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Aminata Sophie Dièye : le génie méconnu


Rédigé par leral.net le Dimanche 17 Février 2019 à 18:13 | | 0 commentaire(s)|

 
Écrire sur une si grande perte requiert une soupape. C’est pourquoi à l’heure où j’écris ces lignes, je laisse mon âme tanguer entre les doigts de fée de Toumani Diabaté et la voix si apaisante de Baba Maal. Parler de Aminata Sophie Dieye, est un difficile projet d’écriture. La mort d’une femme exceptionnelle que le Miséricordieux a rappelée dans sa dernière demeure au courant du mois de Février 2016. Je suis incapable de parler de cette grande dame au cœur immense et à la plume acerbe sans une musique doucereuse aux effluves apaisantes. D’où les aires de mélodie pour apaiser cette perte douloureuse. Je ne vais pas décrire sa mort comme un drame, ce serait dithyrambique, car Aminata nous a toujours parlé de la mort et de ses morts. Elle a toujours pensé à la mort à travers ses questionnements philosophiques et spirituels. Elle a toujours été fidèle à ses morts aussi. Elle parlait avec beaucoup de passion de ses morts. De là-haut, ses beaux yeux de biche étaient sans aucun doute embués de joie quand elle a revu ces morts. Parce que retrouver sa mère, sa grande amie, la cinéaste Khady Sylla, et son mari fut sans doute un grand moment de retrouvailles pour elle. Le Sénégal a perdu une femme multidimensionnelle car elle était une somme de talents :  Romancière. Scénariste. Comédienne. Dramaturge. Écrivaine. Journaliste.

Durant trente jours, j’ai (re)exploré ce que la native de Thiès a laisséecomme œuvre - écrite et cinématographique. Mon souci, c’était de ne point trahir ses pensées d’où ma fouille rigoureuse. Cet article n’a pas pour objectif de faire la biographie de la regrettée romancière.  La journaliste Sabine Cessou (rfi) s’en est déjà chargée magnifiquement. J’ai décidé de faire un hommage pour célèbreson génie, faire découvrir son intelligence immaculée mais aussi pour m’absoudre d’une négligence, quémander un pardon en courbant l’échine devant notre regrettée. En effet, la chroniqueuse, en me faisant une dédicace de son recueil par l’intermédiaire d’une connaissance, elle avait généreusement mentionné son numéro de téléphone. Mais je ne l’ai jamais appelée. J’avais différé, à tort, mon appel. Cette rencontre manquée fera partie de l’un de mes plus grands regrets de ma vie. 

J’ai fini mes recherches pour les besoins de l’article, le 24 janvier 2019. Cette date n’est pas anodine car elle correspond aussi au jour où la Thiéssoise cessera à jamais de nous ravir avec ses chroniques hebdomadaires dans les pages du quotidien sénégalais "L’Observateur". En effet, la dernière chronique de Ndeye Takhawalou, a paru un 24 janvier 2016. Et quelques jours après, dans la nuit du 17 au 18 février 2016, la faucheuse nous l’arracha à jamais laissant nos cœurs en charpie. Je l’ai profondément aimée sans jamais la connaitre. Ses écrits étaient le symbole de mon amitié spirituel avec elle. 

Écrire un article sur Aminata Sophie Dieye m’a permis de découvrir davantage l’immensité de son talent. Une femme multidimensionnelle. Une femme passionnante. Une femme inspirante. Son nom devrait être écrit en lettres d’or surla stèle de nos génies. Une école, une rue, un statut, bref, quelque chose qui portera son nom pour marquer son éternité. Sa plume si immense et si savante mériterait cet hommage posthume. Une myriade de pseudonymes était cachée sous le nom de Aminata Sophie Dieye. Quand elle enfilait le boubou de la chroniqueuse, elle était « Ndeye Takhawalou ». Mais moi, je prononce mais aussi j’écris difficilement ce surnom. D’ailleurs, comme elle le disait elle-même : « Aucune femme ne rêve d’être Ndeye Takhawalou. Et Ndeye Takhawalou rêve d’être toutes les femmes qui se réveillent auprès d’un homme qui leur sourit comme Eve s’est réveillée dans l’Eden à côté d’un Adam bienveillant et aimant.». Son errance était érudite et utile. D’ailleurs, je préfère Aminata Sophie Dieye à Ndeye Takhawalou. C’est vrai que je vois en elle une « Ndeye », une Mère des sans voix, car sa plume était sensible à toute souffrance humaine. Néanmoins, je préfère Aminata Sophie Dieye. Le prénom « Aminata » me rappelle la douceur de son regard. Quant à « Sophie », il symbolise l’humanisme de sa plume et la profondeur de ses pensées. Son nom de famille, « Dieye », matérialise sa grande sincérité. Une franchise, qui d’ailleurs est bien connue dans son ethnie d’origine, Lébou. En romancière, elle portait le nom de « Aminata Zaaria ». Cette dernière est en effet une excellente sociologue sensible à la liberté des femmes.  Il y’avait aussi le pseudonyme « Miss Town » qui rappelle ses contributions au journal Tract dans les années 2000. 

