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Mamour Diallo explique d'où vient le fameux chiffre de 94 milliards dont l'accuse Ousmane Sonko


Rédigé par leral.net le Jeudi 24 Janvier 2019 à 10:47 | | 0 commentaire(s)|


Mamour Diallo, maintenant que vous avez décidez de parler, pouvez-vous nous donner votre version de ce qu’il est convenu d’appeler «l’affaire des 94 milliards FCfa» ?
 
 Tout à fait ! Aujourd’hui, je suis plus à l’aise. Car je vous l’ai dit : autant j’estimais qu’un dossier administratif en cours ne devait pas être exposé sur la place publique, autant je suis obligé de constater que ce dossier est désormais dans la rue. Ce qui rend d’autant plus nécessaire et urgent de corriger les nombreuses contrevérités distillées par les petits calomniateurs de Pastef. Je vais essayer d’être le plus concis possible car c’est une affaire longue et techniquement assez complexe. Le titre foncier(TF) n°1451/R, d’une superficie de 258 hectares, datant de 1959, appartenait à deux familles de Lébous de Rufisque. Il avait été vendu en 1979 à la société immobilière Saim Indépendance, une vente qui a été contestée en justice à partir de 1995 par les héritiers des deux familles. En 1997, l’Etat du Sénégal a exproprié le TF 1451/R et indemnisé la société immobilière qui, jusqu’à cette date, en était le propriétaire légal. Mais, en 2012, au terme d’une longue bataille judiciaire, les héritiers lébous ont obtenu l’annulation de la vente intervenue en 1979.
 
Du coup, ils ont commencé à émettre des prétentions sur le TF 1451/R, alors que celui-ci était passé dans le patrimoine de l’Etat depuis longtemps, du fait de l’expropriation ! En droit, n’importe quel juriste vous le confirmera, l’annulation judiciaire d’un contrat a un effet rétroactif : les parties sont replacées dans la situation qui était la leur avant la transaction. Autrement dit, les Lébous redevenaient les propriétaires, au sens juridique du terme, du TF. Ce qui était un problème, car les terres n’étaient même plus disponibles puisque affectées à des projets de l’Etat, au profit notamment de la Sn HLM. En d’autres termes, ce que les familles léboues possédaient en réalité, ce n’était plus un bien physique, à savoir des terrains, mais un bien incorporel, en l’occurrence une créance sur l’Etat.
 
 En 2016, les héritiers ont choisi de céder à l’institution financière Sofico leurs droits, actions et créances sur l’ensemble du TF. Ce n’est pas à moi de mentionner le prix, mais, en journaliste expérimenté, vous savez sans doute que la transaction s’était chiffrée à plusieurs milliards FCfa. Donc, c’est suite à l’intervention de Sofico que les choses ont commencé à se brouiller… Ecoutez, je ne peux pas m’exprimer à la place des parties à propos de cette transaction qui ne me concerne pas, mais je peux vous dire une chose et elle est facilement vérifiable : dans les dossiers fonciers importants, les cessions de créances sont monnaie courante, elles constituent même la règle. Quand vous possédez une créance sur l’Etat, qui atteint plusieurs milliards FCfa et résulte d’un contentieux, croyez-vous qu’il soit facile de se faire payer ? Ce n’est un secret pour personne: l’Etat gère beaucoup de contraintes et, au moment des arbitrages de trésorerie, certaines dépenses ne sont pas des priorités. On peut comprendre très facilement l’intérêt de la cession de créances pour des familles sénégalaises modestes, composées de nombreux membres, qui plus est épuisées par plus de vingt années de procédures judiciaires et administratives. Vu que les banques et les établissements financiers qui rachètent ces créances sont des investisseurs institutionnels, ils possèdent les moyens de gérer la complexité des procédures. Mais, surtout, ils ont du temps, un temps que ne possèdent pas forcément des personnes physiques, des pères de famille qui aimeraient bien jouir de leur bien sans devoir attendre plusieurs années encore. «Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras» : ce n’est pas autre chose.
 
D’accord, mais jusque-là, on ne voit pas ce que le directeur des Domaines que vous êtes fait dans l’opération…
 
Je vous ai dit tout à l’heure que les familles léboues ne possédaient plus des terres à proprement parler, puisqu’il s’était écoulé 34 ans entre leur cession et l’annulation de la vente; il ne leur restait qu’un droit de créance sur l’Etat, droit qu’ils ont revendu à un investisseur. Le problème qui se posait alors était celui de la valorisation de ce droit. Autrement dit: combien l’Etat devait-il à présent payer en contrepartie des terres qu’il avait expropriées vingt ans plus tôt ?
 
 Donc, c’est vous qui avez fixé le montant?
 
Absolument pas ! C’est la compétence d’une commission, celle-là même prévue à l’article 3 du décret n°97-563 du 3 juillet 1997 portant application de la loi de 1976 sur les expropriations pour cause d’utilité publique. Sofico a introduit un recours devant cette commission seule habilitée à fixer les modalités de l’indemnisation.
 
Etiez-vous le président de la commission ?
 
Du tout. Je n’en suis même pas membre. La commission est présidée par le Gouverneur de région, avec le Receveur des Domaines. Le Directeur des Domaines que je suis est juste informé, a posteriori, de ses décisions car, par contre, c’est à moi qu’il incombe d’exécuter celles-ci. A ce titre, mon rôle consiste à préparer les actes d’acquiescement. Et laissez-moi vous dire une chose : ces fameux actes d’acquiescement, qui suscitent tant de fantasmes chez les gens de Pastef, sont tout banalement des documents qui constatent l’accord intervenu entre la Commission et les personnes expropriées. Ce ne sont pas des actes créateurs de droits, mais des actes déclaratifs qui entérinent et formalisent un accord préalable. C’est la loi qui les exige et c’est effectivement ma responsabilité de les préparer. Bref, la commission s’est réunie le 21 août 2017 et a retenu une base d’indemnisation, avec une forte décote. Malgré cette décote, la dette de l’Etat vis-à-vis de Sofico, qui s’était substituée aux Lébous, s’élève à 94 milliards FCfa. Voilà d’où vient ce fameux chiffre de 94 milliards ! Vous comprenez donc pourquoi, lorsque Ousmane Sonko m’accuse de détournement sur cette somme, j’en tombe de ma chaise…

Source L'Observateur