Ce 30 juillet, le chef de l’État sénégalais, Macky Sall, affrontera lors des élections législatives ses deux principaux opposants, Abdoulaye Wade et Khalifa Sall. Un vote à valeur de test, à deux ans de la présidentielle.
C’est l’ultime tour de chauffe. Le 30 juillet, les élections législatives sénégalaises vont permettre au président, Macky Sall, et à ses rivaux de mesurer une dernière fois leur force avant la présidentielle, prévue pour début 2019.
Sur la ligne de départ, trois coalitions se distinguent. Il y a d’abord celle du président, Benno Bokk Yakaar (BBY), l’alliance qui l’avait porté à la magistrature suprême en 2012. Elle est dirigée par le Premier ministre, Mahammed Boun Abdallah Dionne, et n’a qu’un objectif : lui assurer une majorité confortable pour qu’il puisse briguer un deuxième mandat dans les meilleures conditions.
Viennent ensuite les deux principales alliances de l’opposition, bien décidée à lui contester sa suprématie. La Coalition gagnante/Wattu Senegaal, autour du Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, rentré au pays le 10 juillet. À 91 ans, l’infatigable ancien président signe ainsi son retour dans l’arène politique. De son côté, le maire de Dakar, Khalifa Sall, conduit Manko Taxawu Senegaal depuis sa cellule de prison. Son inculpation pour détournement de fonds en mars n’a, en effet, rien entamé de sa détermination.
Ces deux factions de l’opposition, qui se sont farouchement affrontées lors de la présidentielle de 2012, avaient un temps cherché à mettre leurs contentieux de côté pour s’allier contre l’armada présidentielle. Mais aucun camp n’a finalement cédé quant à la personnalité devant conduire cette liste commune. Résultat : ce projet a finalement achoppé fin mai, juste avant la clôture des candidatures, à la satisfaction du chef de l’État.
Macky Sall réussira-t‑il sa mise sur orbite ?
Il y a quelques mois encore, les adversaires du président rêvaient de remporter ces législatives et de lui imposer une cohabitation pour ses deux dernières années de mandat. Mais l’échec de leur projet d’union semble avoir sonné le glas de cette ambition. « Maintenant que nous sommes en ordre dispersé, il sera très difficile de battre la mouvance présidentielle », concède un ponte de l’opposition.
Malgré quelques velléités de dissidence qui ont contraint Macky Sall à s’investir personnellement pour maintenir la cohésion de ses troupes, les candidats de BBY sont en position de force dans la plupart des circonscriptions. Ils devraient tirer parti des divisions de l’opposition et du mode de scrutin mixte, très favorable au parti qui obtiendra la majorité, même relative : il suffit d’arriver en tête dans un département pour en rafler tous les députés.
Plusieurs éléments pourraient nuancer ce probable succès présidentiel. L’abstention, qui a atteint 63 % lors des législatives de 2012, sera à surveiller. Les soutiens de Macky Sall ne sont pas non plus à l’abri de défaites symboliques dans certains départements. Enfin, de bons scores de l’opposition, même désunie, constitueraient un mauvais signal pour le pouvoir. La présidentielle de 2019 se jouera à deux tours, ce qui pourrait faciliter une union derrière son principal concurrent.
Quel principal challenger pour la présidentielle ?
Pour les formations d’opposition, arriver en deuxième position du scrutin est donc le principal objectif. Les partisans de Khalifa Sall entendent ainsi ravir au PDS et à ses alliés le statut de principal groupe d’opposition à l’Assemblée nationale. « Ces législatives doivent nous permettre de jauger notre potentiel en vue de 2019 », explique un lieutenant du maire de Dakar, qui espère glaner entre 25 et 30 députés sur les 165 que comptera le nouvel hémicycle. Pour cela, Khalifa Sall compte sur la victoire de ses deux principaux alliés : Malick Gakou, le président du Grand Parti, et Idrissa Seck, ancien Premier ministre et président de Rewmi, qui se présentent dans leurs fiefs respectifs de Guédiawaye (une banlieue populaire de Dakar) et de Thiès (la deuxième ville du pays).
De son côté, Abdoulaye Wade n’a qu’une envie : prendre sa revanche sur Macky Sall, à qui il voue une rancune tenace. Il se peut aussi qu’il cherche à préparer le terrain pour son fils, Karim Wade. Condamné pour détournement de fonds en 2015 et exilé au Qatar depuis un an, ce dernier est officiellement candidat du PDS pour la présidentielle de 2019.
