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De la transhumance animale à la transhumance politique, une même logique au Sénégal: celle du ventre - Pr Ibrahima Sow

Le Professeur Ibrahima Sow a été le premier au Sénégal à avoir organisé, dans le cadre du Laboratoire de l'imaginaire, une table ronde sur « La transhumance au Sénégal : causes, conséquences et remèdes », au Centre Lebret, le mercredi 30 avril 2014.


Rédigé par leral.net le Mercredi 22 Avril 2015 à 21:37 | | 4 commentaire(s)|

De la transhumance animale à la transhumance politique, une même logique au Sénégal: celle du ventre - Pr Ibrahima Sow
La modératrice en était le Docteur Aïda Sylla, avec comme participants le Docteur Oumar Dioume, le chroniqueur politique Mody Niang et la Directrice du Cesti, Rokhaya Eugénie Aw.

Sa communication était centrée sur un constat et sur une solution possible. Le constat est que c'est le système politique tel qu'il repose sur la logique électoraliste de massification du parti du président de la République qui aspire à un second mandat qui favorise et qui engendre la transhumance, et la solution qui en découle, logiquement, est qu'il faut changer de système. C'est tout ce qu'il fallait démonter. C'est en somme cette rupture essentielle préconisée par le chercheur qui serait davantage en accord avec l'expression du Président Macky Sall : « La patrie avant le parti » que l'apologie de la transhumance qui milite pour « le parti avant la patrie ».

Dans son avant dernier ouvrage : Appel à la révolution politique et civique au Sénégal. Un seul mandat et zéro parti politique pour le président de la République, paru en 2014, le professeur Ibrahima Sow traite en particulier de cette question de la page 77 à la page 79 dans la partie intitulée : « Fin des transhumances ».
Nous reproduisons le texte, qui nous paraît coller à l'actualité récente du débat politique.

« La vie politique sénégalaise est minée par une honteuse pratique, si honteuse que le dictionnaire Le Petit Larousse illustré, édition 2012, en a fait une spécificité sénégalaise, comme nous le signale le brillant chroniqueur politique Mody Niang :

« Cette plaie béante et puante a la vie dure chez nous [...]. Elle devient finalement un phénomène qui nous est propre, au point que le substantif "transhumant" à la sénégalaise figure dans le Petit Larousse illustré (2012) où on lit : " adjectif, qui effectue une transhumance ; nom, Sénégal, personne qui quitte son parti d'origine pour adhérer à un autre, généralement au pouvoir." Ce triste phénomène devient donc pour nous une spécificité, une sorte de marque de fabrique déposée. »

Quand on fustige le manque d'éthique des politiciens, quand la population marque de plus en plus son indifférence, son désintérêt voire un certain mépris pour la politique politicienne, quand être politicien est devenu au Sénégal synonyme de « menteur », d' « hypocrite », de « traître », « de sans vergogne », c'est surtout eu égard à cette scandaleuse pratique de reniement de leur parti d'hier et de leur conviction de toujours pour rejoindre, avec tambour et trompette, le parti du président de la République, justifiant ainsi leur acte par le soutien qu'ils prétendent pouvoir lui
apporter, prétendument pour l'intérêt supérieur de la nation.

Cette pratique est devenue de nos jours, depuis l'accession au pouvoir d'un certain Maître Abdoulaye Wade, la chose la plus commune dans l'espace politique sénégalais, la réalité si honteusement commune, encouragée du reste en cela par le président chef de parti lui-même, que cela ne semble même plus faire scandale, du moins pour la plupart des politiciens.

Même si, selon l'ancien directeur du CESTI, Birahim Moussa Guèye, la transhumance ne date pas d'aujourd'hui, c'est devenu tout de même au Sénégal une pratique récurrente, si courante et tellement banalisée de changer de camp, de retourner sa veste, de quitter le navire. C'est quasiment une mode de voir des politiciens migrer sans vergogne d'un parti à un autre chaque fois qu'advient une alternance politique, qui est l'occasion de bouleversements et de changements importants dans les partis.

Barça ou barsak, ce n'est pas seulement le cri de désespoir de tous ces jeunes qui périssent dans les pirogues pour rallier un monde qu'ils pensent meilleur que celui qu'ils quittent, mais c'est aussi celui de tous ces transhumants qui renient et fustigent sans état d'âme et sans aucune vergogne toutes leurs anciennes convictions et leurs amis, pour rallier le parti politique de leur adversaire et concurrent d'hier devenu aujourd'hui président de la République.
La venue d'un nouveau président a pour conséquences importantes une inévitable reconfiguration de la carte politique, mais surtout une redistribution de postes de responsabilité induisant des mutations aux positions stratégiques, aussi bien au Sénégal qu'à l'étranger, dans les ambassades par exemple où seront casées certaines personnalités.

Le président de la République, maître du jeu politique, apparaît, après Dieu, comme celui qui noue et qui dénoue les destins des hommes politiques. C'est pourquoi il jouit auprès d'eux d'une immense considération qui fait de lui le centre de maintes sollicitations provenant de personnalités diverses lui assurant leur soutien en échange de postes ou autres...

Supposons que le pouvoir du président soit limité à un seul mandat de 6 ans, sans que ne pèse sur ses épaules une contrainte pour lui d'une réélection, la transhumance des politiciens ne serait-elle pas alors grandement réduite de même que la prolifération des groupuscules de partis politiques ? En effet, les transhumants et les leaders de ces minuscules partis politiques n'existent que pour « racoler », que pour se « vendre » au plus offrant qui n'est nul autre que le grand manitou qui régit la cité ? Aucun idéal ne les motive et aucune considération éthique et morale ne les anime, seul comptent pour ces politiciens qui mangent à plus d'un râtelier et qui ne sont jamais « repus », la farouche volonté et l'inébranlable détermination de jouir des privilèges qu'offrent au Sénégal la station et la fonction de ministre, de président de conseil d'administration, de directeur d'agence ou de société, etc.

Et si le Président n'était plus intéressé, ne deviendrait-il pas inutile de lui proposer ses services et de s'offrir à lui, la demande n'existant plus ? Y'aurait-il autant de transhumants ? L'application de notre proposition, qui constituerait pour le Sénégal une révolution politique et civique majeure, influencerait grandement le destin des micro comme celui des macropartis politiques. »