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Dégradation de la note du Gabon : ce n'est pas Fitch le problème, c'est notre gouvernance »

Rédigé par leral.net le Dimanche 21 Décembre 2025 à 11:24 | | 0 commentaire(s)|

Dans un entretien exclusif avec l'honorable Justine Judith Lekogo, la députée affirme sans ambages que pour la dégradation de la note du Gabon, ce n'est pas Fitch le problème, c'est notre gouvernance.
Journaliste : Honorable Lekogo, Fitch Ratings a récemment abaissé la note souveraine du Gabon. Comment interprétez-vous cette décision ?
Honorable Justine Judith Lekogo :
Cette décision est un signal d'alarme extrêmement sérieux. Lorsque la note du Gabon passe de CCC à CCC- en devises (...)

- LIBRE PROPOS /

Dans un entretien exclusif avec l'honorable Justine Judith Lekogo, la députée affirme sans ambages que pour la dégradation de la note du Gabon, ce n'est pas Fitch le problème, c'est notre gouvernance.

Journaliste : Honorable Lekogo, Fitch Ratings a récemment abaissé la note souveraine du Gabon. Comment interprétez-vous cette décision ?

Honorable Justine Judith Lekogo :

Cette décision est un signal d'alarme extrêmement sérieux. Lorsque la note du Gabon passe de CCC à CCC- en devises étrangères et de CCC à CC en monnaie locale, cela signifie une chose très simple : les marchés doutent de notre capacité à honorer nos engagements financiers, à court et moyen terme.
Ce n'est pas une sanction politique, ce n'est pas un complot extérieur. C'est le reflet froid et technique de dysfonctionnements profonds dans la gestion de nos finances publiques.

Journaliste :
Quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui ont conduit à cette dégradation ?

Honorable Justine Judith Lekogo :

Ils sont connus, documentés et malheureusement récurrents.
D'abord, des déficits budgétaires persistants, qui pourraient atteindre environ 6 % du PIB, selon certains scénarios. Ensuite, une expansion incontrôlée des dépenses publiques, notamment les charges de personnel et des investissements mal priorisés, sans impact réel sur la productivité.

À cela s'ajoute l'accumulation d'arriérés de paiement, envers les fournisseurs et parfois même envers des créanciers institutionnels. Tout cela détruit progressivement la crédibilité de l'État.

La problématique centrale est claire : nos dépenses augmentent plus vite que nos recettes, sans stratégie fiscale solide ni maîtrise des engagements futurs.

Journaliste :
Le Gabon reste pourtant un pays riche en ressources naturelles. Pourquoi cela ne suffit-il plus ?

Honorable Justine Judith Lekogo :

Parce que notre économie est dangereusement dépendante du pétrole. Plus de 40 % des recettes publiques proviennent encore des hydrocarbures, alors même que la production décline.

Cela signifie que nos finances publiques sont exposées à des chocs que nous ne maîtrisons pas : prix du baril, demande mondiale, transitions énergétiques.
Une telle structure de revenus affaiblit notre résilience économique et rend toute planification budgétaire extrêmement fragile.

Journaliste : La question de la dette revient souvent dans vos interventions. Où en est réellement le Gabon ?

Honorable Justine Judith Lekogo :
La dette publique du Gabon dépasse largement les seuils de prudence. Elle pourrait atteindre plus de 80 % du PIB dans les prochaines années.

Mais le plus inquiétant, ce n'est pas seulement son niveau, c'est sa structure : nous faisons face à un mur d'échéances, avec de nombreux remboursements concentrés à court terme. Cela crée un risque aigu de crise de liquidité, voire de défaut technique.

Dans le même temps, les marchés exigent des taux de plus en plus élevés. Quand un pays refinance sa dette à plus de 12 %, cela signifie que chaque franc emprunté aujourd'hui hypothèque les budgets sociaux de demain.

Journaliste : Quels sont, concrètement, les risques encourus si rien ne change ?

Honorable Justine Judith Lekogo :

Ils sont multiples et graves :
– une nouvelle dégradation de la notation,
– un accès au crédit encore plus coûteux, voire fermé,
– une pression accrue sur le budget,
– un affaiblissement de l'investissement privé,
– et, à terme, des tensions sociales, car ce sont toujours les populations qui paient le prix de l'irresponsabilité budgétaire
.

Journaliste : Vous plaidez ouvertement pour un programme avec le FMI. Certains estiment pourtant que « le FMI n'a jamais développé un pays ». Que leur répondez-vous ?

Honorable Justine Judith Lekogo :

Je leur réponds qu'ils se trompent de débat.

Il faut clarifier une chose une bonne fois pour toutes : le FMI et la Banque mondiale n'ont pas vocation à développer un pays à la place de ses citoyens. Le développement appartient aux peuples, à leurs dirigeants et à leurs choix politiques.

Le FMI n'est ni un gouvernement, ni un président, ni un parlement. C'est une institution dont le Gabon est membre et contributeur. Il est donc parfaitement légitime de solliciter son expertise et son appui lorsque le pays traverse des difficultés.

Dire que « le FMI n'a jamais développé un pays » relève d'une méconnaissance profonde de son rôle réel. Le FMI accompagne, encadre, conseille et conditionne parfois ses appuis, mais il ne se substitue jamais à la souveraineté nationale.

Journaliste :Concrètement, que permettrait un programme avec le FMI pour le Gabon ?

Honorable Justine Judith Lekogo :

Un programme avec le FMI offrirait trois choses essentielles :

1. Un cadre crédible de discipline budgétaire, avec des règles claires sur les déficits et la dette.
2. Un accès à des financements concessionnels, moins coûteux que ceux des marchés.
3. Un signal fort envoyé aux investisseurs, montrant que le Gabon prend enfin au sérieux la réforme de sa gouvernance financière.

Cela suppose bien sûr des engagements clairs : maîtrise des dépenses, réforme fiscale, gestion rigoureuse de la dette, modernisation de l'administration.

Journaliste :Et sur le plan national, quelles réformes préconisez-vous ?

Honorable Justine Judith Lekogo :

Nous devons agir sur plusieurs fronts :
– instaurer une règle budgétaire stricte,
– prioriser les dépenses utiles à la croissance réelle,
– élargir l'assiette fiscale sans écraser les plus vulnérables,
– restructurer intelligemment la dette,
– et surtout diversifier notre économie : agriculture, transformation locale, services, industries légères.

Sans diversification, il n'y aura ni stabilité ni prospérité durable.

Journaliste : Un dernier mot pour conclure ?

Honorable Justine Judith Lekogo :

La dégradation de la note Fitch n'est pas une fatalité. C'est un miroir que la réalité nous tend.

Le véritable problème n'est ni Fitch, ni le FMI, ni la Banque mondiale.
Le véritable enjeu, c'est notre capacité collective à assumer nos responsabilités, à réformer, à gouverner avec rigueur et transparence.

Le Gabon ne peut plus avancer seul, dans le déni. Il est temps de rentrer dans un programme crédible, d'assumer les réformes et de remettre notre pays sur une trajectoire de stabilité, de confiance et de croissance durable.

Propos recueillis LLJ/MT



Source : https://www.gabonews.com/fr/actus/libre-propos/art...