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« Studio Thioffy » de Podor : Mamadou Moussa Ly, au nom du père

Rédigé par leral.net le Dimanche 13 Août 2023 à 22:32 | | 0 commentaire(s)|

Plus de sept ans après le décès de son fondateur, Oumar Ly, le Studio Thioffy résiste toujours au temps. Fils du défunt portraitiste, Mamadou Moussa Ly tente, aujourd’hui, de préserver un lourd héritage, dans un secteur en constante évolution. À Podor, le jeune photographe commence à se faire un nom.  Par Mamadou THIAM (Correspondant) PODOR […]

Plus de sept ans après le décès de son fondateur, Oumar Ly, le Studio Thioffy résiste toujours au temps. Fils du défunt portraitiste, Mamadou Moussa Ly tente, aujourd’hui, de préserver un lourd héritage, dans un secteur en constante évolution. À Podor, le jeune photographe commence à se faire un nom.

 Par Mamadou THIAM (Correspondant)

PODOR – Un temps agréable enveloppe la ville de Podor qui se réveille petit à petit, ce lundi, coïncidant avec le début de la semaine.  La pluie enregistrée la veille, dans la nuit, a laissé des traces. L’eau a fini d’occuper les rues, rendant ainsi difficile la circulation. Les conducteurs de motos « Jakarta » cherchent désespérément de clients, alors que le marché commence à accueillir ses occupants. Suivant à la lettre les instructions d’un boutiquier, nous débouchons sur une intersection, après avoir contourné le siège de la Gendarmerie. Juste en face, une enseigne pas comme les autres, nous informe que c’est la fin de nos recherches. Nous sommes au « Studio Thioffy », situé dans le quartier du même nom, en plein milieu du marché de Podor. Il est presque 11 heures et les lieux grouillent déjà de monde. Installé derrière sa machine, un appareil photo autour du cou, un jeune homme nous souhaite la bienvenue. La trentaine, Mamadou Moussa Ly n’est autre que le fils de feu Oumar Ly, célèbre portraitiste sénégalais qui a fait connaître Podor grâce à ses clichés. Depuis le décès du papa en février 2016, Mamadou gère le studio.

« Après les funérailles de mon père, je suis retourné en Mauritanie, mais pour une courte durée. Un jour, j’ai reçu un coup de fil de la famille. J’ai aussitôt compris qu’il s’agissait de la gestion du studio. Un de mes grands frères m’a demandé de prendre la relève, puisque j’ai travaillé avec le vieux et que je maîtrisais le milieu. J’ai voulu décliner, car j’avais déjà un boulot. La famille a insisté et j’ai finalement décidé de me jeter à l’eau », avance-t-il. C’est le début d’une nouvelle aventure pour ce garçon qui avait déjà trouvé sa voie, loin de la photographie.

Installé en Mauritanie, située juste de l’autre côté du fleuve Sénégal, le bonhomme travaillait comme décorateur de bâtiment. Et c’est un jour de l’année 2010 qu’il va toucher, pour la première fois, un appareil photo.  « Cette année-là, mon père devait se rendre au festival mondial des arts nègres à Dakar. Je devais rentrer à Nouakchott, mais il m’a demandé d’attendre son retour. Il m’a fait entrer dans le studio et m’a montré certains aspects. Le jour où il est parti à Dakar, j’ai eu cinq clients. Ils voulaient tous se faire photographier pour l’obtention de la carte d’identité. Après le travail, je me suis rendu au laboratoire pour développer. Le résultat était satisfaisant et les clients étaient contents », se rappelle-t-il.

De la décoration a la photographie

De retour de Dakar, Oumar Ly était si content du travail de son fils qu’il a décidé de l’initier à la photographie, en noire et blanc dans un premier temps. « On a passé beaucoup de temps dans son laboratoire. Par la suite, il m’a demandé si j’avais assimilé les cours. Ce n’était pas facile, mais avec sa détermination et sa pédagogie, j’ai fini par y arriver » renseigne celui qui était à l’époque un simple dilettante. Malgré le désir du maître de lancer son fils dans le bain, ce dernier garde encore en tête sa passion de décorateur. C’est ainsi que Mamadou Moussa regagne la Mauritanie, avec la bénédiction de son maître de père. Il revient à Podor en 2015, avant de repartir à nouveau. « À mon retour, j’avais repris le travail avec mon père, avant de retourner en Mauritanie. Au bout de deux ou trois mois, il est décédé. C’est en ce moment que j’ai compris qu’il avait senti son départ et qu’il fallait me préparer pour la relève », dira-t-il.

