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Fatoumata Sakiné : l’électricienne bâtiment qui bouscule les hommes sur «leur» terrain de jeu (PORTRAIT)

Dans mon quartier, aux Parcelles assainies, sis à l’unité 01, nous avions jusqu’à récemment chez nous un chantier R+2, en finition et dont le rez-de-chaussée est déjà habité. Par une matinée d’octobre, alors que j'étais à mon travail, une jeune fille fit irruption sur le chantier et sollicita, de manière expresse, l’électricien de l’engager comme journalière. Quelle ne fut la stupeur aussi bien de l’électricien que de mon cousin qui me racontait l’histoire à mon retour le soir. L’étonnement vient de ce qu’on n’a pas l’habitude de voir des jeunes filles qui viennent solliciter ce type de petits boulots. Et bien c’est ce que Fatoumata, cette jeune étudiante a osé faire. Mais quand on connait son option pour les études supérieures, on la comprend mieux.


Rédigé par leral.net le Vendredi 15 Décembre 2017 à 08:49 | | 0 commentaire(s)|

Née le 22 avril 1993 aux Parcelles Assainies, Fatoumata Sakiné vit avec ses deux parents. Issue d’une famille très modeste, elle est la cadette d’une lignée de 8 enfants. Mais une cadette qui tente tant bien que mal de disputer, voire d’usurper le droit d’aînesse à son seul grand-frère. Clairement, Fatoumata de par son sens aigu des responsabilités en famille, ses initiatives et sa personnalité, se considère comme une aînée. Elle s’assigne comme devoir de tout faire dans l’exemplarité, afin d’inspirer ses jeunes sœurs.

Depuis l’âge de 22 ans, Fatoumata est carrément non seulement dans le rôle d’aînée, mais aussi de mère de famille puisque sa mère est gravement malade depuis quelques temps. «Je suis ‘’taw’’de la famille, première fille du couple», professe-t-elle. Voici donc le droit d’aînesse disputé, de facto, à un garçon. Et pourtant, la jeune fille n’a rien d’un garçon manqué au comportement plus ou moins phallocrate. Tout est naturellement féminin en elle : la voix, l’habillement normal de jeune fille, le regard…

Teint noir, tresses sénégalaises bien nouées sur la tête, Fatoumata est mince, de grande taille et le sourire facile. D’apparence timide, Fatoumata est habillée d’un pantalon serré, assorti d’un tee-shirt, le tout faisant dessiner toutes ses formes. Malgré son métier, elle ne bannit nullement le maquillage de sa toilette, toujours soignée.

De la Géographie à l’électricité, il y a eu une déception

Quand Fatoumata, décrocha le BAC en 2015, son désir ardent était d’être orientée à l’UCAD pour poursuivre ses études en Géographie. Mais après une longue attente dans le processus d’orientation, elle a vu ses ambitions d’étudiante en Géographie s’éloigner peu à peu parce qu’elle a été orientée à l’Université virtuelle du Sénégal (UVS). Un centre universitaire qui déjà n’a pas bonne presse dans l’environnement immédiat de la jeune fille. Ensuite parce que ses potentiels centres d’intérêt ne s’y trouvent pas. «Après la publication des deux premières listes, mon nom est apparu finalement sur la liste de ceux qui devront être à l’Université virtuelle du Sénégal», explique-t-elle

Avec sa grande passion pour l’environnement, son orientation ailleurs qu’au département de Géographie l’a fait douter de ses capacités et ses aptitudes réelles à étudier l’environnement. «Je suis fascinée par l’étude de l’environnement depuis les cours secondaires et je voulais poursuivre mes études à la Faculté des Lettres et sciences humaines, précisément au département de Géographie. L’enseignement de cette matière me tient à cœur, et je voulais dispenser mes connaissances après la formation. Malheureusement, mon nom n’est apparu sur aucune des deux listes des étudiants choisis pour cette matière». L’orientation à l’UVS va donc tout changer. Fatoumata voit son rêve s’éloigner, elle ne pourra pas étudier la géographie.

Perplexe et dans l’incertitude, elle doit réviser ses plans et revoir ses ambitions. Elle était au bout de la déception. Sur proposition d’une tante qui est aussi électricienne et dispense des cours de câblages, Fatoumata accepte une formation en électricité. C’est ainsi qu’elle se retrouve au Centre de Formation et de Promotion des Jeunes (CFPJ/YMCA). Mais avant, il a fallu un temps de réflexion sur cette proposition inespérée de sa sante. « Avant d’accepter la proposition de ma tante, j’ai patienté un bon moment. Puis un jour, je suis partie à sa rencontre pour les informations supplémentaires concernant cette école et sa formation. Elle me renseigna alors qu’il existe trois branches de formation à savoir : l’électricité, fonction métallique et dessin bâtiment. Je ne vois pas l’importance de poursuivre mes études à l’UVS, et comme je ne peux pas assurer ma scolarité dans les universités privées, j’ai accepté la proposition de ma tante».

