Au Sénégal, cinq ans après son élection, le président Macky Sall va enfin connaître le jugement de ses compatriotes sur sa gestion du pouvoir. Ce sera dimanche prochain, à l'occasion des législatives à un seul tour: il affrontera alors les coalitions menées par l'ex-président Abdoulaye Wade et par le maire de Dakar, Khalifa Sall. Pour cette bataille, le chef de l'Etat s'appuie notamment sur son ministre de l'Economie et des Finances, Amadou Ba, qui conduit sa liste dans le département de Dakar. En duplex de la capitale sénégalaise, le «grand argentier» Amadou Ba répond aux questions de RFI.
RFI : Voilà cinq ans que vous êtes aux affaires. Est-ce que vous ne craignez pas l’usure du pouvoir dans la perspective des législatives de ce dimanche ?
Amadou Ba : Pas du tout. On ne craint pas l’usure du pouvoir, d’autant plus que le bilan du président Macky Sall est un bilan extrêmement important et le travail doit se poursuivre. Aujourd’hui, la situation est nettement meilleure, avec une croissance moyenne de 6,7% et nous projetons d’ailleurs 6,8% pour l’année 2018. Donc je pense que beaucoup de choses ont été faites avec la mise en œuvre du plan Sénégal Emergent.
Pour beaucoup, la vague migratoire de nombreux Sénégalais vers l’Europe c’est la preuve que vous n’avez pas résolu le principal problème qui est l’emploi des jeunes.
Je pense qu’il y a des efforts à faire. Nous avons déjà fait beaucoup d’efforts, mais lorsque le président Macky Sall est arrivé en 2012, la croissance était à 1,7 %, inférieure aux croix démographiques, je le rappelle. Et nous avons créé beaucoup d’emplois, mais pas assez. Je pense qu’aujourd’hui – avec le plan Sénégal Emergent, une croissance qui est à 6,7 % sur deux années successives, un déficit budgétaire qui baisse, un endettement qui est maîtrisé – le Sénégal est sur une bonne trajectoire. Maintenant, avec les réformes qui sont en cours, qui devront permettre d’avoir plus tard une zone économique spéciale, je pense qu’on peut espérer de créer des milliers, voire des millions d’emplois pour les jeunes Sénégalais.
Face à vous, il y a notamment la liste conduite par l’ancien président, Abdoulaye Wade, et au vu de l’affluence à ses meetings est-ce que vous ne craignez pas qu’il réussisse à prendre sa revanche sur 2012 ?
Je ne le crains pas. Je ne crains vraiment pas qu’on puisse parler de revanche. D’abord, les Sénégalais n’ont pas l’intention de faire marche arrière. Maintenant, il fait beaucoup d’animation et c’est bien. C’est ça le charme de la démocratie au Sénégal. Mais je ne pense pas que les Sénégalais puissent revenir sur ce qu’ils avaient vomi cinq ans plus tôt. Je ne le pense pas.
Oui, mais ce n’est pas n’importe qui. Il a quand même gagné deux présidentielles. Il est encore capable de gagner une élection nationale, non ?
Mais là, je peux vous dire que de 2012 à nos jours, c’est plus de 6 000 milliards que la communauté internationale a mis à la disposition du Sénégal. Et maître Wade, en douze ans c’est 3 700 milliards à peu près. Vous voyez un peu la différence. Et ces 6 000 milliards sont disponibles. Et je pense que la croissance devrait se poursuivre. Je pense qu’il faut que le président Macky Sall ait la majorité et que le pays puisse continuer de croître. Je pense que c’est ce qui donnera des emplois et non des slogans.
Face à vous, il y a aussi la liste conduite par le maire de Dakar, Khalifa Sall, qui est actuellement en prison. Khalifa Sall a gagné toutes les élections à Dakar depuis 2009. Est-ce qu’il ne risque pas de gagner encore dimanche prochain dans la capitale ?
