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Journée nationale de la Diaspora : Mouhamadou Moustapha Diouf, ingénieur nucléaire, appelle à mobiliser l’intelligence scientifique de la diaspora sénégalaise.

Rédigé par leral.net le Mardi 16 Décembre 2025 à 22:50 | | 0 commentaire(s)|

XALIMANEWS: Ingénieur, physicien et écrivain sénégalais établi en France, Mouhamadou Moustapha Diouf incarne une diaspora hautement qualifiée, à la croisée de l’exigence scientifique et de l’engagement civique. À l’occasion de la Journée nationale de la Diaspora, il livre une réflexion profonde sur la condition diasporique, interroge la place réelle accordée aux compétences sénégalaises de haut […]

XALIMANEWS: Ingénieur, physicien et écrivain sénégalais établi en France, Mouhamadou Moustapha Diouf incarne une diaspora hautement qualifiée, à la croisée de l’exigence scientifique et de l’engagement civique. À l’occasion de la Journée nationale de la Diaspora, il livre une réflexion profonde sur la condition diasporique, interroge la place réelle accordée aux compétences sénégalaises de haut niveau et plaide pour une mobilisation stratégique des savoirs scientifiques au service du développement national. Optimiste mais lucide, il insiste sur la centralité de l’effort intellectuel, de la science et de la formation de long terme pour bâtir le Sénégal de demain.

Que représente pour vous la Journée nationale de la Diaspora en tant que Sénégalais vivant en France ?

Vous savez, il y a quelque chose de paradoxal dans cette journée. On célèbre ceux qui sont partis, ceux qui ont pris l’avion, la pirogue parfois (et je pèse chaque mot), pour aller voir ailleurs si la vie tenait enfin ses promesses. Et pourtant, c’est une célébration ancrée ici, au Sénégal, dans cette terre qui ne nous a jamais vraiment quittés, même quand c’est nous qui l’avons quittée.

Pour moi, cette journée, c’est d’abord un miroir. Un miroir qu’on tend à ceux d’entre nous qui vivent cette étrange condition de l’entre-deux : être là-bas tout en pensant ici, parler français dans les labos parisiens tout en réservant le wolof (ou le sérère, pour ceux qui me connaissent) aux coups de fil du week-end.

Vivre en France, c’est consentir à un certain écartèlement, fertile celui-là, je dirais même productif. On y apprend des choses, oui : des méthodes rigoureuses, une certaine culture de l’exigence scientifique, cette manière presque maniaque qu’ont les Français de tout vouloir démontrer, sourcer, étayer jusqu’à l’obsession.

Mais la vraie question que cette journée nous pose, à nous tous dispersés aux quatre coins du monde, c’est : et maintenant, qu’en faites-vous ? Comment ces savoirs, ces réflexes intellectuels aiguisés ailleurs peuvent-ils irriguer le pays ? Comment revenir intellectuellement, symboliquement et concrètement pour ne pas demeurer de simples absents qu’on regrette, mais devenir des présences actives, même à distance ?

Alors évidemment, le prolixe que je suis aurait préféré, mille fois, une vraie entrevue plutôt qu’une interview numérique. Les infinies nuances qu’on peut faire passer dans un entretien oral ne pourront jamais se loger dans ces phrases couchées sur du papier A4. Mais voilà, c’est cela aussi vivre dans la diaspora : on compose avec les distances. On fait avec ce qui reste possible.

Comment la diaspora peut-elle, selon vous, contribuer concrètement au développement du pays ?

Je pense qu’on se trompe parfois sur ce que la diaspora peut véritablement apporter. On pense tout de suite aux remises (les transferts d’argent vers le pays) ou à la tsedaka, comme disent les Hébreux, cette charité qui oblige. Et c’est vrai, cet argent-là nourrit des familles entières, finance des projets. Mais si on s’arrête à cette dimension comptable, on passe à côté de l’essentiel.

Le Sénégal compte aujourd’hui plus de 700 000 de ses enfants dans la diaspora. Ils y sont de vrais ambassadeurs, investisseurs (dans l’immobilier, l’entrepreneuriat, l’éducation) et porteurs d’idées, de compétences. Auraient-ils été capables de tout cela s’ils étaient restés ? La question mérite d’être posée.

Je la formule autrement : ne peut-on pas, depuis Barcelone ou Montréal, avoir plus d’impact sur son pays que certains qui n’ont jamais quitté le Sénégal ? Au fond, qu’est-ce qui compte véritablement : être au pays ou agir pour le pays ?

À chacun d’entre nous d’y réfléchir et de trouver ses propres réponses.

Pour répondre concrètement à votre question, je dois vous en poser une autre, plus acérée encore : comment expliquer que le Sénégal élabore sa loi nucléaire, ambitionne de se doter d’un réacteur de recherche et s’engage dans l’électronucléaire civil, sans mobiliser ses meilleures ressources humaines dans ce domaine ?

