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LES DISCUSSIONS AVEC LE FMI, LAISSENT LES INVESTISSEURS PERPLEXES

Rédigé par leral.net le Jeudi 23 Octobre 2025 à 23:57 | | 0 commentaire(s)|

Prévoir une hausse de 27% des recettes fiscales relève du "vœu pieux" selon les analystes. Il y a des questions sur la capacité du Sénégal à respecter les critères de performance d'un programme potentiel. Le spectre d'une restructuration plane

(SenePlus) - Dans un article publié jeudi 23 octobre, Zijia Song et Maria Elena Vizcaino lèvent le voile sur le climat de défiance qui règne parmi les investisseurs après leurs échanges avec la mission du FMI. "Les investisseurs qui ont quitté les réunions avec le chef de mission du FMI pour le Sénégal, Edward Gemayel, la semaine dernière avaient des doutes sur l'évaluation de la dette du pays par le prêteur, ainsi que sur le calendrier d'un accord avec le FMI", indique l'article, citant trois personnes qui ont assisté aux discussions.

Le contraste entre les différentes rencontres est particulièrement révélateur. "Alors qu'une première réunion mardi dernier avait laissé les investisseurs optimistes quant à une solution aux problèmes de dette du pays, les conversations de suivi ont révélé des inquiétudes concernant le niveau d'endettement du pays et sa trajectoire budgétaire à moyen terme", précisent les sources, qui ont demandé l'anonymat, car les discussions étaient privées.

Cette révélation exclusive de Bloomberg jette une lumière crue sur le décalage entre les déclarations officielles d'optimisme et les préoccupations réelles des acteurs du marché. Contactés par Bloomberg, ni une porte-parole du gouvernement ni le FMI n'ont répondu aux demandes de commentaires.

Les marchés ont immédiatement sanctionné cette incertitude. Les obligations en dollars du pays ont touché un plus bas de trois mois, les titres échéance 2031 chutant de 4 cents pour atteindre 77,6 cents par dollar. Bloomberg note que "la dette souveraine du pays a sous-performé la plupart de ses pairs des marchés émergents, au cours des derniers jours", témoignant d'une dégradation relative de la perception du risque sénégalais.

Cette vente massive intervient dans un contexte "d'angoisse croissante concernant les perspectives budgétaires et la capacité du gouvernement à effectuer ses paiements de dette", rapportent les auteurs de Bloomberg. Si ces préoccupations ne sont pas nouvelles, "elles ont refait surface après que les réunions du FMI de la semaine dernière à Washington ont indiqué que les niveaux d'endettement du Sénégal étaient plus élevés que prévu".

La publication du budget 2026 la semaine dernière a confirmé les craintes, montrant que le gouvernement "dépensera plus pour le service de sa dette que prévu", aggravant les pertes obligataires. Bloomberg avait déjà rapporté que le Sénégal paierait 12% de plus pour le service de sa dette après les déclarations erronées.

Mais c'est surtout le volet recettes qui suscite le scepticisme. "En même temps, les prévisions du gouvernement d'une augmentation de 27% des revenus pour compenser le fardeau croissant de la dette sont 'bien trop ambitieuses'", déclare Leo Morawiecki, analyste des marchés émergents chez Abrdn Investments, cité par Bloomberg.

"Ils devront peut-être restructurer"

Cette appréciation est particulièrement préoccupante car elle remet en question la crédibilité du scénario budgétaire sur lequel repose tout l'édifice des négociations avec le FMI. Prévoir une hausse de 27% des recettes fiscales dans un contexte économique tendu relève selon les analystes du vœu pieux plutôt que de la projection réaliste.

Morawiecki, "comme d'autres investisseurs et analystes, s'attend toujours à ce que le Sénégal parvienne finalement à un accord avec le FMI, mais il y a des questions sur la capacité du gouvernement à respecter les critères de performance d'un programme potentiel".

Sa prévision, rapportée par Bloomberg, est particulièrement sombre : "Ils obtiendront probablement l'adhésion du FMI, mais les problèmes commenceront à s'accumuler lorsqu'ils n'atteindront pas les objectifs budgétaires dans six à douze mois. Ils devront peut-être restructurer à ce moment-là, à moins qu'ils ne puissent continuer à puiser dans le marché local ou obtenir d'autres sources de financement externes."

Cette perspective d'une restructuration dans moins d'un an, même conditionnée, est une nouveauté dans le discours des analystes et explique en partie la chute des obligations. Les investisseurs commencent à intégrer ce risque dans leurs valorisations.

La position de Barclays offre un contrepoint plus optimiste, tout en restant prudente. Selon l'économiste Michael Kafe et le responsable de la recherche crédit marchés émergents Andreas Kolbe, cités dans une note aux clients datée de jeudi, bien que le pays soit confronté à des "pressions de liquidité à court terme", il peut "gérer avec le soutien du FMI et éviter tout besoin de restructuration pour le moment".

