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Affaire des gazelles Oryx: Pourquoi autant d’acharnement ? (Par Mamadou Diallo)

Rédigé par leral.net le Samedi 11 Juillet 2020 à 05:01 | | 0 commentaire(s)|

Depuis quelques jours, l’affaire du transfert des gazelles Oryx de la réserve naturelle de Ranérou au site privé de Bambilor, défraie la chronique.


Certaines voix se sont élevées pour qualifier de « crime environnemental » un tel transfert ; d’autres s’aventurent à parler de « transfert frauduleux » ou encore le concept de « conflit d’intérêts » du fait de l’implication de M. Abdou karim Sall, Ministre de l’Environnement et du Développement Durable.

L’objet de cette contribution est d’apporter des éléments de réponse afin de démontrer qu’il n’y a aucune irrégularité dans ce processus de transfert, encore moins de violation de la loi. La seule constance dans cette affaire, c’est le souci de préserver cette espèce en voie de disparition.

Alors, il urge d’apporter des précisions afin de recadrer le débat et éclairer l’opinion publique sur ce supposé « projet d’extermination» de ces espèces qui, en réalité, ne repose sur aucun fondement sérieux et les différentes interpellations ne résistent pas à l’analyse et à la logique.

Avant de d’apporter des éléments de réponse, il convient tout d’abord de s’attarder un peu sur l’espèce en tant que telle et son environnement. Ce qui nous permettra de mieux élucider nos propos.

Zoom sur les gazelles Oryx et leur environnement

Oryx gazelle ou gemsbok (Oryx gazella) est une espèce de bovidé souvent considérée comme une antilope, bien qu’elle ne soit pas de la famille Antilopinae, mais de la famille Hippotraginae.

Le nom oryx gazelle vient de la beauté de son pelage ; l’animal a de grands traits noirs sur ses flancs, ses pattes et sa tête claire, celle-ci paraissant maquillée. Il est très commun par rapport aux autres espèces d’oryx comme l’oryx a gazelle, éteint à l’état sauvage.

Ruminant, herbivore, il se nourrit de diverses graminées, des melons tsama, des tubercules et des racines, car cela qui lui permet de compléter son apport en eau.

Pour se défendre, il abaisse ses cornes parallèlement au sol puis bondit en avant avec une grande précision. Il a la réputation d’être la seule antilope capable de tuer les lions et des léopards, en effet, plusieurs de ces félins ont été retrouvés morts après s’être fait encorner par les cornes de l’oryx.

Cadre juridique de la conservation et protection de la biodiversité au Sénégal

Conscient du rôle et de l’importance de la diversité biologique à tous les niveaux et des nombreuses menaces pesant sur ses éléments constitutifs, le Sénégal a signé puis ratifié en 1994 la Convention sur la Diversité Biologique (CDB).

A travers ces actes, le pays s’est engagé solennellement, à contribuer à l’atteinte des objectifs que se fixe la Convention. Pour ce faire, le Sénégal s’est doté en 1998 d’une Stratégie Nationale et d’un Plan National d’Actions pour la Conservation de la Biodiversité (SPNAB), articulés autour de quatre objectifs stratégiques majeurs: (i) la conservation de la biodiversité dans les sites de haute densité, (ii) l’intégration de la conservation de la biodiversité dans les programmes et activités de production, (iii) le partage équitable des rôles, responsabilités et bénéfices dans la gestion de la biodiversité et (iv) l’information et la sensibilisation de tous les acteurs sur l’importance de la biodiversité et la nécessité de sa conservation.

L’évaluation régulière de la mise en œuvre de cette stratégie et de son plan d’actions à travers cinq rapports nationaux, a permis jusque-là, d’apprécier les nombreux résultats obtenus en matière de conservation des ressources biologiques. Il s’agit ici d’un cadre formel qui lui permet d’appuyer, de formaliser et d’harmoniser sa stratégie et sa politique de conservation et de gestion des ressources naturelles.

Cependant, il faut rappeler que la protection de la biodiversité n’a pas commencé avec la ratification de la convention. C’est un long processus entamé depuis la période coloniale, qui a permis au Sénégal la conservation d’une partie de la biodiversité au niveau d’aires protégées comprenant 6 parcs nationaux, 6 réserves d’avifaunes, 3 réserves de biosphères, 3 sites du Patrimoine Mondial, 213 forêts classées. Ces aires protégées sont entretenues à travers une tradition de conservation institutionnalisée depuis plusieurs décennies.

Au regard de la Convention sur la Biodiversité de 1992, on perçoit aisément l’importance de la biodiversité qui, à travers les multiples services qu’elle procure, permet à l’humanité de bénéficier de ressources importantes notamment sur les plans nutritionnel, économique, sanitaire, environnemental, éducatif, esthétique, récréatif, social et culturel.

