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LE CAMEROUN S'ENFONCE DANS LE NIHILISME, SELON ACHILLE MBEMBE

Rédigé par leral.net le Samedi 23 Août 2025 à 01:00 | | 0 commentaire(s)|

Dans un entretien fleuve sur Vox Africa, le philosophe camerounais compare son pays à Haïti sous Duvalier et affirme que "seule une révolution peut sauver le Cameroun". "Biya a gâché nos vies", lance-t-il

Invité ce vendredi 22 août 2025 de l'émission "Décrypter l'Afrique" sur Vox Africa, le philosophe et historien Achille Mbembe n'a pas mâché ses mots concernant la situation politique au Cameroun à quelques semaines de l'élection présidentielle du 12 octobre.

Dès les premières minutes de l'entretien, Mbembe dresse un portrait sombre de son pays natal. Le Cameroun s'enfonce selon lui dans "un cycle nihiliste" qui "ne semble reposer sur rien, ni en relation avec un passé extrêmement puissant ni au regard des grands défis auxquels l'humanité et l'Afrique font face".

L'intellectuel qualifie l'élection présidentielle à venir de "fiction électorale" dont "les résultats sont tout à fait connus". Pour lui, cette mascarade s'inscrit dans une "tonton macoutisation générale de la classe politique", référence au régime dictatorial haïtien des Duvalier.

Face à l'éviction de Maurice Kamto par le Conseil constitutionnel et aux recours juridiques d'autres opposants, Mbembe se montre pessimiste. "Je pense que ça vient trop tard", déclare-t-il, estimant que ces démarches ne s'articulent pas à "des luttes sociales propres".

L'historien dénonce un phénomène de "caporalisation" totale des institutions : "Il n'existe pas au Cameroun d'institutions indépendantes capables de conduire ou de concevoir des élections compétitives." Dans ce contexte, seule "une révolution peut sauver le Cameroun", affirme-t-il, précisant qu'il s'agit d'un processus d'"autodéfense" face à une "guerre civile permanente" menée par l'État contre son peuple.

Interrogé sur les 43 années de pouvoir de Paul Biya, Mbembe ne trouve "pas du tout ce qu'il faut retenir" de cette période. Il évoque une ère de "destruction du peu qu'Ahidjo avait essayé de mettre en place" et d'"aplatissement généralisé".

"Il aura gâché nos existences", assène l'intellectuel, déplorant l'écrasement de "la mémoire des luttes nationalistes" et le sort réservé aux grandes figures de l'intelligence camerounaise comme Mongo Beti. Son verdict est sans appel : "43 années perdues".

L'entretien aborde également la récente reconnaissance par Emmanuel Macron de la responsabilité française dans la guerre menée contre les mouvements indépendantistes camerounais entre 1945 et 1971. Mbembe, qui a consacré une partie de sa carrière à documenter cette histoire, salue cette initiative tout en réclamant des "conséquences concrètes".

Parmi ses demandes : la "relocalisation de la tombe de Ruben Um Nyobé" et la réhabilitation officielle des figures du nationalisme camerounais. Mais il pointe aussi les responsabilités camerounaises : "Il y a un vide abyssal du point de vue matériel et moral" qui empêche la construction d'une "communauté morale qui respecte les vivants comme les morts".

Défense de ses relations avec Macron

Face aux critiques sur ses liens avec le président français, Mbembe revendique son statut d'"Africain" porteur de passeports camerounais et sénégalais. "Je ne suis pas le représentant d'Emmanuel Macron", se défend-il, prônant une "politique avec l'autre" plutôt que l'isolement.

Il assume ses échanges avec Macron, qu'il décrit comme "quelqu'un d'absolument intéressant" avec "une intelligence vive, rapide", tout en maintenant ses positions critiques sur les politiques européennes d'immigration et autres sujets de désaccord.

L'entretien se termine sur une note géopolitique avec l'évocation de Gaza à travers le prisme de la "nécropolitique", concept développé par Mbembe. Il définit ce terme comme "le pouvoir souverain qui consiste à décider qui doit vivre, qui doit mourir", qualifiant Gaza de "tombeau des illusions civilisationnelles du monde occidental".

Au-delà du Cameroun, Mbembe plaide pour une Afrique qui "redevienne son propre centre" et met en garde contre la transformation du continent en "double prison" par la prolifération des frontières. Son message final résonne comme un appel : "Il faut se mettre debout" car "si on ne se met pas debout maintenant, on va le payer pendant très longtemps, nous et ceux qui viennent après nous".

L'intellectuel conclut en réaffirmant sa philosophie de la relation plutôt que de l'identité, s'inscrivant dans ce qu'il appelle "une vieille tradition critique afrodiasporique" qui privilégie le "commun" et le "vivant".

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https://www.youtube.com/watch?v=7vHUiYiG5n8
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Farid


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