Le maître parti, il fallait honorer sa mémoire en perpétuant ses œuvres. Mamadou Moussa Ly qui avait maîtrisé les rudiments décida alors de renforcer ses capacités. Une manière pour lui de s’adapter au contexte actuel. « J’ai bénéficié d’une formation à Saint-Louis, axée sur les techniques de la photographie. Une opportunité qui m’a donné la possibilité de découvrir davantage le métier. Un ami blanc m’a acheté un ordinateur et j’ai commencé à travailler avec. Je ne connaissais pas cela avant, mais aujourd’hui, cela fait partie de mes outils de travail », renseigne-t-il.

La trentaine, Mamadou Moussa Ly trace lentement, mais sûrement son chemin. Même si les époques ne sont plus les mêmes, il tente tant bien que mal de s’adapter. « Ce n’est pas facile, mais ça va dans l’ensemble. Je rends grâce à Dieu qui nous permet de nous en sortir quand même. La pratique du métier est différente de nos jours. Il y a une différence dans la manière de travailler. À l’époque, les gens faisaient la queue pour se faire photographier. Ceux qui n’avaient pas de l’argent pour payer pouvaient donner du mil, du maïs ou des sacs de foin », rappelle-t-il.

Mais cette époque est révolue. Que ça soit du point de vue d’outils de travail ou de revenus, les choses semblent changer. Les appareils ne sont plus les mêmes et la technologie est devenue un allié de taille pour les pratiquants. Pour tirer une photo, le client devra débourser 500 Fcfa. Et pour ce qui est de la photo minute, il faudra payer 2.000 Fcfa.

À Podor, Mamadou Moussa Ly commence à se faire un nom. S’il n’est pas dans son studio, il est à la recherche de sujets captivants pour meubler son quotidien. Ainsi, il arrive au jeune photographe de sortir même de son Podor natal, toujours son appareil en bandoulière.  « La forêt, c’est l’un de mes terrains favoris. J’ai un disque dur uniquement réservé à ces genres de photos. J’aime la nature et il m’arrive de me rendre dans la forêt ou dans des endroits particuliers pour des prises de vue. De son vivant, mon papa ne jetait jamais de clichés. Ce qui fait que nous avons toujours ses photos, bien conservées », confia-t-il.

Les outils du maître précieusement conservés

Rien n’a presque changé au studio Thioffy ! Malgré le décès du maître Oumar Ly en 2016, l’endroit est resté intact. Son fils qui a pris le relais ne veut rien toucher. Juste à l’entrée, il y a un banc et deux chaises réservés aux clients.  Celui qui y mettrait les pieds serait fasciné par une vitrine grillagée où sont épinglées de vieilles photos en noir et blanc. Sur les murs également, on peut distinguer de vieux posters et des photos de personnes anonymes datant d’une autre époque.

Juste quelques mètres à droite, se trouve la salle de  »shooting ». Il s’agit d’une chambre avec des décorations frappantes et des objets qui accompagnaient le maître dans ses activités.  On y trouve des pagnes, des boubous traditionnels, des nattes. Le décor à l’intérieur est à la fois fascinant et insolite. Il y a, par exemple, cette toile peinte d’un Boeing 747, de La Mecque ou d’une plage bordée de cocotiers. ‘’C’était son monde à lui et j’ai préféré conserver ses affaires. Ces objets ont une grande valeur pour moi. C’est toute une vie », dit Mamadou Moussa Ly. En effet, en 40 ans d’activité, son défunt papa a réalisé plus de 5 000 clichés. Un patrimoine non négligeable, dans un monde en mutation. Et pour rien au monde, il ne braderait cet héritage. « Quelqu’un m’a demandé de lui vendre tout ce qui se trouve dans le studio. Il m’avait proposé presque 10 millions, mais j’ai décliné l’offre. Ce qui se trouve ici entre mes mains n’a pas de prix. La valeur symbolique compte plus que l’argent et je tiens à ces archives », rassure-t-il.

