LE COUP DE GUEULE DES ARCHITECTES NATIONAUX

AUTOROUTE THIES-TOUBA, POLITIQUE INFRASTRUCTURELLE DU REGIME ACTUEL


Ousseynou Faye, Président du Syndicat national des architectes du Sénégal (Synas), n’est pas content de la manière dont le régime de Macky Sall déroule son programme d’infrastructures. Et le marché de la construction de l’autoroute Thiès-Touba, qui, dit-on, a été octroyé à une entreprise chinoise, attise encore plus son courroux.

«Pourquoi Touba alors que l’axe de développement c’est Est-Sud ?»

Ayant minutieusement étudié le projet, le Président du syndicat des architectes nationaux doute, tout d’abord, de l’opportunité d’ériger une telle infrastructure sur l’axe Thiès-Touba. «Ce que nous ne comprenons pas, c’est pourquoi Touba, alors que l’axe de développement c’est Est-Sud. Qu’est-ce que Touba peut nous apporter en emplois, en plus-value, etc. Rien ! Touba c’est une cité religieuse. Alors que nous avons besoin de l’or de Sabadola, du marbre de Tamba, etc. Mais qui va à Kédougou. ? Personne ne sait ce qui s’y passe», peste le Ousseynou Faye. De son avis, l’Etat aurait pu, par exemple, se tourner vers la Casamance qu’il devrait désenclaver. C’est pourquoi, «l’Axe Touba n’est qu’un axe politicien, et non un axe de développement» aux yeux de M. Faye. «Et je suis sûr que Touba n’est pas prêt à voter pour Macky Sall», ajoute l‘architecte.

Et puisque aujourd’hui le pays veut stimuler la croissance économique et créer beaucoup d’emplois, la place de cette autoroute de 200 kilomètres aurait pu être ailleurs : «Il faut qu’on évite de faire de la politique politicienne. L’argent investi sur cet axe n’est pas opportun. Moi, je parle économie et de l’avenir de ce pays. On ne peut pas développer ce pays en mettant 400 milliards dans une région où il n’y a aucune offre. Cela pose problème», déclare M. Faye. Et de l’avis du secrétaire exécutif du Syndicat, M. Idrissa Ndiaye, cette façon de faire va même à l’encontre de l’esprit de l’Acte III de la décentralisation: «On ne peut pas se lancer dans l’Acte III de la décentralisation, vouloir faire des territoires viables et se mettre à réaliser des ouvrages dont on doute de la pertinence». Et ce dont notre pays a besoin, c’est plutôt terminer le maillage du territoire en routes et en pistes de production.

«400 milliards pour 200 km c’est même sauvage»

Des doutes, ces architectes en ont émis sur le coût de ce projet: «400 milliards pour 200 km c’est même sauvage. C’est même de la provocation. Nous formulons des doutes sur la fiabilité des estimations par rapport au montant avancé, et nous aimerions qu’il y ait plus de transparence et d’explication», réclame le secrétaire exécutif. «On avance des coûts, il n’y a pas de possibilités de vérifier si les bases d’évaluation sont rationnelles, s’il y a des surfacturations ou pas», dénonce M. Ndiaye, qui est chargé des questions de transparence dans les marchés publics au sein de son syndicat. Et le Président de son syndicat d’avertir: «Nous sommes en train de faire un dossier sur l’autoroute Thiès-Touba et Dakar Diamniadio».

Puisque la norme voudrait que «tout projet de ce genre repose sur une étude d’opportunité fiable, c’est-à-dire si on doit investir autant d’argent pour faire un tel ouvrage, il faut qu’il y ait des retombées économiques et au plan social», Idrissa Ndiaye se désole qu’aujourd’hui, «tous les projets sortent des tiroirs de la présidence sans débat, ni planification ni concertations. Ce qui n’est pas normal». Pis, l’avis des professionnels n’est pas recueilli, dénonce M. Ndiaye. Et pourtant, dans ce projet d’autoroute, ce sont des architectes, des ingénieurs, des géographes, ou des environnementalistes qui y travailleront. Et dans notre pays par exemple, «il y a de l’expertise pour faire les études et les travaux». Et «toutes ces personnes ressources doivent être impliquées aussi bien dans l’étude de projet que dans l’élaboration», dit-il. Et sur cette question de transparence nationale, le régime de Macky Sall ne semble pour le moment pas faire mieux que celui de Wade. «Il est inadmissible que dans un pays que l’Etat se tourne vers l’extérieur et que les opérateurs nationaux soient oubliés. Depuis plus de 15 ans, ce que nous notons, c’est que l’Etat s’endette pour réaliser ces ouvrages. Au finish, même 10% de ces montants ne profitent pas aux entreprises sénégalaises. Moins de 5% de l’expertise travaillent sur ces projets», dénonce le secrétaire exécutif. Et selon Ousseynou Faye, Président du syndicat, «la préférence nationale, est une exigence». Et sous Wade, les architectes sénégalais avaient perdu 30 milliards d’honoraires en 10 ans. Tout a été gagné par des architectes étrangers.

«Quand les projets sont montés dans l’opacité totale…»

Et aujourd’hui, si les autorités ne se tournent que vers les étrangers, «elles ne doutent pas de la compétence des architectes nationaux, mais c’est qu’il y a de la corruption». «Quand les projets sont montés dans l’opacité totale on ne peut pas parler de bonne gouvernance. C’est de la corruption», indique Idrissa Ndiaye, le secrétaire exécutif qui parlait de l’autoroute Thiès-Touba. Et aujourd’hui, les architectes sénégalais se tournent les pouces, et sont au chômage. Les deux syndicalistes ont aussi insisté sur la nécessité de mettre l’accent sur les plans directeurs. «On avait parlé de plans directeurs. Par exemple, est-ce que Diamniadio aujourd'hui a un Ptu. Pourtant on est en train d’y faire une salle de conférence, des pôles urbains, des zones industrielles. Tout ça, c’est encore un labyrinthe comme à Pikine où ça va dans tous les sens et qui va demain devenir un bidonville parce qu’il n’y a aucune cohérence d’implantation. Il nous faut des plans directeurs. Les plans directeurs définissent les pôles économiques, sanitaires, industriels, etc.» a indiqué M. Faye.