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Cadavres chinois, passeports sénégalais: Le deal daterait depuis 1996

L'histoire commence comme un roman de Simenon, avec deux cadavres dans la Seine, et continue comme un thriller de James Bond, mêlant mafia chinoise et hauts dignitaires du Sénégal. Le 31 juillet 1998, des promeneurs découvrent le long des berges de la Seine, à Bonnières (Yvelines), sous le barrage de Méricourt, le corps d'une jeune Chinoise de 32 ans, enveloppé comme une momie dans du tissu maintenu par des bandes de large scotch marron. L'autopsie révélera qu'elle a été frappée de neuf coups de couteau puis égorgée. La mort remonterait tout au plus à une semaine.


Rédigé par leral.net le Dimanche 26 Septembre 2021 à 17:59 | | 0 commentaire(s)|

Cadavres chinois, passeports sénégalais: Le deal daterait depuis 1996
Trois mois plus tard, cette fois-ci à Colombes, nouvelle trouvaille macabre: le corps d'une fillette chinoise de 4 ans est repéré par des maçons, toujours dans la Seine, lui aussi prisonnier du même tissu. Elle a été étouffée avant d'être jetée à l'eau. L'analyse ADN révèle que l'enfant est la fille de la victime de Bonnières. Les deux corps ont sans doute été jetés dans le fleuve le même jour. Pour la justice et les gendarmes de la Section de Recherches de Versailles, l'énigme des deux Chinoises commence.


Comment identifier ces cadavres qui ne portent aucun papier sur eux? La chance sourit aux enquêteurs: deux jours avant la découverte du premier corps, un homme qui promenait son chien sur les bords de la Seine, est intrigué par un sac en plastique rose, qui contient des documents en chinois. A l'intérieur, les gendarmes vont trouver une carte de Sécurité sociale, des idéogrammes porte-bonheur et, surtout, un numéro de portable griffonné sur un morceau de papier.

Ce numéro les mène à un appartement de la tour Verdi, avenue de Choisy, au coeur du «Chinatown» de Paris. Surprise des gendarmes: les murs ont été nettoyés à grands coups d'éponge, comme si l'on avait voulu effacer des traces de sang ? Une visite à l'agence immobilière qui a loué l'appartement, permet d'identifier ses trois occupants: Boyson Wong, un administrateur de sociétés de 35 ans, sa compagne Linda Chen et la petite Mary Chen. Les enquêteurs découvrent un album de photos avec de nombreux clichés de la fillette posant en tenue chinoise avec des lunettes de soleil. Ce sont bien Mary et Linda qui ont été découvertes dans la Seine. L'agence a gardé un double de leurs passeports. Nouvelle surprise de taille: il s'agit de passeports diplomatiques sénégalais, délivrés à Dakar, le 24 décembre 1997.

Dès lors, ce qui ressemblait à un sanglant règlement de comptes dans les milieux chinois de Paris, se double d'une affaire d'Etat en Afrique. Car on apprendra bientôt que ces papiers d'identité valaient de l'or. Leur histoire est rocambolesque. En 1996, à la veille de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, qui intervient le 1er juillet 1997, le gouvernement de Dakar crée, dans la concession anglaise, un organisme destiné à inciter des Chinois à investir au Sénégal. Son nom: le Fodes (Fonds de développement économique et social). Première étape obligatoire pour les investisseurs intéressés: un passage par Dakar, où ils reçoivent un passeport de service sénégalais. Seule condition: régler au Fodes 20 000 dollars par personne ou par couple et 5 000 par enfant. L'argent est ensuite viré de Hong Kong au Sénégal via la Western Union Bank.

