LE SÉNÉGAL AU CŒUR D'UN NOUVEAU RÉSEAU CRIMINEL

(SenePlus) - Le Sénégal est devenu un maillon essentiel des nouvelles routes du narcotrafic international. Des groupes criminels des Balkans utilisent le pays comme base logistique pour acheminer la cocaïne vers l'Europe, transformant Dakar en carrefour stratégique du crime organisé mondial.

Quinze ans après la saisie spectaculaire de "près de 2,5 tonnes de cocaïne au Sénégal en 2007" mentionnée dans l'enquête de Jeune Afrique, le pays fait face à une menace criminelle d'une tout autre ampleur. Le territoire sénégalais s'impose désormais comme un hub incontournable pour les réseaux de narcotrafiquants internationaux, particulièrement ceux originaires des Balkans qui ont révolutionné l'acheminement de drogue vers l'Europe.

Selon le rapport de Global Initiative publié par Jeune Afrique le 2 septembre 2025 sous la plume de la journaliste Maÿlis Dudouet, le Sénégal occupe une position géographique cruciale dans cette nouvelle cartographie criminelle. "Ces groupes albanophones relient notamment les îles Canaries par le biais du Sénégal et de la Gambie", révèle l'enquête, plaçant le pays au centre d'une route maritime stratégique vers l'Europe.

Le port de Dakar constitue l'un des points névralgiques de cette transformation criminelle. Les infrastructures portuaires sénégalaises, développées pour dynamiser l'économie nationale, offrent paradoxalement de nouvelles opportunités aux trafiquants internationaux. Ces derniers exploitent "l'accroissement exponentiel du trafic de marchandises que les autorités locales peinent à contrôler, faute de moyens", comme le souligne le rapport de Global Initiative.

Cette vulnérabilité structurelle fait du Sénégal un maillon privilégié dans une chaîne criminelle qui s'étend de l'Amérique latine aux marchés européens. Le pays sert de plateforme logistique pour des organisations d'une sophistication inédite, capables de transporter "des cargaisons de plusieurs tonnes" dans des conditions d'impunité préoccupantes.

L'implantation de ces réseaux au Sénégal s'inscrit dans une stratégie plus large de conquête de l'Afrique de l'Ouest. "Près de 30 % de la cocaïne acheminée en Europe transiteraient aujourd'hui par l'Afrique de l'Ouest", révèle l'étude, avec des projections alarmantes qui portent ce chiffre à "50 % d'ici à 2030".

Une alliance criminelle aux ramifications mondiales

Le Sénégal se trouve pris dans les mailles d'une toile criminelle internationale d'une complexité remarquable. "Des groupes ou des réseaux criminels originaires des Balkans occidentaux achètent désormais les cargaisons de cocaïne à la plus grande alliance brésilienne de trafiquants [Primeiro Comando da Capital, PCC] avant d'en assurer la logistique en Afrique de l'Ouest", explique Lucia Bird Ruiz, coautrice de l'enquête citée par JA.

Cette collaboration transcontinentale transforme le territoire sénégalais en laboratoire du crime organisé moderne. Les clans monténégrins Kavač et Škaljari, particulièrement actifs dans la région, ont établi des alliances avec la redoutable 'Ndrangheta calabraise et les cartels brésiliens, faisant du Sénégal un carrefour où convergent les intérêts criminels mondiaux.

Les méthodes employées témoignent d'une professionnalisation inquiétante. "Une grande partie de la cocaïne – y compris des cargaisons de plusieurs tonnes – arrive en Afrique de l'Ouest sans être conteneurisée, cachée par exemple dans les coques des navires", révèle le rapport. Les eaux sénégalaises et le golfe de Guinée deviennent ainsi des zones de transit privilégiées pour ces opérations clandestines.

La corruption comme stratégie d'implantation

L'efficacité de ces réseaux au Sénégal repose largement sur leur capacité à corrompre les institutions locales. "Ces groupes exploitent les vulnérabilités locales pour établir des relations avec les forces de l'ordre, les opérateurs portuaires et les services de sécurité corrompus", alerte l'étude publiée par Jeune Afrique.

Cette stratégie de corruption systémique représente un défi majeur pour l'État sénégalais, dont les institutions font face à la puissance financière considérable des cartels internationaux. Les sociétés-écrans prolifèrent sur le territoire, supervisant "le stockage et le reconditionnement de stupéfiants" dans des conditions qui interrogent sur l'efficacité des dispositifs de contrôle nationaux.

Fatjona Mejdini, directrice de l'Observatoire des économies illicites en Europe du Sud-Est, éclaire cette évolution : "Cette expansion en Afrique de l'Ouest a été motivée par le renforcement des contrôles sur les routes directes entre l'Amérique latine et l'Europe". Le Sénégal devient ainsi une alternative stratégique pour des organisations contraintes de diversifier leurs itinéraires.

L'analyse de Saša Đorđević, expert de Global Initiative, révèle la sophistication de ces implantations : "Le recours à des intermédiaires est une caractéristique déterminante de ces réseaux. Ils offrent une certaine flexibilité, un accès local et servent de plus en plus de points de convergence entre les groupes".