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[Contribution] Quand la rue parle plus fort que les urnes

Rédigé par leral.net le Jeudi 31 Juillet 2025 à 23:53 | | 0 commentaire(s)|

[ Contribution] Quand la rue parle plus fort que les  urnes
Il était une fois, il n’y a pas si longtemps, les peuples d’Afrique de l’Ouest vivaient paisiblement dans un espace communautaire prometteur: la CEDEAO. Certes, la région a connu des conflits violents, mais grâce à la volonté de ses dirigeants, elle a pu redresser la tête et contenir les menaces issues de quatre foyers majeurs d’instabilité: le système de conflit sahélo-saharien, le système sénégambien, le bassin du Mano River et le Golfe de Guinée. Même les ravages d’épidémies comme Ebola ou la COVID-19, n’ont pas réussi à ébranler la résilience apparente de cette communauté.

Et si le mot d’ordre «Touche pas à ma Constitution» lancé à Cotonou, en 2005, n’a pas pu freiner entièrement la vague de coups d’État, il a eu le mérite d’éveiller les consciences citoyennes. Depuis, les peuples réclament une démocratie vivante, tangible, et accessible. Entre 2000 et 2023, la population ouest-africaine est passée de 250 à 400 millions d’habitants, dont 60% ont moins de 25 ans. Pourtant, malgré les progrès économiques notables, les taux de chômage frôlent les 30% dans de nombreux pays. À peine la moitié des jeunes accèdent à l’enseignement secondaire et près de 30% l’abandonnent prématurément, selon l’UNESCO. Il suffit d’observer les foules qui répondent spontanément aux appels politiques pour comprendre à quel point cette jeunesse, frustrée et sous-employée, est en quête de sens et de changement. Récemment, plusieurs événements ont marqué l’histoire contemporaine de la région:
 Les quatre coups d’État successifs au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger; 2. Une élection présidentielle paisible et transparente au Sénégal en 2024; 3. L’éruption de manifestations violentes au Togo. Analystes, intellectuels, politologues et experts s’accordent à dire que l’Afrique est à la croisée des chemins: elle vit une nouvelle demande politique, portée par une génération émergente de leaders. Ces mouvements de foule, bien plus que des troubles spontanés, s’ancrent dans une frustration socio-économique ancienne. Le temps des promesses est révolu.

La jeunesse veut enfin mettre à l’épreuve ce futur qu’on lui a si souvent promis. Elle rejette une démocratie accaparée par une élite, et exige qu’elle soit redéfinie à partir de la base. À ce titre, la question de la limitation des mandats devient emblématique : les peuples veulent désormais décider eux-mêmes de ce que la démocratie doit leur apporter. Cependant, malgré la richesse des analyses savantes, j’ai parfois l’impression qu’elles restent trop académiques, déconnectées du réel vécu.

Rappelons-nous l’enthousiasme autour de la chute du régime d’IBK au Mali. Une grande partie de la population, épuisée par la corruption, la mauvaise gouvernance et l’insécurité, a accueilli cette fin de règne comme une délivrance. Mais, fidèle à la logique des révolutions, ce ne sont jamais ceux qui se révoltent qui gouvernent ensuite. Les militaires ont pris le pouvoir, et le peuple a applaudi: «Qu’ils s’en aillent, ces politiciens maudits!» Il y a quelques années déjà, j’évoquais dans une conférence la dichotomie frappante entre «la Constitution» et «la rue».

Si l’opinion publique ne sait toujours pas laquelle des deux doit primer, une autre question me semble encore plus urgente. En démocratie, la Constitution encadre le processus électoral: comment porter au pouvoir un individu ou un groupe. La rue, elle, pose la question inverse: comment les en déloger. Ces deux logiques, fondamentalement opposées, nous obligent à nous interroger : sommes-nous encore dans un système démocratique ? Ce questionnement est d’autant plus pertinent que les peuples, bien que vivant dans des pays différents, expriment aujourd’hui des aspirations similaires.

Ainsi, l’élection présidentielle de 2024 au Sénégal, saluée comme la plus paisible de l’histoire récente, mérite un regard attentif. De longues files d’électeurs, un déroulement calme, une acceptation quasi unanime des résultats. Et pourtant, quelque chose semblait manquer. Aucune liesse populaire, aucune effervescence dans les rues comme on en voit après un match de football ou un combat de lutte. Personnellement, je n’ai pas voté ce jour-là. Mais j’ai ressenti que ce n’était pas une élection ordinaire. Pour moi, ce n’était pas l’urne qui avait parlé, mais bien la rue qui avait fini par faire partir le régime en place. Comme au Mali, en Guinée, au Burkina et au Niger.

Dans ces pays, les libertés fondamentales sont gravement compromises. Les rassemblements publics sont interdits, les partis politiques suspendus, la liberté d’expression réprimée, et les arrestations arbitraires se multiplient. Plus inquiétant encore, les militaires au pouvoir semblent avoir renoncé à toute perspective de transition démocratique, alors même que les conditions de vie se détériorent de jour en jour et que le terrorisme continue de gagner du terrain. Au Sénégal, c’est comme si la vie était en pause. Depuis plus d’un an, les grands chantiers de construction sont à l’arrêt, les entreprises licencient massivement, le chômage atteint des niveaux alarmants, et la rareté de la circulation monétaire inquiète tous les secteurs.

À cela s’ajoutent une recrudescence des arrestations d’opposants politiques et une insécurité galopante qui s’installe jusque dans les foyers. À bien y réfléchir, un coup d’État n’est évidemment pas une élection. Pourtant, dans les cas récents, ces deux événements partagent une caractéristique essentielle: ils ont chacun été, à leur manière, l’expression d’une demande populaire forte. Hélas, les lendemains se ressemblent tragiquement. Car il ne s’agit pas d’un choix éclairé, mais d’un rejet instinctif de l’ordre établi. Et la rue, si puissante soit-elle dans la contestation, ne gouverne pas.

Elle renverse, puis se retire, laissant souvent place à un vide, à de nouvelles incertitudes, voire à des dérives pires encore. Autrefois, les campagnes électorales étaient des moments forts. Les discours passionnés, les tambours et les tam-tams accompagnaient des projets de société débattus dans la clarté. Chaque citoyen, dans l’intimité de son bulletin, faisait un choix éclairé. On savait ce que signifiait une assemblée générale. Comme toutes les épopées, peut-être que la démocratie, telle que nous l’avons connue, a atteint son apogée. Il nous revient désormais d’inventer la suite, de reconstruire un lien entre le peuple et les institutions, et surtout, de redonner sens à ce mot si souvent galvaudé: démocratie.

Dr Gueye Abdou Lat

Chairman, PEACE-CONSULT.

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