J’ai passé trente jours à voyager à travers le grand et riche univers de Aminata Sophie Dieye. C’est si difficile de dépeindre un génie car les génies ont cette grande aisance de naviguer dans plusieurs univers en nous revenant avec des analyses pointues et profondes. Ses chroniques étaient un miroir. Pourtant, depuis son décès, je lis quotidiennement ses écrits. Mais chaque lecture est un nouveau voyage. Une aventure avec des joyaux nouveaux, des leçons précieuses pour dompter l’altérité de nos vies, des pépites de vérité. Tout ce cocktail était mêlé à une grande culture générale et une pensée dénuée de tout jugement. La plume de Aminata était sincère et spontanée. Ses récits relataient la réalité de toutes les couches sociales. Elle décrivait  brillamment la face hideuse des milieux huppés comme la misère quotidienne des chaumières malfamées. Aminata représentait la Vie. Dans son roman, La nuit est tombée sur Dakar (2004), la romancière raconte la destinée de deux jeunes filles qui rêvaient d’une vie sociale meilleure. Dior Touré et sa copine étaient à la quête de l’opulence, d’un avenir reluisant. Elles voulaient quitter Lëndëm à tout prix.  Alain Mabanckou dit  de ce roman que : « c’est une littérature qui ôte ses sous-vêtements en plein jour pour nous donner le vrai visage de la réalité». L’écrivaine était sensible à la condition féminine. Elle connaissait tous les versants de la misère dont souffraient les femmes. Elle nous parlait des tapineuses de la Médina avec tant d’humanisme dans ses chroniques. En 2007, son deuxième roman intitulé « La putain amoureuse d’un pèlerin juif » était annoncé mais cette œuvre est malheureusement restée inédite.  

La journaliste était aussi une femme qui tenait à sa liberté. Dans ses écrits, ce vent de liberté bruissait dans ces monologues. J’ai pu m’apercevoir, à travers mes lectures sans jamais la fréquenter, une personne qui avait beaucoup d’amour à offrir et de sollicitude. La sincérité parfumait ses pensées et ses écrits. 

« La liberté est le concept que j’ai épousé et j’assume les déconvenues qui lui sont intrinsèques (..) je suis une femme non-conformiste, pour ne pas dire antisociale, une sorte de brebis égarée qui doit organiser sa vie en se protégeant au maximum des prédateurs ».   

