Chaque année, Carmen et Armando Berriz s'offrent un grand week-end de vacances avec leur fille et leur gendre. Cette fois, ce couple de retraités avait choisi la région des vins, en Californie. Ils avaient loué une maison à Santa Rosa, une jolie petite ville au nord de San Francisco, dans un coin boisé.
Pendant trois jours, ils ont fait le tour des producteurs de vin, testé des crus, profité de la piscine de la maison. Le soir du 8 octobre, "on a fait des jeux et on était au bord de la piscine jusque vers 22 h 30 ou 23 heures", raconte Monica Ocon, leur fille, à la chaîne de télévision NBC. "Il n'y avait aucune trace de fumée ou de brume et on ne sentait rien."
Vers une heure du matin, Luis Ocon, son mari, est réveillé par quelque chose. Il y a beaucoup de vent dehors. Alors qu'il est en train de regarder par la fenêtre, une braise tombe sur la pelouse. "Il y a eu comme une explosion. Tout s'est embrasé. C'est dur à comprendre tant qu'on ne l'a pas vu. On est passés de quelques braises à un brasier total qui nous entourait en 30, 40 secondes au maximum.” Luis réveille tout le monde et la famille se précipite vers les trois voitures. Il part le premier, suivi, dans une autre voiture, par sa femme et sa fille et, dans la troisième, par ses beaux-parents.
C'est l'horreur. La route est entourée de flammes et la fumée bloque toute visibilité. Luis Ocon se guide grâce aux réflecteurs situés au milieu de la chaussée. Au bas de la colline, il s'arrête pour attendre sa femme. Et ses beaux-parents, qui n'arrivent pas. Il fait alors demi-tour pour essayer de remonter vers la maison. Mais l'incendie est trop fort.
Il apprendra plus tard que Carmen et Armando Berriz, 75 et 76 ans respectivement, ont à peine commencé à rouler qu'un arbre tombe et bloque la route. La seule solution, pense Armando, c'est de retourner à la maison et de s'immerger dans la piscine. Ils partent en courant à travers les flammes qui atteignent jusqu'à 9 mètres de hauteur et sautent dans l'eau. Autour d'eux, c'est l'enfer. L'incendie consume tout, les arbres, les chaises longues, le vent fait voler de gros débris au-dessus de leur tête, les bouteilles de propane explosent. Ils se tiennent serrés l'un contre l'autre et passent d'un côté à l'autre du bassin pour échapper à la chaleur.
Armando Berriz les tient à flot en s'accrochant aux briques incandescentes du bord de la piscine qui lui brûlent les mains. La fumée est tellement suffocante que par moments, ils s'immergent presque totalement. Chaque fois qu'ils sortent la tête, ils prient. Ils vont tenir ainsi pendant cinq ou six heures. Carmen Berriz, qui a toujours eu des problèmes pulmonaires, tient le coup pendant le pire de l'incendie. Mais il y a trop de fumée et la chaleur est telle que juste avant l'aube, alors que l'incendie s'éloigne, Carmen s'arrête de respirer. "Ma mère a beaucoup lutté, mais elle n'avait pas l'énergie de mon père", raconte Monica Ocon. "Elle s'est éteinte dans ses bras paisiblement." Ils étaient mariés depuis 55 ans et se connaissaient depuis qu'ils étaient enfants, à Cuba. Ils ont fui l'île dans les années 50 pour s'installer dans le sud de la Californie et ne se sont jamais quittés.
Même s'il a compris qu'elle n'est plus là, Armando Berriz ne lâche pas sa femme. Il va la tenir très longtemps dans ses bras. Puis, lorsque la fumée s'est un peu dissipée et que la fournaise est moins intense, il commence à marcher vers le bas de la colline, dans un décor apocalyptique, de carcasses de voiture et de maisons calcinées, jusqu'au moment où il tombe sur des pompiers qui l'emmènent à l'hôpital.
Monica et Luis Ocon ont passé, eux, la nuit à faire le tour des hôpitaux à la recherche du couple Berriz. Un pompier qu'ils rencontrent prend leur numéro de téléphone et leur promet de les chercher. À 9 heures du matin, il leur envoie un texto leur disant de venir tout de suite au Santa Rosa Memorial Hospital. D'un camion émerge Armando Berriz, les mains et les bras couverts de pansements. Il est seul. "Ça a été très dur pour lui, mais il est incroyablement fort", explique son gendre. Sur la photo publiée quelques jours plus tard dans les journaux, on voit des brûlures sur son visage, mais il sourit.
En tout, 40 personnes ont péri dans les incendies qui continuent de faire rage en Californie.
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