MÉDITER LES TROIS PASSOIRES DE SOCRATE

Dans le Sénégal d’aujourd’hui, invectives, dénigrements et clabaudages sont devenus un jeu favori. Diffamer, avilir, et j’en passe : voilà la voie que semblent emprunter nombre de nos compatriotes. Et cela, sans aucun égard pour l’honneur, la dignité de la personne attaquée, ni même pour sa famille. À l’épreuve du changement, nos valeurs cardinales de « jom » (abnégation), « kersa » (pudeur), « ngor » (dignité), « soutoura » (discrétion)… s’effritent dangereusement et tendent à disparaître. (Cf. Le Soleil, 16 août 2021). Plus de code d’honneur. Plus de parole sacrée. « Si la vertu peut s’enseigner, c’est plus par l’exemple que par les textes », rappelle Ibrahima Thioye, citant André Comte-Sponville.

Ibrahima Thioye énumère alors les vertus essentielles qui, selon lui, doivent caractériser tout individu : le « jom » (le sens de l’honneur), le « ngor » (la noblesse de caractère), le « teggin » (la courtoisie), le « yar » (la politesse), la « sago » (la maîtrise de soi), « nit ku teey » (un être prudent), « dal » (pondéré). À ces vertus, il ajoute entre autres : le « njub » (la droiture, l’honnêteté), le « fit » (le courage), le « mugn » (l’endurance), le « mandu » (la circonspection), la « kersa » (la pudeur), le « soutoura » (la discrétion, la non-divulgation des faiblesses et défauts des gens), le « dëgg » (la vérité, la bonne foi), le « woyof » (la modestie, l’humilité), le « fulla ak fayda » (le sens de la dignité ou la magnanimité), le « kollëre » (la fidélité). Bref, il note seize vertus qu’il estime les plus importantes. Sauf que toutes ces vertus sont en train de se perdre.

La société sénégalaise se transforme dangereusement, sans qu’on puisse entrevoir un remède. Sur les réseaux sociaux, on se dénude, on expose sa famille, ses biens, ses problèmes… La dépravation gagne du terrain. Finie la pudeur***. Les scènes de débauche qui se déroulent sur les plages, notamment à Voile d’Or, en disent long sur le degré de perte de « kersa ». Ce sont des scènes de danse obscène, de nudité de filles, et des garçons, tels des fauves, semblent vouloir se ruer sur elles comme sur une proie à croquer. Peut-être que le manque de contact, conséquence de la dislocation de la grande famille, y est pour quelque chose. La technologie – notamment le téléphone, la télévision et les réseaux sociaux – est venue aggraver la situation, créant davantage de distance entre les membres d’une même famille, d’une même communauté… Même la politique s’y déroule désormais, avec un contact direct avec les militants devenu rare.

Autrefois synonyme de honte, la prison est aujourd’hui perçue comme un gage de notoriété. On invective, on diffame pour y entrer. Et surtout, on calomnie sans retenue. Or, « le mensonge n’est pas bien. Le menteur est tordu, dissimulateur et sournois. Par contre, l’homme honnête est celui qui est sincère. Les mots sortent de sa bouche avec aisance », disait le roi Biton Coulibaly de Ségou à ses enfants, dans le film « Royaume Bambara ». Mentir est la chose la plus abjecte aux yeux de notre Créateur, nous enseignent toutes les religions. Et Biton Coulibaly d’instruire encore ses enfants : « Être homme, c’est savoir garder des choses précieuses ».

Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui dans notre pays. Aucun secret n’est tu. Nous évoluons dans une société de faussetés. L’intolérance et la haine gagnent du terrain. Et si l’éthique ceddo nous inspirait davantage ? En effet, rappelle le très culturel Babacar Mbaye Ndaack, dans le groupe WhatsApp Promo LBD : « Ceddo du fen, Ceddo du wor, Ceddo du daw, Ceddo du dëpp, Ceddo du daay », entendez par là : le Ceddo ne ment point, le Ceddo ne trahit point, le Ceddo ne fuit point, le Ceddo ne recule point, le Ceddo ne se dérobe point. Des valeurs qui, en réalité, sont celles que prônent toutes les religions. Ou tout simplement… méditer les trois filtres de Socrate : est-ce vrai ? est-ce bon ? est-ce utile ?