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Dimanche 30 Avril 2017

Le poids des mots : Qui est la plume d'Emmanuel Macron?


A 27 ans, ce discret conseiller d’Emmanuel Macron qui planche sur ses discours, sort son premier roman.



Emmanuel Macron s’est entouré de conseillers qui lui ressemblent. Jeunes, amoureux des mots et sur-diplômés. Quentin Lafay, 27 ans, ne fait pas exception. Après ses études à Sciences Po, et deux masters -un de politique publique et développement (jamais achevé) à l’Ecole d’économie de Paris et un second en sociologie à l’EHESS-, il rejoint en juillet 2012, deux mois après la victoire de François Hollande, le cabinet de Marisol Touraine, la ministre de la Santé. Il planche sur ses discours pendant deux ans, avant qu’Ismaël Emelien, le bras droit d’Emmanuel Macron, lui propose de rejoindre Bercy. Les textes qu’il rédige sont alors «très techniques», décrit-il. Il y est question d’investissement, d’épargne, etc. Quand Macron démissionne, il se met aussitôt au service du futur candidat d’En Marche! «J’aborde des sujets que je connais moins, et ce sont des récits plus que des sommes de mesures, explique-t-il. Je fais davantage de recherches historiques et philosophiques.»
L’écriture des discours pour Emmanuel Macron est, dit-il, «un exercice éminemment collectif». Pour les plus importants, le travail commence par un brief du candidat une dizaine de jours avant le meeting. Autour de la table prennent aussi place Ismaël Emelien, ses responsables de la communication Sylvain Fort et Sibeth Ndiaye, ses conseillers politiques Benjamin Griveaux et Stéphane Séjourné et Jean Pisani-Ferry, chargé du projet depuis qu’il a quitté la tête de France Stratégie. Chacun fournit ensuite des éléments, rassemblés dans une synthèse par Emelien et Lafay. «Notre rôle consiste à l’assister sur le fond et les références qu’il emploiera, à lui donner le matériau dont il fera son miel», explique la jeune plume. Les allers-retours s’enchaînent ensuite. Nombreux, très nombreux. Il n’ose dire trop nombreux.

"Le candidat n’aime pas les mots trop familiers"

Emmanuel Macron n’aime pas les citations. Ou plutôt : «Il aime les références mais ne veut pas qu’on lui propose des citations hors-sol glanées sur Internet», dixit Lafay. Le candidat choisit lui-même les extraits de romans ou d’œuvres qu’il maîtrise et réinterprète. René Char, dont il est fan, est ainsi souvent cité, comme lors de son grand meeting à Lyon en février où il reprend un long passage des «Feuillets d’Hypnos» dans lequel le résistant décrit comment des villageois qu’il ne connaît pas lui sauvent la vie. Et Macron de citer les mots du poète : «Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre. J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice.»
Le candidat, qui reprend aussi Chesterton ou Bernanos, conseille parfois des lectures à son équipe. Pour ce discours de Lyon, il leur a ainsi demandé de se replonger dans le discours de Bayeux du général De Gaulle «pour regarder le ton et retrouver ce niveau de gravité», souligne Lafay. Reprenant les mots de la trinité républicaine «liberté, égalité, fraternité», dont il a fait un des piliers de sa campagne, le conseiller est allé rechercher qui les avait prononcés, à droite comme à gauche. «On essaie d’aller piocher partout, de dépasser les clivages par une approche syncrétique de la politique», conclut-il, lui qui n’a jamais été militant au PS ni eu sa carte du parti mais qui s’est toujours senti de gauche. Comme son père, kinésithérapeute et sa mère, orthophoniste. Au fil des mois, il s’est constitué une base de données, dans laquelle il va piocher. On y trouve «Le dictionnaire historique de la liberté», sous la direction de Georges Bischoff et Nicolas Bourguignat (éd Nouveau Monde) ou les discours de Jaurès et Gambetta. Il a aussi dans sa bibliothèque «Les grands textes de la gauche» et «Les grands textes de la droite», des recueils de discours choisis et présentés par Grégoire Franconie et Jacques Julliard (éd. Flammarion). Il utilise aussi le dictionnaire en ligne du CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales), réalisé par l’université de Nancy, qui compile tous les dictionnaires depuis 300 ans.