Ses lecteurs peuvent témoigner son rapport  à Dieu, elle nous en parlait très souvent. Cette relation particulière, elle le devait à celui qu’elle appelait son père spirituel : Djalâl ad-Dîn Rûmî. Elle disait lire l’un des plus grands maîtres soufi « pour saisir la subtilité de nos destinées où l’éphémère commande tout ».  Les pensées de Sophie avaient des marques philosophiques très profondes. Une philosophie mâtinée par une spiritualité très profonde. Des vécus aux destins ubuesques caractérisaient ses chroniques. Seulement, elle ne se contentait pas d’écrire, la journaliste décrivait la Vie. En étant à la quête d’une spiritualité, elle arrivait à comprendre étonnement ses déconvenues mais surtout à l’accepter car pour elle, « l’épreuve est une manifestation de La Clémence divine, car lorsqu’on l’accepte, elle est porteuse de lumière». Celle qui sera veuve à 33 ans seulement, comme elle l’écrivait très souvent, avait une très grande sagesse en elle, une profondeur d’esprit. La vie n’a pas été tendre avec Aminata. Mais elle savait rire la vie. 
« C’est par le rire que s’exprime notre humanité. Sans cette faculté de tenir à distance nos drames et de les trouver drôles, beaucoup d’entre nous sombreraient dans un précipice monumental et ne s’en sortiraient jamais (..) parce qu’il faut savoir dompter l’éphémère avec le rire et c’est tout un art ».
 Sa plume sait dépeindre des quotidiens béats mais elle ne laissait pas en rade les affres de la vie. Je me rappelle ma grande tristesse quand je lisais les chroniques où elle parlait des derniers jours passés avec son mari en France avant que cette maladie si infâme qu’on appelle le cancer emporta son bien aimé Eric Mandelin – nom d’emprunt donné à son mari dans ses chroniques. Aussi, elle nous parle de l’autre face de la ville Lumière en mettant à nu le mythe parisien avec des récits effarants au ton maussade mais des narrations ô combien fidèles à la réalité de l’Ailleurs. Mais elle savait aussi diluer le glauque avec une pointe d’humour. Aminata a su transformer les épreuves de la vie en une force incroyable. Une force d’ailleurs qui sera à l’origine de cette sagesse et de cette profonde spiritualité qui transparait dans ses écrits.

« Je m’intéresse aussi à la mystique car elle permet une interprétation plus tranchante de ce qui nous entoure et de survie dans mon cas. » 

Elle comprenait ses blessures, cette grande thérapie qu’est l’écriture était une voie salvatrice pour elle. Le résumé si exact, à bien des égards, qu’elle l'a fait de la relation entre un Père et une Fille m’émeut, me foudroie après chaque lecture. J’en sors tout simplement abasourdie. 

« Lorsqu’on a un problème avec son père, on l’a avec tous les hommes parce que la figure paternelle est le premier symbole masculin de notre vie. (..) un père est un stabilisateur par son amour il nous apporte l’équilibre nécessaire pour marcher en confiance dans la vie et se sentir aimé. Lorsque cela ne s’est pas fait, surtout chez une fille, ça donne une Ndeye Takhawalou qui ne sait pas à quel socle s’appuyer pour rester debout. »

 
Aminata dans Lili et le Baobab
« Le théâtre c’est une transposition directe de ma manière de voir le monde ». 

Sophie était aussi un génie du sixième art et du septième art. Zaaria a écrit une pièce dénommée « consulat Zénéral », mise en scène par son défunt mari Lucio Mad et jouée sur diverses scènes de France en 2005. En tant qu’actrice, elle a joué dans deux films. Dans le court métrage, Petite vendeuse de soleil (1999) de Djibril Diop Mambety, apparait une jeune actrice à la voix suave avec son doucereux accent mêléd’une délicatesse dans son gestuel à l’image d’une Saint Louisienne. Il y a aussi le film, Lili et le baobab (2006), où la romancière joue parfaitement le rôle d’une jeune villageoise. Taciturne dans son rôle, l’innocence de son visage et son air candide montre le talent de l’actrice sénégalaise. Étant l’un des meilleurs téléfilms sénégalais, le téléfilm Idoles (2016) s’est démarquée des autres productions grâce àl’originalité constatée tant sur le choix des personnages que des thèmes. Cependant, la particularité de cette série télévisée se comprend aisément puisque AminataSophie Dieye était l’une des scénaristes. Elle a laissé ses empreintes dans cette série. Les monologues de Chérif Maal – un personnage de la série- teintés d’humour et de créativité sont l’œuvre de Aminata. Le téléfilm Idoles est un excellent miroir de la réalité sénégalaise, qui d’ailleurs reflète bien la plume de Ndeye Takhawalou. Il faut une éternité pour clore les chapitres de la vie de cette grande dame. Aujourd’hui, marque la troisième année de son décès.  Partie très tôt, mais heureusement que ses œuvres servent de postérité face à cette grande et douloureuse perte.

Puisse la lumière de ton maître spirituel, Rumi, éclairer ta dernière demeure.
Repose en paix Aminata Sophie Dieye ! 

Crédit photo de couverture : Evend Prod
Je suis Rabia, une grande passionnée de l'écriture, de la lecture, du slam et du voyage. Une amoureuse de la réflexion.Une orpheline des mots aussi.https://rabiaetsesmonologues.blogspot.com