À la droite de la salle de ‘’shooting’’, il y a une pièce dont l’accès n’est autorisé qu’à quelques personnes. Il s’agit de la chambre noire, l’endroit préféré du défunt Oumar Ly. « C’est ici qu’il faisait le travail, après ses prises de vue. Tout se faisait à la main. J’ai des frissons quand j’entre dans cette pièce » renseigne le jeune photographe podorois.  Une vieille machine, des récipients, des bidons contenant du liquide, bref, l’arsenal complet d’un photographe d’une autre époque. À gauche, des registres bien soignés sont exposés. « J’ai entamé depuis quelques années un travail de classification. C’est une manière de mettre de l’ordre, mais aussi de faciliter la tâche aux visiteurs. Ils pourront ainsi facilement retrouver les clichés et autres photos, dont ils ont besoin », a annoncé Ly fils.

Les précieux conseils du papa 

Marié et père d’une petite fille, Mamadou Moussa Ly a la lourde responsabilité de perpétuer l’œuvre de son défunt papa. Ce qui n’est pas une mince affaire. Et il en est bien conscient. « Être présenté comme le fils de feu Oumar Ly est lourd à porter. Mon père était unique en son genre.  Il a contribué à l’évolution de la photographie et a été un peu partout dans le monde. Nous, nous essayons de préserver ses œuvres. J’ai tout appris de mon papa. C’est le premier à m’avoir donné un appareil photo. Il m’avait un jour fait entrer dans la chambre noire pour me voir à l’œuvre. Il m’a enseigné quelque chose que je ne vais jamais oublier. Chaque fois qu’il m’arrive d’être devant un sujet, je pense à sa fameuse phrase. « Mon fils, il faut toujours avoir le soleil à dos », avait-il l’habitude de me répéter. Au moment de faire la prise, il me demandait toujours de bien vérifier la mise au point. Ces mots me reviennent en tête, chaque fois que je suis en action », se souvient-il.

Seul atelier encore fonctionnel à Podor, « Studio Thioffy » survit grâce à la détermination de Mamadou Moussa Ly à préserver l’héritage du maître.  Il peut aussi compter sur les amis de son papa ou encore sur la générosité des touristes qui visitent la ville. « Les gens de chez nous ne savent pas apprécier nos richesses. Ici à Podor, quelqu’un comme Éric Sylvestre est un exemple. C’est un ami à mon papa et ce dernier avait organisé une exposition dans son auberge. D’ailleurs, c’est de là-bas que les touristes remontent jusqu’à notre studio », précise Mamadou.

Le « Studio Thioffy » est devenu une destination incontournable, surtout pour les touristes qui mettent les pieds à Podor. Certains qui ont connu ou entendu parler de feu Oumar Ly, tiennent absolument à en savoir davantage. « Pour eux, il est inconcevable de venir à Podor sans passer par le studio de Oumar Ly. Je peux dire que tout ça, c’est son travail », reconnait le maître des lieux. Les descentes des touristes au studio sont toujours rythmées et ils ne repartent jamais les mains vides. « Ils sont fascinés par les photos et me demandent souvent de les vendre. Il m’arrive de le faire, mais il y a des photos que je ne peux pas vendre. En repartant, certains m’offrent du matériel, notamment des disques pour le stockage de nos clichés », a-t-il affirmé.

Face à la révolution technologique avec des outils de plus en plus poussés, il devient une nécessité de s’adapter pour exister.  Pour Mamadou Ly, la photographie à l’ancienne a encore de beaux jours devant lui.

Portraitiste au talent confirmé, feu Oumar Ly avait, durant ses 40 ans d’activités, sillonné le monde avec succès. Partout où il était passé, il avait mis en valeur Podor, sa ville natale, à travers des clichés aussi riches et variés. Très attaché à sa ville, il avait tenu une exposition montrant ainsi les différentes facettes de cette localité à cheval entre le Sénégal et la Mauritanie. Plus de sept ans après le décès du maître, son fils envisage de marcher sur ses pas. Mamadou Moussa Ly est sur le projet de sa vie. Sa priorité, c’est de faire une exposition, comme l’avait fait son papa. Il entend le faire à Podor. Il y travaille.

 



Source : https://lesoleil.sn/studio-thioffy-de-podor-mamado...