Je ne le pense pas. A Dakar, aujourd’hui, il faut que tout le monde fasse le bilan. Il est là depuis 2009. Concrètement, qu’est-ce qui a été fait pour la ville de Dakar ? Je pense que Khalifa Sall a préféré aller sur la liste nationale. Moi, je me concentre sur la liste départementale pour voir avec le président Macky Sall quelles sont les réponses concrètes que nous allons apporter aux populations de Dakar par rapport à l’assainissement, à l’hydraulique, aux questions d’emploi que vous avez soulevées tout à l’heure, par rapport à toutes ces questions. Et justement, sur l'eau, nous avons des problèmes à Dakar, mais au moment où je vous parle la communauté internationale a mis à notre disposition plus de 400 milliards qui sont disponibles. Les conventions ont été signées et ça devrait permettre de régler les problèmes d’eau jusqu’à l’horizon 2035.
Depuis 2009, Khalifa Sall est très populaire à Dakar. Est-ce qu’il n’est pas encore plus depuis qu’il est en prison et qu’il passe pour beaucoup comme un martyr ?
Alors là, je pense que Khalifa Sall a un problème avec la justice. Il a fauté, donc aujourd’hui le dossier est entre les mains de la justice. Maintenant, est-ce qu’il est populaire ? Je ne sais pas. Je pense qu’il doit se défendre. Il a aujourd’hui quelques difficultés avec la justice qui malheureusement est obligée de le retenir sous les liens de la détention, mais ça s’arrête là.
Vous dites : « malheureusement, il est détenu ». Voulez-vous dire que vous auriez préféré qu’il ne soit pas en prison ?
Personnellement, non, je ne souhaite à personne d’aller en prison. J’aurais préféré que Khalifa Sall soit avec moi sur le terrain . Et j’aurais même préféré que Khalifa Sall soit tête de liste de Dakar et non tête de liste nationale, pour que l’on puisse bien discuter du programme et tout.
Quand vous dites « malheureusement », voulez-vous dire que la justice a eu la main un peu trop lourde ?
Non, la justice était tenue de l’arrêter, malheureusement. Quand on est accusé de détournement de deniers publics, le juge n’a pas d’autre choix. C’est ce que dit la loi.
Vous dites que Khalifa Sall en prison, c’est une affaire de justice. Mais à l’origine, il y a eu un rapport de l’inspection générale d’Etat. Et ce rapport, le chef d’Etat Macky Sall avait le pouvoir discrétionnaire soit de le transmettre au procureur, soit de le mettre au fond d’un tiroir.
Je ne pense pas que ce soit une bonne chose que de mettre un rapport, quel qu’il soit au fond d’un tiroir. Le président Macky Sall est connu pour son attachement à la bonne gouvernance. Donc il a reçu un rapport et le rapport a été approuvé en l’état. Il n’a ni commenté ni ajouté ni réduit quoi que ce soit. Donc ce rapport ayant été approuvé en l’état, il s’est trouvé que pour le cas spécifique de Khalifa Sall et d’un autre maire d’ailleurs, la justice devait être saisie. Ce qui a été fait.
Oui, mais est-ce que tous les rapports de l’inspection sont transmis au procureur ?
Ça, je ne saurais répondre à cette question, je ne suis pas destinataire des rapports.
Vous êtes responsable de la bataille à Dakar et c’est une très belle bataille. Vous pouvez la gagner, vous pouvez aussi la perdre. En cas d’échec, est-ce que vous en assumerez les conséquences au niveau du gouvernement ?
Je n’ai pas de problème par rapport à ça. Le président Macky Sall m’a fait confiance en me maintenant comme Directeur général des impôts et des domaines, m’a fait confiance en me nommant ministre de l’Economie et des finances, il m’a fait confiance en me demandant de partager avec lui son combat politique. Je crois à sa vision, donc je partagerai tout avec le président Macky Sall et je l’assume totalement. Donc je serai avec lui jusqu’au bout.
Donc en cas de victoire, très bien. Mais en cas d’échec, vous assumerez ?
En cas de victoire, c’est très bien, je ne pense même pas à l’échec. Mais dans tous les cas, quelle que soit la situation, il appartiendra au président de la République de prendre les décisions qui lui semblent les plus opportunes.
Propos recueillis par Christophe Boisbouvier (RFI)