L'AFRIQUE, FER DE LANCE HISTORIQUE DE LA RECONNAISSANCE PALESTINIENNE

Avec 52 pays sur 54 ayant officiellement reconnu l'État palestinien, le continent africain constitue le bloc le plus solidaire de la cause palestinienne au niveau mondial. Cette quasi-unanimité, qui ne souffre que de deux exceptions - le Cameroun et l'Érythrée -, fait de l'Afrique le principal soutien diplomatique du peuple palestinien sur la scène internationale.

Cette cohésion remarquable ne relève pas du hasard. Elle puise ses racines dans l'histoire commune des luttes anticoloniales et anti-impérialistes qui ont marqué le XXe siècle. Les peuples africains, ayant vécu l'expérience de la domination coloniale, reconnaissent dans le combat palestinien un écho de leurs propres luttes pour l'indépendance et la dignité.

L'engagement africain en faveur de la Palestine trouve son point de départ symbolique en 1988, lorsque Yasser Arafat, chef de l'OLP en exil, choisit Alger pour déclarer l'indépendance de la Palestine. Ce n'est pas un hasard si le leader palestinien privilégie le sol africain pour cet acte fondateur : il reconnaît ainsi la solidarité naturelle entre les mouvements de libération.

La réaction du continent ne se fait pas attendre. Dans la foulée de cette déclaration historique, entre 1988 et 1989, une quarantaine d'États africains reconnaissent officiellement la Palestine. Ce mouvement continental précurseur devance de plusieurs décennies les hésitations européennes et l'immobilisme occidental sur cette question.

L'exemple le plus emblématique de cet engagement reste celui de l'Afrique du Sud post-apartheid. En 1995, Nelson Mandela, fraîchement arrivé au pouvoir après la chute du régime raciste allié de Tel-Aviv, fait de la reconnaissance de la Palestine l'une de ses toutes premières mesures politiques. Un geste hautement symbolique qui témoigne de la continuité des luttes contre l'oppression.

Cette filiation historique trouve aujourd'hui son prolongement le plus spectaculaire avec la saisine de la Cour internationale de justice par Pretoria. Le 26 janvier 2024, la plus haute juridiction onusienne a rendu une décision historique, imposant à Israël des mesures conservatoires pour "prévenir et punir l'incitation directe et publique à commettre un génocide à l'égard des membres du groupe palestinien dans la bande de Gaza."

Cette plainte sud-africaine ne relève pas de l'opportunisme diplomatique. Elle s'appuie sur une analogie historique douloureuse mais éclairante. "En examinant les souffrances des Palestiniens, nous avons constaté que ce qu'ils vivent présente des similitudes avec ce que nous Sud-Africains nous avons vécu", expliquent les autorités de Pretoria, qualifiant la situation à Gaza d'"assaut génocidaire et massacre du peuple de Palestine."

Cette grille de lecture, forgée dans l'expérience de l'apartheid, donne une légitimité particulière à l'action sud-africaine. Peu de pays au monde peuvent revendiquer une connaissance aussi intime des mécanismes de l'oppression systémique et de la ségrégation institutionnalisée.

Résistance aux tentatives de séduction israéliennes

Face à ce soutien continental, Israël a tenté de modifier la donne par le biais de la coopération économique. En 2016, Benjamin Netanyahu effectue une mini-tournée stratégique en Afrique de l'Est, accompagné de représentants d'une cinquantaine d'entreprises israéliennes. "L'Afrique est un continent en plein essor", déclarait-il alors, se félicitant d'être "le premier Premier ministre israélien à venir en Afrique subsaharienne depuis plus de 20 ans."

Cette offensive économique a porté ses fruits dans certains domaines. Aujourd'hui, des sociétés israéliennes sont implantées dans une quarantaine de pays africains, particulièrement dans l'agriculture, la gestion rationnelle des eaux dans les zones arides, et surtout la sécurité. C'est précisément dans ce dernier domaine qu'Israël jouit d'une réputation d'excellence, protégeant notamment des dirigeants comme le président camerounais Paul Biya.

Cette coopération sécuritaire explique d'ailleurs pourquoi le Cameroun demeure, avec l'Érythrée, l'une des rares exceptions au consensus continental pro-palestinien.

Malgré une influence géopolitique globale moindre qu'à l'époque de la Guerre froide, les États africains conservent un poids considérable dans l'enceinte onusienne, où ils disposent de 54 voix. Cette force numérique se traduit par une cohésion remarquable sur le dossier palestinien.

"Chaque fois qu'il y a une résolution appelant à une trêve ou condamnant une action israélienne, l'Afrique vote massivement en faveur de la résolution et donc contre la politique israélienne", constate-t-on. Cette discipline de vote fait du bloc africain un acteur incontournable des débats sur le Proche-Orient aux Nations unies.

Cette position diplomatique trouve son écho dans les opinions publiques africaines. Aux quatre coins du continent, le soutien à la Palestine traverse les clivages sociaux et politiques, témoignant d'une solidarité qui dépasse les seuls calculs géopolitiques des gouvernements.

Cette adhésion populaire constitue un socle solide pour l'engagement diplomatique des États africains, rendant peu probable un revirement de leur position malgré les pressions économiques ou politiques extérieures.

L'engagement africain en faveur de la Palestine illustre la permanence de solidarités forgées dans l'histoire des luttes de libération. Premier continent à reconnaître massivement l'État palestinien, l'Afrique maintient aujourd'hui cette position de principe avec une constance remarquable.

La saisine de la Cour internationale de justice par l'Afrique du Sud en 2024 témoigne de cette continuité historique et de la détermination du continent à porter la voix palestinienne dans les instances internationales. Une fidélité qui fait de l'Afrique le plus sûr allié diplomatique du peuple palestinien sur la scène mondiale.