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Le Dialogue national du 28 mai 2025 au Sénégal : Une diplomatie institutionnelle à vocation géopolitique régionale


Rédigé par leral.net le Mardi 27 Mai 2025 à 16:31 | | 0 commentaire(s)|

L’histoire politique du Sénégal s’écrit dans une temporalité singulière au sein de l’Afrique de l’Ouest, marquée par la continuité institutionnelle, la régularité électorale et l’existence d’une culture du compromis politique. Ce legs républicain, consolidé depuis le Code consensuel de 1992, s’inscrit dans une dynamique d’innovation démocratique continue, à rebours des tendances autoritaires qui fracturent la région. C’est dans ce cadre que s’insère la relance, ce 28 mai 2025, du Dialogue national sur le système politique, à l’initiative du Président Bassirou Diomaye Faye.

Loin d’être un simple exercice consultatif, ce dialogue revêt une portée géopolitique majeure : il traduit une volonté de souveraineté démocratique, dans un environnement régional où s’intensifie la compétition entre modèles politiques. Dans le contexte actuel de remise en cause de l’ordre démocratique libéral dans plusieurs pays de la CEDEAO, le Sénégal propose une autre voie : celle d’une démocratie enracinée dans l’histoire nationale, mais capable de renouvellement endogène.

Le premier axe du dialogue national interroge les fondements du pluralisme sénégalais. Il s’agit de clarifier le statut de l’opposition, d’encadrer le financement des partis politiques, de rationaliser le calendrier électoral et la cartographie des formations politiques. Ces propositions, bien que techniques en apparence, traduisent une volonté stratégique : stabiliser le champ politique pour éviter l’éclatement institutionnel, tout en réaffirmant le rôle structurant de l’opposition dans un système parlementaire mature.

Dans cette perspective, la reconnaissance officielle du chef de l’opposition et la transparence du financement politique, ne constituent pas seulement des avancées normatives, mais aussi des signaux géopolitiques : ils renforcent la lisibilité du système politique sénégalais à l’international et contribuent à sa diplomatie d’influence démocratique.

Le deuxième thème, centré sur les mécanismes électoraux, participe d’un mouvement plus large de sécurisation du processus démocratique. À l’heure où le doute s’installe sur les fichiers électoraux dans nombre de pays africains, le Sénégal ambitionne de consolider la confiance électorale par des instruments précis : automatisation de l’inscription dès la majorité par exemple, numérisation du processus, étude d’un bulletin unique et élargissement du droit de vote aux personnes en détention.

Ces éléments relèvent d’un choix stratégique de modernisation technologique orientée par une logique de souveraineté. Maîtriser les outils du vote, c’est aussi éviter la dépendance vis-à-vis d’opérateurs étrangers et garantir l’intégrité des résultats. Ainsi, l’administration électorale devient un levier de la souveraineté fonctionnelle, ancrée dans des technologies maîtrisées et des procédures transparentes.

Enfin, le troisième pilier du dialogue porte sur les réformes institutionnelles : transformation de la CENA en une CENI véritablement indépendante, clarification du rôle du juge électoral, redéfinition des rapports entre autorités électorales, médias et pouvoir judiciaire.

Il ne s’agit pas simplement d’optimiser un système, mais de refonder la confiance démocratique sur des bases juridiques robustes, adaptées aux enjeux du XXIe siècle. Cette dynamique vise à anticiper les contestations, à éviter les ruptures électorales et à exporter un modèle de régulation crédible, dans une région souvent confrontée à des crises de légitimité institutionnelle.

Le Dialogue national 28 mai 2025 ne peut être compris que dans une perspective de géopolitique régionale. Il positionne le Sénégal non comme un îlot isolé de stabilité, mais comme un centre normatif régional, capable de projeter un modèle africain de gouvernance co-construite, inclusive et pacifiée. À l’heure où les mécanismes d’arbitrage internationaux perdent en légitimité, le Sénégal mise sur une méthode endogène : dialogue, consensus, réforme progressive.

En assumant ce rôle, il renforce sa diplomatie de stabilité, qui repose moins sur la puissance coercitive que sur l’attraction du modèle. Cette diplomatie s’inscrit pleinement dans la tradition des puissances d’influence, celles qui, selon la typologie de la géopolitique douce, façonnent leur environnement non par l’imposition mais par la diffusion de normes.

La relance du Dialogue national le 28 mai 2025 au Sénégal, est donc bien plus qu’un mécanisme de réforme électorale. Elle constitue une réponse stratégique à une question fondamentale : comment une démocratie africaine peut-elle, sans rupture ni ingérence, s’adapter, se renforcer et rayonner ? Le Sénégal y répond par une pédagogie du consensus, une ambition normative et une volonté affirmée d’ancrer sa trajectoire dans un projet africain partagé de gouvernance souveraine.

En cela, le pays ne se contente pas de gérer ses affaires intérieures ; il formule une vision, celle d’une Afrique de l’Ouest stabilisée par ses propres instruments politiques, capable de produire ses normes et de défendre sa souveraineté démocratique, dans un ordre mondial en recomposition.






Dr. Seydou Kanté
Chercheur, auteur et consultant international
Directeur de l’Institut Africain de Géopolitique et de Géostratégie (IAGEO)

Mame Fatou Kébé