzaine qu’il s’agisse : du Politique, de la Jeunesse et de l’Education, de l’Economie et du Social. Tout sera fait dans un esprit de consensus. Une nouvelle constitution, une Charte nationale organisant la Démocratie et ses conditions d’exercice, les réformes de l’Economie et de l’Education et la politique de l’emploi seront à l’ordre du jour. Un référendum suivi de nouvelles élections pourrait être proposé dans le cadre de cette concertation nationale à laquelle l’opposition est conviée »1

Compte tenu de la nouvelle situation née des rencontres du 26 mai et du 6 juin 1988, entre Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, le pays peut respirer et reprendre des espoirs. Cette concertation représente à la fois, comme l’écrit le journaliste, feu Alain Agboton, dans l’édition de Sud Hebdo du 6 juillet 1988, un gage de la bonne volonté des hommes politiques d’un pays, une ouverture réelle et un pari optimiste sur l’avenir.

La concertation nationale à laquelle ont appelé les deux hommes peut, enfin, se tenir sous la forme d’une table ronde qui s’ouvre le 4 juillet 1988, après deux reports de sa séance inaugurale. Un pari utile et judicieux qui permettra de faire baisser la tension et de dissiper le climat de violence qui s’était emparé du pays et en particulier de Dakar, depuis l’arrestation le 29 février 1988 de Me Abdoulaye Wade et de ses principaux lieutenants.

Toutefois, dès l’entame des travaux de la table ronde, les questions de procédure et de méthodes qui cachent en fait mal les divergences de fond politiques, quant à la finalité que chaque partie entend donner à la réunion, ne manqueront pas de se poser. A mesure que les séances se déroulent et après plus de dix jours de suspension, Abdoulaye Wade manifeste son exaspération et se montre impatient face à ce qu’il qualifie de tergiversations et de louvoiements de la part des socialistes. Ainsi, le 18 août 1988, soit un plus d’un mois après l’ouverture des discussions, il s’adresse à l’opinion et fait monter les enchères:

« Le Bureau politique du Pds qui s’est réuni le lundi 13 août a donné mandat à son Secrétaire général pour négocier avec Abdou Diouf son départ dans des conditions honorables.»

Le ton est donné. La confrontation entre opposition et pouvoir peut reprendre. L’esprit des rencontres du 26 mai et du 6 juin 1988 s’éloigne. Abdoulaye Wade accuse, d’une part, Abdou Diouf de se laisser conduire par son ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence et d’autre part accuse ce dernier de s’employer à torpiller les accords conclus quelques mois plus tôt entre lui et le président de la république. Par ailleurs, le pouvoir lui réplique et accuse, à son tour, Wade de verser dans une surenchère et une démagogie qui lui ôtent tout crédit. Un ancien allié de Wade se souvient :

« Wade nous a fait venir chez lui, il nous a tenu, ce jour-là, un discours radical : il faut en finir avec Diouf. Je pense que nous ne pouvons plus nous contenter de discours. La violence, me semble-t-il, est inévitable. D’ailleurs, eux, ne comprennent que ce langage. Il faut rendre le pays ingouvernable, pour obliger Diouf à respecter ses engagements pris avec nous. Nous aurions dû être plus vigilants. Tout cela n’était qu’un bluff… Nous en avons assez au Ps.»

A partir de cet instant, Abdoulaye Wade et son parti s’emploieront à rendre conformes les actes posés sur le terrain politique, avec la nouvelle volonté de confrontation affichée. Une situation quasi insurrectionnelle est en permanence maintenue dans la capitale. Les jouranlistes de l’hebdomadaire satirique « Le Cafard Libéré », peuvent alors, avec une pointe d’ironie certaine et une satire fine lui trouver le sobriquet de « Président de la Rue Publique.».

Un titre choisi à la mesure de la fréquence des actes de valandisme, de casse des cabines téléphones publiques, de saccage des bus de la société d’Etat de transport public (Sotrac), de la destruction des feux de circulation, le tout orchestré sous la houlette du Pds. Des bandes de jeunes nervis chauffés à blanc et entretenus par ses chefs nationaux et leurs lieutenants sément la terreur dans la capitale, à chaque fois que leur parviennent les mots d’ordre allant dans ce sens.

Un homme politique de l’opposition actuelle, explique que :

« La promptitude avec laquelle Abdoulaye Wade a pensé, dès son installation au pouvoir, créer une nouvelle société de transport pubic, pour remplacer la défunte Sotrac, est le signe d’un profond malaise, résultant d’une torture morale et psychogique née du souvenir de ce passé au cours duquel il ordonnait, si souvent et pour un rien, à ses troupes de détruire les biens publics, en particulier les cars de transport. »

Il est vrai que les fanatiques du « Sopi » (changement), le slogan fétiche de Me Wade avaient fini, pendant presque toute la moitié de la décennie 80, par prendre possession de la rue, au grand dam de la république et des honnêtes citoyens. Parmi ces fanatiques chauffés à blanc, Clédor Sène, Ousmane Sène «Tenace », Ameth Guèye et Pape Ibrahima Diakhaté jouaient un rôle décisif dans toutes ces casses. Diakhaté se souvient :

« C’est Ablaye Faye, actuel président du Conseil régional de Dakar et deuxième vice-président à l’Assemblée nationale du Sénégal qui s’occupait de l’intendance quotidienne de notre bande. Ousmane Sène dit « Tenasse », un cousin germain de Clédor Sène et moi-même étions très proches de lui. C’est Ablaye Faye lui-même qui nous avait informé de la nouvelle décision de Wade de retourner aux casses et à la violence, pour réoccuper la rue, compte tenu du fait que le Ps ne voulait pas céder. Nous étions enthousiastes à l’idée de nous remettre à l’œuvre, en réalité, nous n’avions jamais totalement abandonné même au plus fort des négociations. C’est Mody Sy qui nous aidait à définir mes méthodes de travail et à trouver les moyens auprès de Wade et des autres. A l’époque, il occupait une place centrale dans le dispositif de guerre. C’est d’ailleurs lui qui nous avait suggéré d’utiliser désormais des moyens plus offensifs et plus destructeurs. C’est ainsi qu’il nous avait trouvé un carton de plus de vingt kilos d’explosif plus dévastateur, auprès de deux pêcheurs ouakamois. C’est cette matière que ces pêcheurs utilisent en mer pour les besoins de la pêche à l’explosif.»
Senegal Leral






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