Allez, on bouscule les hommes sur leur prétendu territoire !

C’est ainsi que Fatoumata croise le chemin (CFPJ/YMCA) où elle a décroché son BTS en électricité. Un choix par défaut qu’elle a fini par accepter et s’en accommode bien. « Cette formation en électricité est un choix par défaut », admet-t-elle.

Dans son établissement, Fatoumata n’a pas particulièrement de problème avec ses camarades hommes, très largement supérieurs en nombre. Dans sa classe, elles sont 06 jeunes filles pour 27 garçons. Mais ce n’est pas pour autant que ces filles sont intimidées ou complexées vis-à-vis des garçons. Globalement, il n’y a aucun souci avec ses camarades hommes. Au contraire, Fatoumata est épaulée par ces derniers et autres anciens de l’établissement qui lui confient des tâches à exécuter sur les chantiers. Autant dire qu’elle a tout de même trouvé sa place dans ce milieu macho. Une chance pour elle etune  occasion aussi de rappeler ce dont sont capables les femmes.

«Au Sénégal, dit-elle, les gens ne sont pas encore prêtes pour confier certaines tâches aux femmes. Je crois que dans la vie actuelle, les femmes peuvent être à la hauteur des hommes en ce qui concerne le travail. Dans cette école, une moyenne de 12 était exigée par l’administration pour pouvoir continuer les études et toutes ces filles avaient cette moyenne. Par contre, certains garçons sont recalés car ils n’avaient pas la moyenne», remarque-t-elle.

Si tout se passe naturellement bien dans son école de formation, dans la réalité des entreprises, sur le terrain, les choses sont plus compliquées, notamment pour décrocher un stage. «J’ai presque fait le tour des bureaux de la SENELEC de Dakar pour déposer mon dossier. Mais jusqu’à présent, je n’ai reçu aucune offre de stage. Il est difficile de trouver un travail dans ce pays encore moins un stage », se désole-t-elle. «J’ai déposé mon dossier à Pastami et dans d’autres entreprises de la place. Je n’ai pas de choix pour les villes, ce qui m’intéresse c’est de trouver un travail qui correspond à ma formation».

Par contre, Fatoumata fait l’objet de quelques réflexions de la part même des femmes. De par sa profession d’électricienne, traditionnellement, et par pure construction sociale, réservée aux hommes, ses camarades d’enfance et de classe, entre autres, la taxent de garçon manqué. Des plaisanteries auxquelles Fatoumata ne prête aucune attention et qui ne sont pas de nature à l’ébranler ou à freiner son entrain à la tâche. L’électricité, c’est son choix. En d’autres termes, électricienne elle est, électricienne, elle restera. Contre vents et marées !

«Pour mes copines c’est un métier de garçons car la plupart d’entre elles me font des critiques. Des fois nos discussions sur le net tournent aux railleries de mon métier. Elles pensent que c’est un travail d’homme, que je devrais trouver quelque chose à faire que de monter sur les escaliers ou les bâtiments pour raccorder les fils. Mais je les comprends car elles ignorent la passion et l’importance de ce métier», estime la jeune électricienne en devenir. En tout cas, Fatoumata aime bien son métier. C’est d’ailleurs en quête d’expérience professionnelle et de quelques ressources, que la jeune étudiante s’était retrouvée sur notre chantier.

De l’accident à la passion…

C’est par accident de parcours qu’elle se retrouvée électricienne, mais le temps passant, son amour pour cette branche technique est allé en grandissant. Alors que rien n’était gagné au départ à cause du retard accusé. « Au début, c’était très difficile, je ne faisais que regarder mes camarades de classe pendant les cours sur les branchements. Ils ont débuté un mois avant que je ne m’inscrive». Fatoumata se bat certes, mais sa tante qui a beaucoup compté dans son option, ne l’a pas non plus lâchée. Elle est restée disponible et pousse sa nièce à aller de l’avant. « Comme ma tante a vu que j’étais déterminée pour la formation, elle a commencé de me suivre, je prenais des cours de renforcements à l’école. Mais aussi hors de l’établissement, car je me rendais chez elle pour apprendre ». Cette tante paternelle est la source de motivation pour la jeune Fatoumata.

Être habillée en blouson bleu, vert, rouge ou que sais-je, un casque sur la tête, les bottes aux pieds, haut perchée sur un poteau électrique de plusieurs mètre de hauteur ou sur un chantier de bâtiment, voici le métier que va exercer Fatoumata. Manier des fils électriques, bricoler, aller dépanner un problème d’électricité dans les familles, assurer les branchements de câbles et autres installations… les tâches sont illimitées. On passe de l’environnement à l’électricité. « Je ne crois pas que ce métier est différent des autres, car l’apprentissage se fait dans les écoles de formation comme toutes autres activités. Actuellement, l’électricité est mon domaine et toute personne qui souhaite mon bonheur, doit me rendre service dans ce domaine, car ce choix par défaut est devenu une passion pour moi », souligne l’électricienne.

