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L'ARACHIDE, LA DICTATURE D'UNE GRAINE

Rédigé par leral.net le Mardi 9 Décembre 2025 à 00:05 | | 0 commentaire(s)|

L’arachide. Depuis avant l’indépendance du Sénégal, elle s’impose comme une évidence, un réflexe, presque un dogme national. À peine les dernières pluies se sont-elles retirées que cette culture redevient l’objet de toutes les spéculations.

L’arachide. Depuis avant l’indépendance du Sénégal, elle s’impose comme une évidence, un réflexe, presque un dogme national. À peine les dernières pluies se sont-elles retirées que cette culture redevient l’objet de toutes les spéculations. Pour cette année, cela a déjà commencé avec la polémique sur les modalités de fixation du prix plancher et sur le démarrage effectif de la campagne de commercialisation.

Ce cycle immuable, presque rituel, est devenu une hantise annuelle. À croire que le Sénégal, pourtant riche de sols variés et de nombreuses potentialités, est condamné à tourner autour d’une seule culture comme autour d’un soleil permanent. Produit phare depuis que les colons l’ont introduite ici, l’arachide cristallise chaque année les mêmes débats : disponibilité des intrants, qualité des semences, financement, commercialisation, prix plancher, rôle des huiliers, concurrence des acheteurs étrangers… Une litanie interminable. On en oublierait presque que le pays produit aussi du mil, du maïs, du sorgho, des fruits et des légumes. Mais voilà : l’arachide n’est pas une spéculation comme les autres. On l’a laissée prendre racine comme une plante envahissante. Elle est devenue une identité sénégalaise, comme le cacao l’est pour la Côte d’Ivoire, le coton pour le Burkina.

Une véritable colonne vertébrale. Comme le rappelait Baba Dioum, ancien coordonnateur général de la Conférence des ministres de l’Agriculture de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, dans Le Soleil : « L’arachide est une épine dorsale de notre économie […] la seule filière qui peut dégager plus de 100 milliards de Fcfa au cours d’une campagne ». Difficile, avec de tels chiffres, de minimiser son poids. Mais c’est justement cette centralité qui pose problème. Selon des données de 2016, l’arachide mobilise 63 % de la population rurale, 482 000 exploitations et fait vivre environ 4 millions de Sénégalais. Une machine sociale, économique et politique impressionnante. Mais cette attention presque exclusive accordée à la « reine des champs » – subventionnée massivement, seule culture à s’inviter à la table du Conseil des ministres pour la fixation de son prix – se fait au détriment des cultures vivrières, pourtant indispensables pour réduire notre dépendance alimentaire, mais qui ne bénéficient pas de la même volonté politique.

Pourtant, chaque gouvernement annonce vouloir se détacher du monoculturel historique, diversifier la production… Hélas, campagne après campagne, tout recommence. Comme un phénix renaissant de ses cendres, l’arachide revient chaque année avec les mêmes polémiques, les mêmes impasses, les mêmes urgences répétées. Une année, c’est le manque d’engrais ; une autre, la mauvaise qualité des graines. Mais le constat final reste toujours le même : la commercialisation est en turbulence. On pourrait presque prévoir les plaintes avant même le début de la saison. Pourtant, l’État n’est pas absent : depuis 2020, les montants destinés à la subvention des intrants ne cessent de croître. Cette année, l’enveloppe atteint 150 milliards de Fcfa. Et l’essentiel est, une fois encore, consacré à la reine arachide. L’effort est réel, mais il ne résout rien de structurel.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de plaider l’abandon d’une culture qui fait vivre des millions de Sénégalais, mais de sortir d’une dépendance dangereuse. Une agriculture reposant presque entièrement sur une seule spéculation est vulnérable aussi bien au climat, au marché mondial, aux choix des acheteurs étrangers, aux fluctuations des intrants, qu’aux incertitudes liées à une graine sur laquelle on continue de faire peser tous les espoirs. Le Sénégal ne pourra atteindre la souveraineté alimentaire tant que l’arachide accapare la majorité des ressources financières, politiques et symboliques. Il est temps que l’arachide cesse d’être un mythe pour redevenir une culture parmi d’autres. Une culture importante, certes, mais non hégémonique. Le Sénégal ne pourra réformer son agriculture qu’en repensant… sa relation à l’arachide.

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Alioune


Source : https://www.seneplus.com/opinions/larachide-la-dic...