Emmanuel Macron est «attaché à une langue bien employée», selon Quentin Lafay qui précise : «Quand on emploie des mots trop familiers, il nous le fait remarquer.» Passionné par la langue française, l’ex-ministre de l’Economie aime «les phrases courtes, pas trop lyriques, sans fioritures, avec le moins d’adverbes possible». Il veille à utiliser des mots simples, y compris quand il s’agit de faire passer des idées complexes. Sont aussi bannis les mots trop difficiles à articuler. Lafay reconnaît que son candidat met peu d’humour ou de traits d'esprit dans ses discours, ce qui ne l'empêche pas d'en avoir par ailleurs.

"Macron n’aime pas le mot "réforme" mais l’utilise quand même souvent"

Les mots qu’il a en horreur? «Réforme, répond Quentin Lafay. C’est un mot totalement dévoyé et qui a été sur-utilisé. Et puis la réforme c’est souvent de l’adaptation à la marge, ça renvoie à quelque chose d’assez techno, à l’idée qu’il va falloir faire des efforts.» Emmanuel Macron préfère parler de «transformation» : «La transformation est plus ambitieuse que la réforme, on a l’impression qu’on va emmener les gens…» Pourtant, d’après notre outil «Le poids des mots», depuis le 30 janvier, le candidat d’En Marche! est celui qui utilise le plus l’expression «réforme(s)» : 60 fois au singulier et 52 fois au pluriel (soit 112 fois), contre 64 fois pour François Fillon, 23 pour Benoît Hamon, 16 fois pour Marine Le Pen et 4 fois seulement pour Jean-Luc Mélenchon.
D’après sa plume, Macron a aussi horreur de l’expression «vivre-ensemble», «qui est galvaudé». De fait, nous n’en avons recensé aucune occurrence chez lui, contrairement aux autres candidats. Côté figures de style et contrairement à François Hollande, le candidat n’aime pas l’anaphore. «Les grosses ficelles rhétoriques, ce n’est pas son truc», précise Quentin Lafay. Macron est attaché «à l’articulation du raisonnement», il réclame «du liant entre chaque partie» et donne beaucoup d’exemples. L’exercice rend modeste. «Il réécrit beaucoup, il y a assez peu de mots que j’écris qu’il prononce», admet sa jeune plume qui coordonne aussi les experts. De manière étonnante, le benjamin des candidats à la présidentielle travaille encore à la main. Ses conseillers lui impriment des premiers jets qu’il rend annotés.
Et lui, la plume, écrit-il pour lui-même? Il paraît presque étonné qu’on lui pose la question. Et c’est ainsi que l’on apprend qu’il est l’auteur d’un roman, «La place forte» (éd. Gallimard). Qui sort quelques semaines avant le premier tour de la présidentielle et met en scène un jeune ministre à Bercy. «Ce texte n’est en aucun cas un roman à clef. Tout lecteur qui tenterait d’opérer quelque rapprochement avec la réalité s’égarerait inévitablement», avertit l’auteur dans sa préface. Il est vrai que son héros, Béranger Thérice, ne reste que six jours au pouvoir et quitte son ministère à pied, en catimini. Tout le contraire de son patron, Emmanuel Macron…
A quoi rêve cette plume qui a pris son envol? Il l’ignore. Mais certifie que bientôt il ne sera «plus dans ce milieu». Et de conclure : «En cinq ans, j’ai rencontré des gens géniaux, eu la chance d’accéder à des mondes auxquels je n’aurais jamais imaginé avoir accès. J’ai vu ce que j’avais à voir.» Pour commencer, il a décidé que quel que soit le résultat, il prendrait six mois de vacances après le mois de mai.

Paris Match