Les vacances ne riment pas avec repos chez moi

La vie facile, ce n’est pas le genre de Fatoumata Sakiné. Elle aspire à une vie meilleure, et à un avenir digne et respectable. Parallèlement à sa formation, Fatoumata fait de petits jobs qui lui tombent sous la main, notamment des installations sur des chantiers ou autres. A Guédiawaye dans la banlieue, elle est aussi opératrice de transfert d’argent dans une boutique dédiée, à ses heures libres. C’est là où elle nous a donné rendez-vous, entre le «marché Boubess» et l’école franco-arabe Mamadou F. Mbacké. « Je ne veux pas rester dans la vie sans rien faire. Raison pour laquelle j’occupe mon temps libre ici. Je pense qu’une fille ne doit pas rester éternellement aux dépens de ses parents encore moins des autres. Je dois être une référence pour mes petites sœurs car je me considère comme leur aînée ; donc, une seconde maman et source d’inspiration », soutient-elle. Dans la boutique, sont accrochées au mur des chaussures de femmes à gauche de la pièce et au côté opposé, des tissus wax.

Pourquoi vouloir vivre toujours ou entièrement aux dépends de ses parents ou même d’un homme alors qu’on peut soi-même se battre et se faire ? C’est le genre de questions que Fatoumata doit bien se poser et c’est pourquoi elle travaille dans une boutique de transfert d’argent:"Je ne voulais pas rester dans la vie sans rien faire, ce travail je ne le tiens que du lundi au vendredi. Et le week-end je travaille dans des chantiers pour la plupart du temps".

« Nous laissons les maçons progresser dans les constructions avant de placer les tubes et câbles».


Si «se distraire, c’est changer d’occupation» comme le conçoit l’écrivain français Jean Guéhenno, Fatoumata a fait sienne cette assertion. Les vacances pour Fatoumata n’ont jamais rimé avec distraction, repos, jouissance ou même débauche. Les vacances sont en général, ses moments choisis pour se procurer quelques ressources additionnelles, en toute dignité, pour soulager les efforts de ses parents et ne pas trop grever leurs économies, notamment son père puisque sa mère reste souffrante.

«Je ne peux pas être une fille facile ou faire le trottoir, raison pour laquelle à chaque période de vacance, je cherche à faire quelque chose . Ce travail ( Ndlr : occupation dans la boutique) ne m’empêche pas de suivre mon rêve d’électricienne dans les chantiers. » Fatoumata s’essaie quelque peu à l’architecture, le métier de papa qui l’intéresse quelque peu. « Il m’arrive des fois de faire des schémas de bâtiment ainsi que des plans de construction ».

« Je ne savais pas qu’un jour mon chemin allait rencontrer celui de mon papa, car il travaille dans le bâtiment. Il travaille comme entrepreneur, son travail consiste à faire des dessins de bâtiments, mais jamais, je n’étais influencée par ce qu’il fait. En Afrique, ces lieux de travail ne sont pas accessibles pour les filles», dit Fatoumata.

Vu sa bonne volonté, certains anciens de son établissement ne manquent pas de lui filer quelques tuyaux. Mais elle aussi, ne croise pas les bras. Elle essaie toujours de dénicher des opportunités. C’est d’ailleurs comme cela qu’elle est arrivée sur notre chantier.
« Pour le moment, je n’ai pas gagné personnellement un chantier, mais avec l’appui de mes prédécesseurs, je suis tout le temps dans les quartiers en forte construction comme Gadaye et environs ».

Sa formation bouclée au CFPJ/ JYMCA, elle a obtenu son BTS en électricité. Nonobstant, Fatoumata aspire à d’autres formations pour accroître ses chances d’employabilité. « Je ne crois pas qu’avec mes deux ans de formation, j’ai acquis beaucoup d’expérience car c’est un domaine très complexe, mais j’ai foi en ma formation », confesse-t-elle. « Dans mon école, la durée de la formation est de 2 ans : les étudiants sont formés en B.E.P et en C.A.P. Après, l’étudiant est présenté comme candidat libre au CAP et officiel au BEP. J’ai terminé avec ces deux formations, mais je dois faire BT et BTS au lycée Limamou Laye pour trois ans. »

Pendant qu’elle préparera son BTS, elle prévoit en même temps de faire une formation de chef de chantier. " C’est pour faire des schémas et suivre les ouvriers." In fine, l’électricité, choix par défaut, devient peu à peu son gagne-pain quotidien.




Par Malang TOURE senenews.com

Ndèye Fatou Kébé