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LE GÉNOCIDE SÉNÉGALAIS DES TALENTS

Rédigé par leral.net le Mercredi 29 Octobre 2025 à 23:37 | | 0 commentaire(s)|

Le moment est peut-être venu pour le Professeur Kassé d’aider Sonko, en épargnant sa faction au pouvoir de critiques envers les partis dont les contributions à la défense de la démocratie ne sauraient être jugées subitement sans intérêt

Dans une tribune à laquelle renvoie le lien à la fin de ce texte, le Professeur d’économie Moustapha Kassé planche très sévèrement sur « les turpitudes de l’opposition sénégalaise face à la trajectoire de transformations et de ruptures » d’après mars 2024. À nos yeux profanes, le plus grand intérêt de la réflexion d’un des plus grands spécialistes africains de l’économie du développement est de n’avoir pas donné le sentiment que l’auteur - nous y revenons -, désespère de la société sénégalaise dont il est lui-même - Dieu fasse qu’il en soit ainsi encore longtemps -, l’un des magnifiques produits vivants.

Que nous est-il donc arrivé qui fait que ce qui aurait dû nous valoir - disons-le comme ça -, le confort, d’une puissance moyenne européenne comme la Belgique flamande ou asiatique comme la Corée du Sud, nous échappe tant ? À telle enseigne que le doyen Moustapha Kassé livrerait sans états d’âme les principaux animateurs de l’actuelle opposition démocratique et républicaine sénégalaise à un peloton d’exécution avec - pourquoi pas -, des éléments dudit peloton qui émargent au registre du Parti des patriotes africains du Sénégal pour l’éthique, le travail et la fraternité (Pastef).

L’effaceur inattendu

Dès l’introduction de sa tribune en trois parties où il invoque « l’héritage désastreux d’une gouvernance patrimoniale et kleptocratique », le Professeur Kassé dit de « la nouvelle opposition [qu’elle] espère réaliser un chamboulement du pays par des outrances, des attaques au vitriol à l’endroit du président de la République dont la démission est exigée par des appels au soulèvement populaire ». « La plateforme proposée pour justifier cette exigence est d’une maigreur désespérante : il n’est fait nulle part allusion à une moindre violation d’un quelconque dispositif des textes fondateurs de la République », écrit-il. Pourtant, le Professeur sait très bien qu’il est inutile de recourir à la VAR pour lui faire revivre les appels imagés à l’insurrection, sans l’intervention du Procureur de la République, de l’actuel Premier ministre pendant dix bonnes années d’opposition mensongère, calomnieuse, diffamatoire et insultante pour le locataire du Palais de la République dont le destin avoué n’aurait dû être que celui du Libérien Samuel Doe « torturé et assassiné en 1990 après dix ans d’un régime de terreur ». Quant à l’allusion aux « textes fondateurs de la République » attendue de la « plateforme » de l’opposition actuelle par l’économiste, le peuple sénégalais dispense très clairement l’opposition sénégalaise du détour dès le préambule de la Constitution en ces termes :

« Le peuple du Sénégal souverain,

(…)

PROCLAME :

(…)

- « la volonté du Sénégal d'être un Etat moderne qui fonctionne selon le jeu loyal et équitable entre une majorité qui gouverne et une opposition démocratique, et un Etat qui reconnaît cette opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique »

(…)

Il n’y a pas d’équivalent préambulaire dans la Constitution ou la Charte des droits des grandes démocraties occidentales comme la Grande Bretagne à travers la Magna Carta de 1215 et la Déclaration des droits de 1689, les États-Unis d’Amérique à la faveur des 10 premiers amendements ou Déclaration des droits (Bill of Rights) de 1791, la Ve République française de 1958, aujourd’hui dans une crise de régime, l’Allemagne réunifiée, le Canada, etc. En la matière, le reste du monde est en retard sur la nation sénégalaise toujours grande par sa très haute et indépassable idée des droits et libertés. Aucun jeune, ou moins jeune, parvenu n’y touche sans, tôt ou tard, y laisser la peau.