Qui remportera la bataille capitale ?
« Qui gagne Dakar gagne le pays », affirme l’un des adages de la politique sénégalaise. Au-delà de sa portée symbolique, la capitale constitue, avec sept députés, la plus importante circonscription du pays.
Selon les observateurs, cette bataille devrait virer au duel entre la coalition du président et celle du maire de Dakar. Macky Sall en a fait un de ses objectifs prioritaires, et a donc confié cette mission à des poids lourds de la majorité : Amadou Ba, son ministre de l’Économie et des Finances, tête de liste départementale, ou encore Abdoulaye Diouf Sarr, son ministre de la Gouvernance locale, en troisième position. Mais ces derniers jouent gros. S’ils perdent cette bataille stratégique, nul doute qu’ils verront leur présence au sein du gouvernement menacée.
En face, Khalifa Sall compte sur ces législatives pour confirmer son assise populaire et accroître son poids politique. Maire de Dakar depuis 2009, il ferait de la capitale un véritable bastion si Manko Taxawu Senegaal l’emportait. Pour cela, le frondeur socialiste a livré la direction de sa liste départementale à un de ses plus fidèles lieutenants, très bien implanté localement : Bamba Fall, le maire de la Médina, une commune populaire de la capitale.
Les nouvelles figures seront-elles à la hauteur ?
Les législatives de 2017 comportent presque deux fois plus de listes que les précédentes : 47, contre 24 en 2012. Nombreux sont donc les candidats pour qui ce test est une première. Ce sera le cas pour l’ex-Premier ministre Abdoul Mbaye (Joyyanti) ou encore pour l’ancien inspecteur des impôts Ousmane Sonko (Ndawi Askan Wi). Les anciens ministres Modou Diagne Fada (Mankoo Yeesal Senegaal) et Cheikh Tidiane Gadio (Pôle alternatif) se présentent également à la tête de listes nationales. D’autres responsables de premier plan sont en lice au niveau départemental, comme Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale, Mansour Faye, le ministre de l’Hydraulique et beau-frère de Macky Sall, à Saint-Louis, ou Oumar Sarr, le secrétaire général adjoint du PDS, à Dagana.
Et des barons locaux pourraient faire de l’ombre aux principales coalitions dans certains départements. C’est par exemple le cas d’Abdoulaye Baldé avec Convergence patriotique à Ziguinchor, ville dont il est maire, ou d’Aïssata Tall Sall, la « lionne du Fouta », avec son mouvement « Osez l’avenir » à Podor.
Enfin, plusieurs départements clés seront scrutés de près au lendemain du 30 juillet. Avec respectivement six et cinq députés en jeu, ceux de Pikine (dans les faubourgs de Dakar) et de Mbacké, fief de l’influente confrérie mouride, sont un enjeu important de ces élections. Comme Dakar, le premier promet une bataille âpre entre BBY et Manko Taxawu Senegaal. Si la tendance de ces dernières années se confirme, le second pourrait revenir à la Coalition gagnante/Wattu Senegaal d’Abdoulaye Wade, qui a choyé les marabouts de Touba lorsqu’il était en fonction.
Khalifa Sall, Le candidat-détenu de Rebeuss
C’est par une simple lettre ouverte que Khalifa Sall s’est adressé aux électeurs sénégalais. Tête de la liste nationale de Manko Taxawu Senegaal, il est privé de tout accès aux médias : il mène sa campagne depuis sa cellule individuelle de la prison de Rebeuss, à Dakar, où il a été incarcéré le 7 mars à la suite de son inculpation pour détournement de fonds.
Privé de liberté, il reçoit régulièrement ses collaborateurs pour leur faire passer ses consignes, insistant notamment sur la nécessité de mener, comme pour les municipales de 2009, une campagne de proximité avec les électeurs de la capitale. Ses partisans arpentent donc les rues de Dakar en martelant leur mot d’ordre : « Libérez Khalifa Sall ! »
Ses avocats ont d’ailleurs de nouveau formulé, à la mi-juillet, une demande de mise en liberté provisoire, estimant que leur client ne pouvait exercer ses droits politiques en prison. « Nous savons qu’elle a peu de chances d’aboutir. Mais s’il est élu, cela pourrait changer la donne », espère un de ses proches.
Par Benjamin Roger (Jeuneafrique)