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[Opinion] Une première série de cas de transplantation rénale au Sénégal : Prendre la pleine mesure de cet évènement exceptionnel

Rédigé par leral.net le Jeudi 11 Janvier 2024 à 21:23 | | 0 commentaire(s)|

Les 25 et 26 novembre 2023, ont été réalisées les 3 premières transplantations (ou Greffes) rénales dans notre pays. Les interventions ont été préparées et réalisées par une équipe au sein de laquelle, on notait, des néphrologues, des urologues, des immunologistes, des biologistes, des radiologues, des cardiologues, des psychiatres, des anesthésistes réanimateurs, des gynécologues, des […]

Les 25 et 26 novembre 2023 ont été réalisées les 3 premières transplantations (ou Greffes) rénales dans notre pays. Les interventions ont été préparées et réalisées par une équipe au sein de laquelle, on notait, des néphrologues, des urologues, des immunologistes, des biologistes, des radiologues, des cardiologues, des psychiatres, des anesthésistes réanimateurs, des gynécologues, des chirurgiens-dentistes, des ORL, des éléments du CLIN (comité de lutte contre les infections nosocomiales ).

Sans grandiloquence aucune, il est permis de déclarer que cet évènement constitue une prouesse dans l’histoire médico-sanitaire de l’Afrique au Sud du Sahara. Il importe de le saluer, tout en félicitant chaleureusement les acteurs, ainsi que l’a officiellement fait Monsieur le Président de la République. Il importe aussi d’en prendre la pleine mesure. Tel est l’objet de cette contribution volontairement résumée.

C’est en janvier 1953 que le Pr Jean Hamburger de l’Hôpital Necker à Paris, Fondateur en France de la spécialité de Néphrologie, annonçait la première transplantation rénale réussie dans son pays. L’intervention avait été effectuée le 25 Décembre 1952, sur un homme de 16 ans, charpentier de profession , né avec un rein unique. Le pauvre eut le malheur de tomber du haut de son échafaudage et fut victime d’un traumatisme portant sur son seul rein.

Informé, et encouragé par la mère du jeune – prête à donner un de ses deux reins- le Professeur Hamburger fit appel au Dr Nicolas Oeconomos , brillant chirurgien vasculaire, pour effectuer en France cette toute première transplantation rénale.

Le respect pour l’histoire oblige à indiquer que le patient du célèbre néphrologue français, et futur académicien, mourut 21 jours après l’intervention. Aux États-Unis, une patiente de 44 ans, opérée par le Docteur Richard Lawler, éminent urologue, le 17 juin 1950, à Chicago, eut plus de chance. Elle était porteuse d’une polykystose rénale bilatérale, une forme de maladie héréditaire. Le donneur venait de mourir d’une cirrhose du foie – cela n’en faisait pas un donneur idéal -, mais le choix n’était pas permis. Les suites immédiates furent satisfaisantes. Cependant, le nouveau rein devint non fonctionnel et dut être enlevé au bout de 55 jours. Malgré tout, la patiente survécut 5 ans, grâce à son rein restant, et mourut d’une cardiopathie sans aucune relation avec la transplantation rénale

Cette intervention de transplantation rénale, qui passe pour en être la première au monde, valut au Dr Lawler un Prix Nobel de Médecine en 1980. Dans les deux cas, l’absence d’immunosuppresseurs n’avait pas facilité le travail des équipes.

Les interventions pratiquées à Dakar l’ont été par une équipe multidisciplinaire du Sénégal avec le concours de médecins de la Turquie. Cette équipe a œuvré avec passion, dans un formidable élan de générosité, de foi, de solidarité mais aussi de responsabilité, avant de sélectionner les 3 patients et leurs bienveillants donneurs. Elle a travaillé sans relâche, pesé et soupesé les risques – inhérents à toute intervention chirurgicale- et étudié ce que les médecins appellent les indications.

Observateur et/ou acteur de la vie médico-sanitaire de notre pays depuis 5 décennies, je puis affirmer que nous venons de loin.

Pour ne prendre que l’exemple des spécialités représentées dans cette expérience prometteuse, on comptait en 1980, dans les hôpitaux universitaires de notre pays, centres de recherche, de soins et d’enseignement : 0 Néphrologue, 0 Immunologiste, 2 Médecins Anesthésistes Réanimateurs, 2 Urologues, 3 Psychiatres, 2 ORL, 3 Cardiologues, 0 Chirurgien vasculaire et cardio-thoracique, 1 Radiologue, 0 Immunologiste, 1 Hématologiste, 0 comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN).