Le moment est peut-être venu pour le Professeur Kassé de prêter main forte à Ousmane Sonko en épargnant sa faction, restée insurrectionnelle au pouvoir,  de la critique des partis et coalitions de partis dont les contributions historiques à la défense de la démocratie et des acquis démocratiques seraient subitement indignes d’intérêt. La description caricaturale se passe de commentaires. Ne nous la faisons donc pas raconter :  « Globalement, le système de partis politiques est agonisant en voie d’explosion sauf le Pastef. Il en va de même des coalitions qui se font et se défont sans aucune originalité. Les titres des Partis et des coalitions (Assane Samb) manquent terriblement d’originalité : Taxawu Senegaal, Front pour la Défense de la Démocratie et de la République (FDR), Sénégal Bi Ñu Bokk (l’opposition du vacarme et du vide), etc. Quant aux partis de la gauche dont And Jëf Authentique, Ligue démocratique (LD) avec ses multiples fractions, le RND, le Parti de l’indépendance et du travail (PIT) sont dans une extraordinaire logique de résignation en estimant puisque la place est mal défendue mieux vaut la livrer sans combattre. »

Et puisqu’il n’y a plus qu’un seul vrai parti parmi 300 autres, « l’assainissement, écrit le doyen Kassé, commande l’élimination de tous ces partis qui envahissent le landernau, déstabilisent et décrédibilisent la politique ». Surtout, ajoute l’effaceur inattendu,  « les partis, [excepté Pastef]  ne défendent aucun intérêt ni aspiration et ne doivent leur survie qu’aux organisations de la société civile au nom de la liberté d’expression ». Personne ne s’y prendrait autrement pour abolir le multipartisme intégral cher au président Abdou Diouf.

L’actualité politique en Argentine où le dirigeant ultra-libéral Javier Milei remporte, face à l’opposition péroniste,  une victoire surprise aux élections législatives de mi-mandat avec 41 % des voix pour La Libertad Avanza - le  parti de Milei -, n’est pas trop lointaine pour nous servir de sérieuse défense face aux couperets du Professeur Moustapha Kassé. Commentant les résultats en Argentine, la participante à l’émission 24 heures Pujadas, du lundi 27 octobre 2025  sur la chaîne française d’information continue LCI, la journaliste française Ruth Elkrief croit savoir que, depuis peu, quelque chose échappe aux autrices et auteurs d’analyses portant sur les victoires électorales, aux quatre coins du monde, de partis politiques dont les chefs de file ne se plaignent pas d’être considérés comme anti-élitistes au prétexte  de ne vouloir autre chose - ce qui est faux -, que rendre aux laissés-pour-compte - cas du Sénégal de mars 2021 à mars 2024 -, ce qui leur est volé pendant de très nombreuses années par l’establishment. S’il en est vraiment ainsi, il y a encore beaucoup de travail à faire pour comprendre pourquoi tout le monde fait fausse route dans l’analyse politique quand tout le monde ou presque croit détenir la vérité.

Quand la haine explique tout

En légitimant son éloge du nouveau pouvoir par ses attaques d’une rare violence de l’opposition démocratique et républicaine, le Professeur Kassé dit trois excellentes choses de Sonko. Primo, « il incarne la nouvelle génération de leader charismatique et transformationnel patriotique sans concession qui a construit un Parti adoubé par la jeunesse sénégalaise (…) ». Secundo,   « il a déconstruit le système économique, financier et politique pour débusquer sans état d’âme les pilleurs de la République (…) ». Tertio, « face à un héritage désastreux, il a su prendre de bonnes décisions relativement aux trois documents phares que sont le Plan 2050, les premières lois de finances et le Plan de redressement économique et financier ». Face à cela, l’économiste ne voit qu’un « débat politique de l’opposition (…) réputé selon beaucoup de créateurs de contenu sérieux comme “100% haineux” tourné principalement contre O. Sonko ».

Quand la « haine » de l’autre  explique tout aux yeux d’un haut personnage des sciences humaines, il est attendu de tout démocrate qu’il s’arrête sur la bisémie du mot qui rend compte d’un « sentiment violent qui pousse à vouloir du mal à quelqu’un et à se réjouir du mal qui lui arrive » en même temps qu’il signifie « l’aversion profonde pour quelque chose ». Et comme « vouloir du mal à quelqu’un et à se réjouir du mal qui lui arrive » n’a aucun sens dans une démocratie apaisée, l’aversion pour le mensonge, la calomnie, la diffamation et l’insulte dont usent le patron de Pastef et ses soutiens honore celles et ceux qui la revendique dans le débat démocratique auquel aucune personne sérieuse ne participe sans une très bonne préparation. Celle-ci montre que le Plan 2050 et celui dit de « redressement économique et social (PRES) » ne se prêtent à aucune étude sérieuse du fait de leur déconcertant caractère liminaire (20 pages imagées pour le premier et quelques feuillets volants pour le second).