Pourquoi ne pas confier à ces Sénégalais brillants de la diaspora la gestion de certaines affaires essentielles du pays pour leur permettre de contribuer au développement de la cité ? Ils en ont la compétence, mais surtout le désir ardent d’être utiles, de transmettre, de participer au redressement du pays. Mais à qui s’adresser ?

Je garde encore un tout petit peu l’espoir que les prochains gouvernements, ainsi que les décideurs publics qui me liront, auront la lucidité et le courage d’aller les chercher, où qu’ils se trouvent. Oui, il faudra aller les chercher. Car, en plus de leurs efforts patriotiques, il y a une curieuse règle mathématique qui s’établit : importer des adultes déjà formés augmente le PIB. Le principe est simple : pas de coût éducatif au préalable, une productivité immédiate, ce qui fait un gain net pour l’économie. C’est ainsi que se produisent les bonds de croissance les plus rapides.

Quel regard portez-vous sur l’avenir du Sénégal en matière de science, d’innovation et de formation des jeunes ?

Je suis optimiste. Mais pas de ces optimismes de façade qui nous bercent d’illusions. On dit souvent : « Nos jeunes sont brillants, tout ira bien. » Et c’est vrai, ils le sont. Je les ai vus, ces jeunes Sénégalais qui franchissent les portes de Polytechnique, de Centrale, des Arts et Métiers.

Mais le talent seul ne suffit jamais. Jamais. Ce qui nous manque encore, c’est d’ériger l’effort intellectuel en valeur cardinale. Chez nous, on célèbre volontiers la réussite rapide, l’ascension fulgurante, ce qui brille tout de suite. Or la science procède autrement : elle se nourrit d’années d’errements, de fausses pistes, d’hypothèses effondrées avant que surgisse enfin la percée.

L’innovation n’est jamais un éclair solitaire. Elle naît d’un sol préparé avec obstination : des laboratoires dotés, des chercheurs qui ne courent pas après les consultances pour survivre, des étudiants protégés de la précarité, et surtout, des politiques qui résistent aux soubresauts du politique.

Quant à la formation, je n’insisterai pas ici sur une méthodologie quelconque — j’en ai développé une dans mon dernier ouvrage, Un chemin si étroit (p. 29), paru chez L’Harmattan en 2024.

Je propose simplement de commencer par la création d’émissions scientifiques sur la RTS : un Journal des sciences quotidien, diffusé du lundi au vendredi de 18h à 18h20, qui ferait entrer la science dans les foyers sénégalais avec la même régularité que le journal télévisé.

Le week-end, un Magazine des sciences plus technique, animé par une équipe pluridisciplinaire — mathématicien ou physicien, biologiste ou naturaliste, et journaliste scientifique — avec reportages et invités pour expliciter l’actualité scientifique : physique quantique, intelligence artificielle, médecine, astronomie…

Imaginez l’effet sur un enfant de douze ans à Kédougou ou à Ziguinchor découvrant que la science n’est pas une affaire de Blancs en blouse blanche dans des films hollywoodiens, mais une aventure humaine à laquelle il peut, lui aussi, participer.

Je sais bien qu’il n’est pas prévu que je devienne ministre des Télécommunications ou directeur général de la RTS — et ce n’est probablement pas souhaitable. Ce projet a donc peu de probabilités de se concrétiser. Mais je le lance quand même, parce que les idées ont parfois cette capacité étrange de germer là où on ne les attend pas.

Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes Sénégalais, à l’occasion de cette Journée nationale de la Diaspora ?

Aux jeunes, je dirais d’abord : ne craignez pas l’effort. Je sais que ce discours peut paraître un peu bateau, presque comme un sermon d’aîné. Mais croyez-moi, c’est la vérité la plus triviale et la plus libératrice.

Formez-vous. Exigez l’excellence de vous-mêmes et de vos institutions. Le savoir est le seul héritage qu’on ne peut vous confisquer.

Regardez ce pays. Il a besoin de vous. Le Président Bassirou Diomaye Faye a besoin de vous. Pas comme diplômés qui paradent lors des cérémonies, mais comme bâtisseurs : des femmes et des hommes formés, intègres, conscients que la réussite personnelle n’a de sens que si elle nourrit le collectif.

Enfin, si tu es amoureux des sciences, je te donne rendez-vous au Duel-Polytech, cette saine rivalité de nos élèves-ingénieurs. Si tu aimes lire, je te recommande Les Analectes de Confucius. Et pour les âmes philosophiques, La République de Platon et Pensées pour moi-même de Marc Aurèle.

Le reste viendra de vous. De votre audace, de votre patience, de votre refus du médiocre.
Le Sénégal vous attend. Non pas tel qu’il est, mais tel que vous allez le façonner.

interview réalisée par Papa Ibrahima Diop Vito, Xalima le 16 décembre 2025




Source : https://xalimasn.com/2025/12/16/journee-nationale-...