LE MODÈLE BIYA À BOUT DE SOUFFLE

À quelques semaines de l'élection présidentielle du 12 octobre 2025, le Cameroun traverse une période d'incertitude politique majeure. Le documentaire "Où va le Cameroun" de la journaliste Marie-Roger Biloa dresse un portrait saisissant d'un pays confronté à des défis multiples, entre la question de la succession de Paul Biya et les aspirations profondes de changement de sa population.

Le 21 octobre 2024, après 49 jours d'absence qui avaient alimenté des rumeurs persistantes sur sa mort, Paul Biya fait son retour au Cameroun dans une mise en scène digne d'un couronnement, selon le documentaire. Cette absence prolongée avait généré "une période nourrie d'incertitude" et "un président déclaré mort par une rumeur intensifiée par les réseaux sociaux".

Comme le confie Michèle Ndoki, avocate et membre de la société civile, interrogée dans le documentaire : "On a vu le président de la République revenir et ne pas prendre la parole. Absolument pas. Ni ce jour-là, ni plus tard. On a vu quelques rares images et puis il a redisparu, il est reparti dans le silence."

Le 13 juillet 2025, Paul Biya lève finalement le suspense en annonçant sur ses réseaux sociaux sa candidature pour un huitième mandat : "Je suis candidat à l'élection présidentielle du 12 octobre 2025. Soyez assurés que ma détermination à vous servir est à la mesure de l'acuité des défis auxquels nous sommes confrontés."

Cette candidature, à 93 ans, divise profondément la classe politique camerounaise. Selon le documentaire, certains partisans estiment qu'"un 8e mandat de Paul Biya lui permettrait de poursuivre les grandes réalisations qu'il a entamé", tandis que l'opposition dénonce une violation des accords de limitation des mandats issus de la conférence tripartite.

Un bilan contesté après 42 ans de pouvoir

Le règne de Paul Biya, qui dure depuis plus de 42 ans (après avoir été premier ministre pendant 7 années), fait l'objet d'évaluations contrastées. Le documentaire souligne que cette longévité "quasi sans précédent sur le continent africain" s'accompagne de défis persistants : corruption, inégalités sociales, état dégradé des infrastructures, défaillances des systèmes de santé et d'éducation.

Un témoignage particulièrement critique rapporte : "Le président Paul B est arrivé au pouvoir. Je devais être en classe de C2 à l'école de Banda et quand je regarde ce moment-là de l'enfance pour aujourd'hui il y a même pas eu beaucoup de bâtiments qui ont changé."

La situation s'est encore dégradée avec la démission retentissante, en juin et juillet 2025, de deux ministres de poids : Isa Chiroma Bakari (ministre de l'Emploi) et Bobuba Maigari (ministre d'État chargé du Tourisme). Ils dénoncent "l'essoufflement d'un système qui ne fonctionne plus" et affirment que "le président de la République est atteint par l'âge" et "n'a plus le pouvoir physique".

Le documentaire met en lumière les dysfonctionnements profonds du système judiciaire camerounais, qualifié de "justice à double vitesse et aux ordres du régime". Deux cas emblématiques illustrent cette crise : celui d'Amadou Vamouké, journaliste condamné à 32 ans de prison dans des conditions contestées, et l'assassinat de Martinez Zogo, animateur radio torturé et tué en janvier 2023.

Ces dysfonctionnements ont contribué à placer le Cameroun au 130e rang sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters Sans Frontières en 2024.

Des défis sociaux et économiques majeurs

Le documentaire révèle l'ampleur des difficultés socio-économiques du pays. Le taux de chômage a culminé à 74% en 2024, notamment chez les jeunes. La corruption généralisée gangrène l'économie : selon la Cour des comptes citée dans le documentaire, "180 milliards ont été détournés" pendant la gestion de la Covid-19.

Les grèves récurrentes dans l'éducation, avec un mouvement des enseignants réclamant "185 milliards de francs CFA" d'arriérés, témoignent de la déliquescence des services publics.

Huit ans après son déclenchement en 2017, la crise dans les régions anglophones reste "vivace et coûteuse en vie humaine", selon le documentaire. Malgré les mesures gouvernementales, le conflit perdure dans une logique de "basse intensité" avec des patrouilles militaires régulières.

Certains acteurs politiques plaident pour un "retour au système fédéral" comme solution durable, estimant que "cette crise anglophone ne peut être résolue que par retour au système fédéral".

Face au parti au pouvoir RDPC, l'opposition peine à s'organiser efficacement. Le documentaire souligne les difficultés à dégager "un candidat unique de l'opposition", chaque leader préférant maintenir sa propre candidature.

Comme l'analyse un responsable politique interrogé : "Je ne vois pas quelqu'un qui va dire non mais vas-y toi tu vas être président je suis derrière non chacun va être président donc il faut s'entendre."

Les risques d'instabilité

Le documentaire alerte sur les dangers d'une crise post-électorale. Plusieurs acteurs politiques craignent qu'une impasse électorale puisse "créer une voie pour l'armée", sur le modèle de ce qui s'est passé récemment au Gabon.

Un analyste met en garde : "Si l'impasse est organisé et c'est ce que je pense, on est en train de créer une voie pour l'armée [...] Et dans le cas du Cameroun, un impasse est déjà presque à mon avis tout préparé."

L'élection du 12 octobre 2025 s'annonce comme un moment décisif pour l'avenir du Cameroun. Entre la perspective d'un huitième mandat de Paul Biya et les aspirations au changement d'une population confrontée à de multiples crises, le pays se trouve à un tournant historique.

Comme le conclut Marie-Roger Biloa : "Une nouvelle impulsion sera-t-elle possible au Cameroun en 2025 ? Réponse après le 12 octobre."