AU FMI, DES RÈGLES À GÉOMÉTRIE VARIABLE

(SenePlus) - Dans une enquête fouillée publiée en mars 2022 par Renaud Lambert dans Le Monde diplomatique, les mécanismes opaques du Fonds monétaire international (FMI) sont disséqués avec précision. Cette investigation prend une résonance particulière alors que le Sénégal s'apprête à recevoir une mission du FMI dans le cadre de l'examen de sa situation de dette cachée, révélée après l'arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye.

Comme le rappelle Lambert dans son reportage, "l'article IV des statuts du fonds prévoit qu'une fois par an, tous les pays membres reçoivent une mission pour 'discuter' de leur situation économique". Un exercice qui, selon l'enquête, est "en réalité balisé : il s'agit de gourmander les pays trop peu enclins à appliquer les recettes néolibérales et d'apporter l'onction du fonds à ceux qui s'emploient à les mettre en œuvre en dépit des résistances populaires".

Cette mécanique bien huilée trouve un écho contemporain avec la France, puisque le FMI a rendu public le 14 juillet 2025 son rapport concernant l'économie française. Sans surprise, l'institution invite Paris à "renforcer les finances publiques" en "rationalisant" - comprendre "amputer" - les dépenses courantes, notamment celles de la Sécurité sociale, note l'introduction de l'article de Lambert.

L'une des révélations les plus saisissantes de l'enquête de 2022 concerne la nature même de ces négociations. Lambert rappelle que "bien souvent, les autorités profitent du secret de leurs négociations avec le FMI pour lui demander d'exiger les mesures qu'elles n'osent pas endosser".

Un membre du fonds, cité de manière anonyme dans l'enquête, confirme cette pratique : "C'est si souvent le cas que certains de mes collègues s'amusent à dire que nous sommes payés pour jouer le rôle du grand méchant loup." Cette confession éclaire d'un jour nouveau les relations entre le FMI et les gouvernements qui sollicitent son aide.

Une institution aux multiples visages

L'enquête de Lambert révèle également les privilèges dont jouissent les 2 400 salariés de l'institution. La rémunération des économistes fluctue entre 100 000 et 200 000 dollars par an, celle des chefs de département entre 320 000 et 400 000 dollars. Cette élite internationale, "formée dans les meilleures écoles", parle "une même langue" faite de jargon économique et de néologismes maison.

Mais derrière cette façade technocratique se cache une réalité plus trouble. Paulo Nogueira Batista Jr., ancien directeur exécutif représentant le Brésil entre 2007 et 2015, témoigne dans l'enquête : "Le FMI est une institution éminemment technique. Ses prêts répondent à des procédures codifiées, qui excluent a priori l'arbitraire. Mais, lorsque les priorités politiques de l'un des pays puissants se manifestent, le Fonds piétine ses propres règles."

L'enquête illustre cette flexibilité politique à travers le cas de l'Ukraine. En 2013, le FMI avait exigé "une dose si sévère d'austérité" que le président Viktor Ianoukovitch, proche de Moscou, en avait suspendu la mise en œuvre. Le Fonds avait alors interrompu ses versements. Mais après les événements de Maïdan en 2014 et l'arrivée d'un dirigeant pro-occidental, "soudain, le FMI se montre compréhensif et valide un prêt de 18 milliards de dollars à Kiev", note Lambert.

Le Sénégal dans la ligne de mire

L'enquête révèle également les méthodes de travail du FMI, notamment lors de l'assistance technique fournie aux pays en développement. Un employé témoigne anonymement : "Dans le cadre de mes missions d'assistance en Afrique, il m'est arrivé d'avoir à donner des cours d'anglais à des hauts fonctionnaires. Parfois, on débarque dans certains pays et on s'aperçoit qu'ils font leur comptabilité nationale sur Excel." Et de conclure avec un sourire gêné : "On se retrouve à écrire leurs rapports annuels pour eux."

Dans ce contexte, la mission du FMI attendue au Sénégal ce mois-ci pour examiner la situation de la dette cachée révélée par les nouvelles autorités prend une dimension particulière. Le pays, qui a découvert l'ampleur réelle de son endettement après l'audit post-électoral, pourrait se retrouver dans la position délicate de devoir négocier avec une institution dont les règles, comme le démontre l'enquête de Lambert en 2022, peuvent considérablement varier selon les circonstances politiques.