À sa publication, la Stratégie nationale de développement (SND) sur la période 2025-2029 avait été considérée beaucoup plus sérieuse compte tenu de son important volume. Il n’en est rien à l’examen qui montre que la querelle sémantique faite au Plan Sénégal Émergent (PSE) - « transformation systémique » lieu de « transformation structurelle » de l’économie -, sert juste à récuser onéreusement toute idée de continuité de l’État dans les manières d’être et de faire. L’indice (positif) de spécificité (voir graphique au début de cette tribune) tourne à l’avantage de la transformation structurelle qu’un autre économiste du développement, le doyen Makhtar Diouf, explique, dans sa critique du PSE de septembre 2014 adressée à l’ancien président Macky Sall, en écrivant que « la structure concerne les organes de l’économie, la conjoncture concerne le fonctionnement des organes ».

En fin de compte, la façon dont le Sénégal dilapide son capital humain correspond à un type particulier génocide.

Tous génocidaires !

Nous l’avons dit au début de cette tribune. Le Professeur Moustapha Kassé ne désespère pas de voir de ses propres yeux - de préférence de son vivant pour nous tous -, la mobilisation sans exclusive des jeunes et moins jeunes talents de son pays. Il la professe dans un style d’écriture dont il a le secret. Le doyen pose une question à laquelle il répond opportunément en suggérant un implacable état des lieux (Kassé, Octobre 2025).

La question?

« Pourrons-nous compter un seul jour sur nos “lumières” pour éclairer les chemins complexes du développement ? »

L’état des lieux ?

« Il faut déplorer la décadence des élites politiques et intellectuelles, à l’inverse, leurs homologues asiatiques ont construit en l’intervalle d’une génération de redoutables machines économiques et financières. »

L’issue heureuse ?

« Les pathologies humaines et sociales ne sont pas des fatalités, car notre pays dispose de toutes les ressources matérielles et humaines pouvant lui permettre de sortir du sous-développement. »

L’éternel écueil ?

« Il a manqué au pays de dirigeants intègres et travailleurs. »

Pas autant que ça ! Des « dirigeants intègres et travailleurs » avaient bien été aux affaires. Les soutiens venant des élites dont ils sont issus n’ont été que factices car l’intérêt pour le pouvoir n’est que pécuniaire au pays de la Téranga pour laquelle l’homme sénégalais est prêt à tout sacrifier en commençant par le bien commun sans cesse rabougri pour le réduire à la propriété d’un clan.

Et quand la République - une conquête réussie pour avoir envoyé les enfants des paysans, éleveurs, pêcheurs et de tous les laissés-pour-compte à l’école -, honore son engagement de renouvellement régulier des élites lettrées, celles et ceux qui arrivent à tirer leur épingle du jeu de la sélection discriminent les citoyens en exhumant, dans l’exercice de leurs fonctions, les ordres anciens dont le premier pari constitutionnel est de les abolir à jamais.

La mutation de la chose publique en bien privé est l’instrument redoutable d’un génocide des talents qui fait qu’un professeur d’économie parie une fois encore sur eux sans pouvoir jurer de les voir à l’œuvre. Jeter l’anathème sur les responsables politiques, pendant qu’il contrôlent le pouvoir, paraît court. Mais les mêmes seraient bien inspirés de méditer la réflexion du docteur en droit public et criminologue Souleymane Ndiaye pour qui « les hommes politiques sénégalais ont une mentalité délinquante ».

Tous responsables, hier comme aujourd’hui,  du génocide sénégalais des talents.

Lire le Professeur Moustapha Kassé en suivant le lien :

https://www.seneplus.com/opinions/les-turpitudes-de-lopposition-senegalaise-face-la-trajectoire-de

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Le moment est peut-être venu pour M. Kassé d’aider Sonko, en épargnant sa faction au pouvoir de critiques envers les partis dont les contributions à la défense de la démocratie ne sauraient être jugées subitement sans intérêt - PAR ABDOUL AZIZ DIOP
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Source : https://www.seneplus.com/politique/le-genocide-sen...