Cette formulation nuancée ("pour le moment") suggère néanmoins que même les plus optimistes n'écartent pas totalement le scénario d'une restructuration à moyen terme.

Joseph Cuthbertson, analyste souverain de l'équipe mondiale de revenu fixe des marchés émergents de PineBridge Investments, adopte une position encore plus prudente : "Même dans le cadre d'un programme, le marché externe devra voir des preuves de consolidation budgétaire, ainsi que d'autres réformes, avant de constater une amélioration durable des écarts de crédit."

En d'autres termes, obtenir un programme du FMI ne suffira pas à rassurer les marchés. Il faudra des résultats concrets.

Le poids du passé

Bloomberg rappelle le contexte de cette crise de confiance : "Le Sénégal a d'abord suscité l'inquiétude des investisseurs après qu'un examen gouvernemental de ses finances l'année dernière a révélé que l'administration précédente avait mal déclaré des chiffres financiers clés et caché 7 milliards de dollars d'emprunts."

L'article précise qu'"une mission du personnel du FMI est attendue à Dakar cette semaine pour discuter du nouveau programme de financement". Cette mission, qui se déroule du 22 octobre au 4 novembre selon d'autres sources, sera décisive pour dissiper ou confirmer les doutes révélés par Bloomberg.

Le média américain note également qu'"une équipe dirigée par le ministre des Finances Cheikh Diba a rencontré la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva à Washington la semaine dernière et les deux parties ont exprimé leur engagement à parvenir rapidement à un accord". Mais l'écart entre ces déclarations optimistes et les doutes exprimés en privé par les investisseurs illustre le fossé entre communication officielle et réalité du marché.

Au-delà des chiffres et des échéances, c'est la crédibilité même du Sénégal qui est en jeu. Le pays, longtemps présenté comme un modèle de stabilité en Afrique de l'Ouest, voit son image sérieusement écornée par cette crise.

La révélation d'une dette cachée de 7 milliards de dollars a déjà porté un coup sévère à sa réputation. Les révisions successives à la hausse des prévisions de service de la dette aggravent cette perte de confiance. Et les doutes sur la capacité à atteindre les objectifs budgétaires, même avec un programme du FMI, alimentent un cercle vicieux de défiance.

Pour retrouver la confiance des marchés, le Sénégal devra non seulement obtenir un accord avec le FMI, mais surtout prouver sa capacité à respecter ses engagements. Comme le note Joseph Cuthbertson de PineBridge, les investisseurs attendent des "preuves" de consolidation budgétaire, pas seulement des promesses.

Des signaux inquiétants

La sous-performance du Sénégal par rapport à ses pairs des marchés émergents, soulignée par Bloomberg, est particulièrement révélatrice. Elle témoigne d'une dégradation spécifique de la perception du risque sénégalais, au-delà des tendances générales affectant les pays émergents.

Cette distinction négative s'explique par l'accumulation de facteurs spécifiques au pays : la dette cachée révélée en 2024, les révisions successives à la hausse du niveau d'endettement (de 99% à 132% du PIB selon différentes évaluations), les prévisions budgétaires jugées irréalistes, et maintenant les doutes révélés par Bloomberg sur les discussions avec le FMI.

La mission du FMI à Dakar cette semaine sera scrutée de près par les marchés. Après les révélations de Bloomberg sur les doutes exprimés à Washington, les investisseurs attendent des éclaircissements sur plusieurs points cruciaux :

  • Le niveau réel de la dette, après les révisions successives
  • Les critères de performance qui seront exigés dans un éventuel nouveau programme
  • Le calendrier réaliste pour un accord
  • La nécessité ou non d'une restructuration de la dette

Les discussions techniques en cours devront dissiper les perplexités révélées par Bloomberg concernant l'évaluation de la dette et le calendrier d'un programme. Sans clarification rapide sur ces points, la défiance des marchés risque de s'accentuer encore.

L'article de Bloomberg intervient à un moment critique pour le Sénégal. En révélant les doutes des investisseurs après Washington, il met en lumière l'écart dangereux entre le discours officiel optimiste et les préoccupations réelles du marché.

Cette transparence journalistique, bien qu'inconfortable pour Dakar, pourrait paradoxalement servir le pays en forçant une clarification rapide de la situation. Les investisseurs préfèrent généralement une mauvaise nouvelle claire à une incertitude persistante.

La chute des obligations à leur plus bas niveau en trois mois, rapportée par Bloomberg, est un signal d'alarme supplémentaire. Les prochaines semaines seront décisives pour déterminer si le Sénégal peut inverser cette spirale de défiance ou si le scénario d'une restructuration de dette évoqué par certains analystes devient inévitable.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/economie/les-discussions-...