MONSIEUR LE PRÉSIDENT, LAISSEZ VOS ÉTUDIANTS MARCHER VERS LE PALAIS !

Les étudiants de l'Université Cheikh Anta Diop, qui sont actuellement en grève, veulent organiser une marche jusqu’au Palais présidentiel, ce vendredi.

Il est prévisible que le Préfet de Dakar considérera qu’ils veulent marcher SUR le Palais et que cette marche sera interdite. Il me semble que ce serait là rater une occasion historique.

La crise actuelle ne sera pas désamorcée par une audience au Palais, à moins que cette audience ne se solde par la décision, par le président de la République de céder aux revendications des étudiants et de contraindre le gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko de commettre ce que le ministre de l’Enseignement supérieur a, quelque peu imprudemment, qualifié de “faute de gestion”. Il me semble cependant que si cette marche vers le Palais était autorisée, encadrée et si le président de la République recevait les leaders étudiants, cela enverrait un signal important à la communauté universitaire et par delà elle, à la population toute entière.

D’abord, cela montrerait que le président de la République prend au sérieux la jeunesse. Notre rapport institutionnel aux jeunes est souvent soit conflictuel, soit instrumental. Nous utilisons les jeunes au moment des joutes électorales, mais ne les écoutons que quand ils jettent des pierres. Le président de la République a, avec cette marche, l’occasion unique de recevoir les leaders étudiants et d’entendre leurs doléances sans filtre. Ce serait surtout l’occasion pour lui de les écouter exprimer leur opinion et leurs projets pour le pays. Les leaders étudiants sont les leaders de la frange la plus éduquée de notre jeunesse, leur permettre de venir au Palais et leur donner la licence de s’exprimer, c’est prendre au sérieux la participation de la jeunesse à l'édification de notre Nation.

Ensuite, recevoir les étudiants serait une manière, pour le président de la République de réaffirmer son attachement a un aspect souvent négligé mais absolument fondamental de la philosophie qui a toujours sous tendu l'édification de la République du Sénégal. En effet, le Sénégal a dès l’origine, été un pays éminemment social qui a parié sur le capital humain et sur une version sociale de la démocratie. On se plaint souvent que la Côte d’Ivoire, par exemple, est beaucoup plus riche que nous mais consacre une enveloppe bien plus faible que nous aux bourses d'étude. C’est vrai, mais c’est un choix politique et quasiment civilisationnel. En ce sens, la revendication des étudiants, malgré ses désagréments et son caractère parfois violent, est éminemment politique ; et ce, au sens le plus noble du terme. En effet, contrairement à beaucoup d’autres pays de la sous-région et du monde, la République du Sénégal a pris l’option de financer non seulement les universités mais également le volet social qui rend possible la fréquentation de ces institutions par la frange la plus démunie de notre population. C’est là un choix politique important et respectable dont nous devons être fier. C’est ce genre de choix qui font que des personnes issues de classes sociales défavorisées font des études brillantes, passent les concours et occupent les plus hautes fonctions de l’Etat. C’est la pérennité de ce choix que demandent les étudiants actuels quand ils réclament le paiement intégral de ce qu’ils estiment être leur dû. En les recevant, le président de la République, réaffirmerait son attachement à ce modèle social. 

Recevoir les étudiants résoudrait-il le problème auquel ils font face ? Pas nécessairement. Mais cela montrerait justement que même si le président de la République ne s’immisce pas dans les négociations qui ont cours, il y a un respect mutuel entre les étudiants et les autorités et contribuerait à apaiser les rapports.

Hady Ba est Enseignant-chercheur,

FASTEF Université Cheikh Anta Diop de Dakar