Ainsi donc, les patients porteurs d’une insuffisance rénale chronique étaient destinés à une mort lente, prochaine et irrémédiable. Qui d’entre nous, médecins, n’a pas assisté, impuissant, à la mort d’un patient porteur d’une complication de diabète ou d’une hypertension artérielle, d’une malformation rénale ou d’une néphropathie gravidique ayant mal tourné ?
Les étudiants en médecine recevaient à la Faculté un enseignement admirable portant sur le Mal de Bright (ou insuffisance rénale chronique). Dans les services du Bâtiment de la Clinique Médicale, ils avaient le triste privilège de pouvoir vivre l’histoire naturelle de la maladie. Ils apprirent même à reconnaitre le stade terminal d’une insuffisance rénale chronique sur la base d’un simple signe auscultatoire….
Il a fallu attendre 1988 pour enregistrer les premières séances d’hémodialyse pour les malades porteurs d’une insuffisance rénale chronique : une lueur, un espoir et un soulagement pour des milliers patients. Nous le devons à une brave infirmière française qui fit démarrer des machines offertes à l’hôpital A le Dantec par une équipe de l’hôpital Necker
L’espoir fut cependant de courte durée pour 5 raisons : premièrement les machines étaient en quantité réduite – au nombre de 6-, deuxièmement les séances étaient coûteuses – 50 000 Francs l’unité à raison de 3 séances de 4 heures chacune, par semaine-, troisièmement le personnel spécialisé était réduit, quatrièmement la demande était particulièrement forte (des centaines voire des milliers), cinquièmement, seule la ville de Dakar disposait de machines d’hémodialyse. Régulièrement, il m’arrivait de voir un pharmacien installé à Kaolack, venir à l’hôpital A le Dantec au volant de sa voiture, 3 fois par semaine pour une séance de 4 heures.
La pression n’était donc évidemment pas tenable pour les autorités, ni humainement, ni socialement ni politiquement.
L’année 1992 vit arriver le premier néphrologue sénégalais qualifié et pleinement conscient de sa responsabilité historique pour la transformation qualitative de la vie de nos compatriotes. Ainsi le nombre de machines commença à augmenter, avec le concours de l’Association d’aide aux malades et celui de mécènes.
Il fallut cependant attendre la fin des années 2000, en 2010 plus exactement, pour assister à une baisse significative du coût d’une séance, à la suite d’une subvention de l’Etat : de 50 000 à 10 000 Frs. Quelques années auparavant, un quotidien de Dakar titrait : « Silence ! les insuffisants rénaux meurent ». En effet peu de patients ne pouvaient payer 7800 000) (50000X3X52) Frs par année.

C’est bien en 2010 que fut entreprise la construction des premiers centres d’hémodialyse hors de Dakar, en commençant par la ville de Saint Louis. Force est d’apprécier les efforts faits par les autorités pour la multiplication des centres d’hémodialyse dans notre pays, même si nous avions plus de 700 000 compatriotes porteurs d’une insuffisance rénale.

Conscients du fait que l’hémodialyse, même sophistiquée, ou à coût réduit, ne pouvait soigner définitivement les malades porteurs d’insuffisance rénale chronique, les médecins concernés par cette pathologie entamèrent une réflexion sur l’introduction de la transplantation rénale au Sénégal. Avec beaucoup de sagesse, de lucidité et de cohérence, mais aussi de respect de normes éthiques et juridiques, ils joignirent à leurs réflexions des personnalités du monde extra médical partageant les mêmes valeurs.

Ainsi naquit par la loi numéro 2915 du 8 décembre 2015 un Conseil National de Don et de Transplantation (CNDT ) ( par la loi n 2915 du 8 Décembre 2015) chargé de définir les modalités de don, de prélèvement, de transplantation d’organes et de tissus humains.

IHO ou HMO ?

Le Centre Médical de Garnison de Ouakam, créé en 1947, devint plus tard l’Infirmerie Hôpital de Ouakam (IHO). L’établissement était cependant plus une infirmerie qu’un hôpital.

Etudiants en 4éme année de médecine, mes camarades de l’Ecole Militaire de Santé et moi-même fûmes affectés par groupes de 2 à l’IHO, avec le titre flatteur de médecin résident. Chaque groupe devait y passer une semaine entière.

Le seul médecin attitré du centre était alors un coopérant affecté au Camp Dial Diop. Il devait passer une fois par semaine pour une visite des patients, durant 1 heure.

Devenu en novembre 2005 Hôpital Militaire de Ouakam, ou HMO, le nom IHO reste cependant inchangé pour la grande majorité de la population, civile comme militaire.

L’extraordinaire montée en puissance de HMO, grâce à la vision du Service de Santé des Armées, fait que l’établissement, qui reçoit en majorité des populations civiles, offre un visage inspirant respect et confiance.

L’histoire médico-sanitaire du Sénégal retiendra que les premiers cas de transplantation rénale ont été enregistrés à HMO, un autre hôpital militaire dirigé par une dame, avec le concours d’un Consortium HMO-le Dantec, des partenaires turcs, et avec l’agrément du Conseil national d’organes et de la transplantation (CNDT).

L’Histoire retiendra aussi que les suites opératoires ont été simples.

Elle retiendra enfin que, fidèles au concept Armée Nation, une contribution financière exceptionnelle de l’Etat-Major et de l’Administration de HMO a été dégagée pour une réussite optimale de ces trois interventions.

Pour Lao Tseu, « un voyage de 1000 lieues commence toujours par un premier pas ». Les auteurs de ce premier pas concernant la transplantation rénale font la fierté de notre pays. Ils méritent d’être désormais soutenus, compte tenu de l’immensité de l’espoir suscité chez nos nombreux compatriotes porteurs d’une insuffisance rénale au Sénégal, et même dans des pays voisins. Il est ainsi permis d’espérer que Dakar devienne rapidement un centre d’excellence pour la greffe rénale, en Afrique de l’Ouest.

Pr E Malick Diop, Professeur Honoraire d’ORL, UCAD 

Directeur de l’Institut des Maladies de la Tête et du Cou 

Email : emdiop9@gmail.com



Source : https://lesoleil.sn/opinion-une-premiere-serie-de-...