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Le Cap n’accueille pas la Coupe d’Afrique des nations. Raciste ?


Rédigé par leral.net le Dimanche 20 Janvier 2013 à 14:31 | | 0 commentaire(s)|

Le Cap n’accueille pas la Coupe d’Afrique des nations. Raciste ?
Dans le nouveau stade du Cap, blotti entre l’océan et les montagnes qui dominent la ville, 40 000 supporters sud-africains entonnent l’hymne national pour encourager leur équipe.

Le 8 janvier dernier, les Bafana Bafana ont affronté la Norvège en match de préparation, quelques jours avant la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), qui démarre ce samedi et se déroule en Afrique du Sud. Le temps d’une soirée, le Cap a retrouvé avec nostalgie l’ambiance de la Coupe du monde 2010.

Un bref moment de fête nationale dans cette ville. Car pendant les trois semaines que durera la CAN 2013, ce Green Point Stadium, le stade le plus cher au monde (4,5 milliards de rands, soit 370 millions d’euros environ), restera vide. Aucun match ne s’y jouera. Les vuvuzelas n’y résonneront pas.

Pas de CAN pour la deuxième puissance économique du pays

Le Cap n’a pas été sélectionné par le comité national, le Local Organisation Committee (LOC) pour accueillir le plus grand championnat de football du continent, contrairement à Johannesburg, Rustenburg, Nelspruit, Port Elizabeth et Durban, les autres grandes villes du pays.

Un choix difficile à comprendre : Le Cap est la deuxième puissance économique du pays, et surtout sa première destination touristique. En plus, toutes les infrastructures héritées de la Coupe du Monde y sont fonctionnelles et flambant neuves.
Officiellement, la décision a été prise au niveau national. Mais la municipalité du Cap ne s’est jamais battue pour accueillir l’événement, refusant de mettre la main à la poche. Grant Pascoe, adjoint à la mairie du Cap chargé du tourisme et du marketing :

« Nous ne voulions pas retomber dans le même piège que pour la Coupe du monde et satisfaire tous les caprices de la Confédération africaine de football. Nous n’étions pas sûrs du coût. Nous n’allions pas signer un chèque en blanc et attendre qu’on nous serve l’addition. »

Selon les termes du contrat présenté par le LOC – que la mairie du Cap a refusé de signer – les villes doivent s’engager à payer 25% du coût de la compétition. Il était évalué à 26 millions de rands (2 millions d’euros) pour Le Cap, « mais aurait pu atteindre facilement les 40 millions ou même plus ! » s’exclame-t-on à la mairie.

Le goût amer de l’organisation du Mondial

Elle n’a pas voulu que se répète la mauvaise expérience du Mondial. Pour elle, comme pour les huit autres villes-hôtes, l’organisation de la Coupe du monde a laissé un goût amer. Les budgets avaient explosé, les villes s’étaient endettées et doivent faire face désormais à des révoltes sociales pour une meilleure « délivrance de services » (eau, électricité, logement) dans les communautés les plus pauvres.

Port Elizabeth, ville industrielle en crise, avait prévu de dépenser 340 millions de rands (30 millions d’euros) pour le Mondial. Finalement, la note a atteint les 878 millions (83 millions d’euros). A eux seuls, les stades ont coûté 2 milliards d’euros au pays, contre les 160 millions prévus à l’origine.

Seul le stade de Johannesburg, où les équipes locales peuvent espérer remplir les 80 000 places, est à peu près rentable. La venue de U2, Lady Gaga, Coldplay et même Manchester United n’a pas suffi à éponger les dettes de Green Point Stadium, qui n’abrite pas un club très populaire.
Le traumatisme du Mondial et la peur de dépenser à nouveau plus d’argent que prévu expliqueraient donc les réticences du Cap à accueillir cette CAN. Mais les autres villes, elles, ont accepté de replonger la tête première. Pourquoi Le Cap est-elle une exception ?

« Tout ça, c’est de la politique ! » souffle-t-on dans les bureaux de la Fédération sud-africaine de football. La ville du Cap, et toute la province du Cap Occidental, a basculé entre les mains du parti de l’opposition, l’Alliance Démocratique (DA).

La seule ville africaine où la population noire est minoritaire

En Afrique du Sud, l’échiquier politique, encore hanté par le régime d’apartheid, se divise toujours selon la couleur de la peau et le DA est perçu comme un parti « blanc », dans un pays dirigé par l’ancien mouvement de libération noir, l’African national congress (ANC).

Le Cap est la seule ville sur le continent africain où la population noire est minoritaire, avec 65% de blancs et de métis, selon la dernière étude, réalisée en 2007. Pour beaucoup, et notamment pour le célèbre politologue camerounais Achille Mbembé en poste en Afrique du Sud, « le Cap est la dernière colonie d’Afrique ».

La « cité mère », porte d’entrée des premiers colons hollandais au XVIIe siècle, est davantage tournée vers l’océan, l’Europe et les États-Unis que vers le reste du continent. Pendant l’apartheid, les personnes d’origine africaine n’avaient pas accès au centre-ville, et les emplois étaient donnés en priorité aux « métis ».

« Juste parce que c’est pour l’Afrique ! »

Un héritage raciste persistant selon beaucoup de Sud-africains. Il y a quelques mois, la célèbre chanteuse Lindiwe Suttle, a interpellé Helen Zille, présidente de DA sur Twitter :

« Peu importe que tu sois célèbre/riche, tu seras toujours un citoyen de seconde zone si tu es noir. »

C’est un débat national. Le Cap refusant la CAN, l’occasion était trop belle pour le parti au pouvoir de dénoncer encore cette municipalité « blanche ». Mvuzo Mbebe, président du comité d’organisation, s’est étranglé :

« Juste parce que c’est pour l’Afrique, maintenant, le coût est trop élevé ! Tout ce que nous avons demandé aux villes, c’est de payer le logement des équipes, les salons VIP, assurer la sécurité et les salaires des arbitres. »

Une ville de foot pourtant

Michael Bagrain, le président de la chambre de commerce du Cap, a, lui aussi, du mal à comprendre :

« Le football est un bon investissement sur le long terme. Ça permet de mettre Le Cap sur la carte de l’Afrique, d’attirer des touristes du continent et de booster les petites entreprises. »

Basil Palanyandi, représentant de la Fédé au Cap :

« Cela aurait aussi donné de l’espoir à nos jeunes. La CAN aurait été l’occasion pour eux de voir les plus grandes stars du football mondial. »

Et Le Cap ne manque pas de fans de foot, environ 70 000 licenciés. L’affaire fait tache.

En Afrique du Sud, peut-être plus qu’ailleurs, le football est une question de symbole. Une manière pour le pays de se réconcilier avec son héritage après quarante années d’apartheid. De se reconnaître en tant que pays « africain », alors que la xénophobie contre les immigrés du continent peut exploser à tout moment.

La mairie du Cap, elle, se retranche derrière ses raisons économiques. Le Cap aurait pu se redonner une nouvelle image, celle d’une ouverture sur l’Afrique dans un pays où le football est encore considéré comme un sport majoritairement noir. Grant Pascoe se défend :

« Nous avons montré notre africanité en organisant le match amical entre l’Afrique du Sud et la Norvège. »

Alors que le parti tente de conquérir les 80% d’électeurs noirs du pays, pour accéder un jour à la présidence, le symbole valait peut-être une CAN... et quelques millions.

Rue 89b[