En ces mois qui précèdent la rétrocession de Hong Kong à la Chine, nombre de résidents cherchent à tout prix des papiers étrangers, pour échapper à l'emprise de Pékin. Et certains sont prêts à payer très cher, si cela peut les aider à mettre à l'abri leur fortune. Parmi eux, des membres de la mafia chinoise, trop heureux de détenir ces passeports de service qui facilitent souvent les formalités de douane. Le Fodes va donc connaître un grand succès et délivrer plusieurs centaines de passeports. La France à elle seule, a accordé 193 visas à ces improbables «diplomates sino-sénégalais». On ne retrouve pourtant guère la trace des investissements de ces Chinois au Sénégal ?

600.000 dollars évaporés entre Hong Kong et Sénégal

L'affaire est suivie de près par l'ancien président Abdou Diouf. Il nomme l'ancien ambassadeur à Londres, Saliou Djody Faye, consul général à Hong Kong, chargé de superviser le Fodes. Celui-ci rend compte au ministre des Affaires étrangères, Mustapha Niasse, grande figure de la vie politique locale, ancien directeur de Cabinet de Léopold Sédar Senghor, deux fois Premier ministre et candidat malheureux à la Présidentielle de 2000. En quelques années, le Fodes va brasser des centaines de milliers de dollars. Niasse remettra d'ailleurs un chèque élevé au Trésor public sénégalais.

Mais une partie - on évoque 600 000 dollars - se serait évaporée entre Hong kong et Dakar, provoquant une affaire d'Etat au Sénégal. Moustapha Niasse a été entendu les 6 et 7 décembre 2002 par la Division des investigations criminelles (DIC) sénégalaise. «Je n'ai rien à me reprocher dans la gestion de ce dossier», a-t-il déclaré. L'actuel président de la République, Abdoulaye Wade, adversaire d'Abdou Diouf, a néanmoins tenu une conférence de presse début décembre pour dénoncer cette corruption: «La réputation, la crédibilité de l'Etat du Sénégal est en cause», a-t-il déclaré.

C'est l'arrivée à Dakar, le 25 novembre 2002, de deux gendarmes français enquêtant sur la mort de Linda et Mary Chen, pour le compte de la juge Françoise Jeanjaquet, qui est à l'origine de ce séisme politique. Car les enquêteurs sont toujours à la recherche des assassins des deux Chinoises. Qu'est devenu Boyson Wong, le mari et père des victimes. Il avait pris un vol Paris-Dakar le 27 juillet 1998, quatre jours avant le drame, pour renouveler leurs visas sénégalais. C'est vraisemblablement lui que les assassins recherchaient à Paris. L'interrogatoire musclé de son épouse Linda aurait mal tourné ? Inquiet, Boyson va, du Sénégal, passer une petite annonce dans Europe Journal, un périodique de la communauté chinoise à Paris, sollicitant toute information sur sa famille.

Détail curieux: l'annonce a été réglée par l'intermédiaire d'un fonctionnaire sénégalais, Massamba Sarr. Il sera le premier témoin entendu par les gendarmes à Dakar, le 27 novembre. Chef du bureau des privilèges et immunités du Protocole et agent du Cérémonial, il reconnaît avoir rédigé une note sur cette affaire à l'attention du ministre des Affaires étrangères, Moustapha Niasse. La mort de Mary et Linda Chen est-elle directement liée à ces passeports ? Les gendarmes privilégient deux pistes: soit Boyson Wong et sa famille n'auraient pas remboursé l'argent avancé par la mafia chinoise pour l'achat des précieux papiers, soit ils étaient venus en France pour monter des «affaires» qui auraient empiété sur les activités d'une bande rivale. Dans les deux cas, ils auraient été victimes d'un règlement de comptes. Ils disposaient, en tout cas, de moyens importants à leur arrivée à Paris: ils sont descendus dans un luxueux hôtel près de l'Etoile.

La solution de l'énigme réside sans doute en Chine. La justice française n'exclut d'ailleurs pas d'y expédier les enquêteurs. Après Paris et Dakar, la piste des deux cadavres de la Seine pourrait les mener jusqu'à Hong kong et Pékin.






L'Express


Mr Ndao B