Quant au cadre législatif et réglementaire, les dispositions qui s’appliquent à la biodiversité au Sénégal sont réparties principalement entre les divers codes régissant la gestion des ressources naturelles (Code forestier, Code de la chasse et de la protection de la faune, Code de la pêche maritime, loi portant réglementation de la pêche dans les eaux continentales, Code de l’environnement, Code général des Collectivités locales…), certaines lois (loi d’orientation agro-sylvo-pastorale, loi sur la biosécurité, loi d’orientation de la filière des biocarburants, loi sur la bioéthique…) et les décrets d’application qui les accompagnent.

La procédure de transfert des gazelles Oryx ne souffre d’aucune irrégularité et elle est en phase avec la nouvelle politique de l’Etat en matière de conservation de la biodiversité.

Au Sénégal, la conservation de la biodiversité est dévolue au ministère de l’Environnement et du Développement durable à travers ses différentes directions et les points focaux nationaux mis sur pied à cet effet (Convention sur la diversité biologique, Protocole de Carthagène sur la biosécurité, Protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des bénéfices). Ainsi, c’est ce ministère qui définit les orientations à travers sa lettre de politique sectorielle.

Cependant, la Direction des Parcs Nationaux (DPN) joue un rôle fondamental, dans la mesure où elle permet d’assurer la mise en œuvre de la politique nationale en matière de conservation de la faune sauvage, conformément aux orientations mondiales définies à travers les conventions internationales relatives à la conservation de la biodiversité.

Par ailleurs, le Sénégal, dans le cadre de sa politique de gestion durable de la biodiversité, a mis en œuvre un ensemble de mesures et d’instruments visant la conservation durable de la biodiversité terrestre et aquatique.

De ce point de vue, toujours dans le souci de préserver et développer le potentiel de la faune du Sénégal, les autorités étatiques ont, depuis quelques années, entamé le processus de protection de ces espèces en voie de disparition, à l’instar de la gazelle oryx, en faisant appel aux initiatives privées nationales et aux collectivités territoriales. Cela s’est fait dans le cadre de partenariats, en vue de la conservation à travers la création de réserves de faune sauvage.

Ces initiatives privées ont répondu largement aux attentes et ont beaucoup contribué au processus de repeuplement des espèces en voie de disparition telles que la gazelle oryx dont il est question.

Ainsi, conventionnellement, il existe principalement deux méthodes en vue de conserver la biodiversité : il s’agit d’une part de la conservation in situ et d’autre part de la conservation ex situ.

Dans la conservation in situ, elle se déroule, en dehors des aires protégées, il existe un ensemble de méthodes traditionnelles de conservation de la biodiversité à travers les forêts et bois sacrés, les cimetières ou lieux de cultes, les parcs agro forestiers, etc.

Quant à la conservation ex situ, elle permet de mener plusieurs activités de conservation à travers les banques de gènes, les plantations conservatoires, les jardins botaniques, les arboreta, les herbiers, les parcs zoologiques et forestiers et les réserves de faune privées, etc.

Pour ce qui est des espèces animales, le totémisme a permis la conservation de certaines espèces par des familles ou des clans.

Alors, comme la loi permet à tout citoyen qui remplit les conditions d’accueil et de préservation, de disposer de ces espèces, en vue de leur repeuplement, pourquoi vouloir exclure certaines personnes, du seul fait de la fonction qu’elles occupent, encore qu’aucune incompatibilité liée à cette fonction n’ait été relevée. Alors, où se situe le problème ?

Par ailleurs, l’expression qui revient souvent, est celle de « propriété privée » alors que ces espèces sont dans le patrimoine et appartiennent à l’Etat du Sénégal, à titre exclusif. Cela est d’autant plus vrai qu’il n’y a aucune transaction encore moins une donation.

Pour rappel, ces espèces qui font l’objet de protection soit intégrale soit partielle, ne peuvent faire l’objet de transaction commerciale internationale ou d’abattage.

En outre, les procédés techniques tels que le transfert ou la capture sont gérés par la Direction des Parcs Nationaux, à titre exclusif.

Alors, dans ces conditions, où se situe l’irrégularité ou la fraude, encore faudrait-il le prouver.

A notre avis, l’heure n’est pas à l’amalgame et certains termes doivent être manipulés avec attention et délicatesse. Le seul reproche que l’on peut faire à Monsieur Abdou Karim Sall, est celui d’avoir régulièrement saisi les services compétents, comme tout citoyen, en vue d’obtenir l’autorisation de transférer ces espèces, dans son site où les conditions d’accueil et d’hébergement sont favorables à leur épanouissement et à leur reproduction.

Donc, il ne faudrait pas être plus royaliste que le roi, en voulant distinguer là où la loi ne distingue pas !





Mamadou DIALLO, Juriste spécialisé en Droits Humains
Doctorant à l’UCAD