Ousmane Baro Dione, nommé Directeur de la Compagnie nationale du théâtre Daniel Sorano le 19 octobre 2022, est économiste de formation. Il a engagé des chantiers cruciaux qui comprennent aussi bien le développement que la lumière artistique de ce temple historique du théâtre en Afrique. Titulaire également d’un troisième cycle au Centre d’études stratégiques et diplomatiques et diplômé de l’École nationale d’administration du Maroc, il a aussi engagé une énergie prioritaire pour la stabilité sociale de Sorano.
Entretien réalisé par Mamadou Oumar KAMARA (Texte) & Assane Sow (Photos)
À votre arrivée à la Direction générale du Théâtre national Daniel Sorano, vous avez aussitôt travaillé sur l’amélioration socioprofessionnelle. Qu’est-ce qui a dicté cette urgence sociale ?
J’ai l’avantage d’être au fait des problèmes de la structure pour en avoir été le Secrétaire général durant 6 ans. Saisissant l’essentiel des enjeux, il n’y a donc pas de gloire à tirer de ce résultat en un temps record. Il est juste à relever que pratiquement toutes les questions revendicatives du personnel portées par le collège des délégués connaissent aujourd’hui une satisfaction. La lancinante question des recrutements a été réglée cette année avec 12 agents embauchés, sur un plan de régularisation projeté sur 3 ans et qui concerne 25 agents. Ceux-là étaient restés longtemps, 24 ans pour certains, dans l’Ensemble lyrique traditionnel, sans être régularisés. C’était injuste et anormal pour des gens qui ont donné toute une vie à notre entité. Le travail d’un artiste demande stabilité et confort. Nous avons donc engagé ce chantier en priorité pour répondre à une demande humaniste et aussi légale qui devait tout de même répondre aux exigences du Code du travail. Il y a aussi eu la question de la retraite avec l’Ipres. Des arriérés pour le régime général à hauteur de 90 millions de FCfa ont été globalement épongés par le Chef de l’État lui-même. Pour le régime complémentaire des agents en catégorie 4, la Direction a décidé de cotiser pour l’ensemble des ayants droit.
Quelle est votre feuille de route pour une réinvention du Théâtre Daniel Sorano aujourd’hui en proie à diverses mutations de notre temps ?
Sorano a connu ses lettres de noblesse, mais a dernièrement traversé beaucoup de difficultés. La première démarche a été d’engager une collaboration participative et inclusive. Il fallait l’intérêt de l’ensemble de nos ressources humaines. Ceci avait motivé notre conclave pour réfléchir et discuter de l’avenir et du repositionnement de la structure. Le diagnostic nous a permis de décliner des axes majeurs. L’aspect politique d’abord, puis économique avec notre changement de statut (Sorano est passé Établissement public à caractère industriel et commercial depuis 2017). Il nous faut voir les voies et moyens pour changer le modèle économique et faire du profit. L’aspect social, je l’ai déjà évoqué. Pour l’aspect technologique, avec ses avantages et ses menaces, il faut le dire, nous y avons réfléchi en mesurant ses importants enjeux modernes. Les aspects environnemental et légal ont été vus. Ces réflexions constituent la déclinaison de la feuille de route pour dresser notre projet principalement marqué par la relance de la production.
Quels sont les points saillants de ce projet de relance ?
Nous pouvons déjà annoncer le concept « Sorano chez vous », pour la décentralisation. Il y a aussi « Sorano à l’école » et « Sorano avec sa diaspora ». Cela fait plusieurs années que Sorano avait rompu avec ses tournées de décentralisation. On s’est ainsi promis leur reprise avec le concept « Sorano chez vous ». L’idée est de trouver les Sénégalais partout où ils se trouvent, en partenariat avec les communautés territoriales. Ça avait démarré à Kër Pathé (Kaffrine), à l’occasion du Fesnac, avec un grand spectacle de fusion pour la représentation de la « Bataille de Pathé Badiane ». Puis, nous avons été à Thiès, dans le cadre du Conseil des ministres décentralisé. En cohérence toujours avec les hauts-faits qui ont marqué l’histoire des terroirs d’accueil, nous y avons présenté la pièce « Lat Dior, Le Chemin de l’honneur » de Thierno Bâ. Nous sommes ensuite allés à Richard-Toll pour jouer « Nder en flammes », avant de terminer à Thilmakha. Nous préparons actuellement un spectacle à Thiadiaye. Tout cela encore en fusion avec la Troupe dramatique, l’Ensemble lyrique traditionnelle et le Ballet la Linguère. « Sorano à l’école » va visiter les établissements scolaires pour interpréter l’histoire et l’actualité, participant ainsi à l’éducation des élèves et écoliers. « Sorano avec sa diaspora » voyagera à l’international. On se prépare actuellement à aller au Congo pour un festival. Nous y présenterons « Le Zoulou » de Tchicaya U Tam’si. Le Ballet est aussi inscrit pour un festival en Côte d’Ivoire prochainement.
Comment pensez-vous multiplier les activités commerciales et lucratives, surtout avec le nouveau statut ?
À titre de comparaison, le Théâtre Daniel Sorano a produit en tout deux pièces l’année dernière. Depuis ma prise de fonction, nous comptons 4 pièces de théâtre produites. Nous préparons également l’adaptation du roman « Les Bouts de bois de Dieu » de Sembène Ousmane. Ce qui fait cinq créations en trois mois. Cela répond à notre ambition, je pense. Si on parvient à gagner le défi de la qualité, le challenge sera de faire adhérer le public et de déplacer le spectacle vers eux. L’objectif est de raviver l’amour du théâtre. Ces étapes réussies, le public nous répondra chaque fois qu’on l’invitera à venir au théâtre. Il faut avouer que les Sénégalais ignorent maintenant ce que nous faisons dans le Théâtre Daniel Sorano. Il faut conquérir le nouveau public et reconquérir ce public qui s’était éloigné. Le changement de statut nous donne plus de flexibilité pour la commercialisation. Nous sauvegardons notre mission de service public certes, mais nous avons aussi relativement l’obligation de nous aligner aux défis du temps et faire des profits. Il faut diversifier nos produits, trouver d’autres canevas et moyens pour rentabiliser nos offres. Nous comptons lancer, à cet effet, la plateforme Sorano Tv qui, nous pensons, va générer beaucoup de ressources avec l’accès à tous nos produits. Cela va se faire moyennant un ticket qui va être bientôt mis en place. « Sorano Tv » va poser deux enjeux. Déjà, la captation qui peut pervertir la noblesse du théâtre selon certains, ensuite la question des archives qui est une inquiétude.
Nous sommes dans le souci de répondre à deux exigences. D’abord, maintenir le théâtre originel, et ensuite l’obligation de respecter la digitalisation qui fait ménage avec notre environnement. Les jeunes ne viennent plus au théâtre, mais restent très connectés. Or, c’est un public à absolument satisfaire. Nous devons surfer sur ces vagues. Ce public qui pourrait être intéressé par notre travail mais préfère rester chez eux ou ne pas venir ici est un objectif. Concernant les archives, il y a la numérisation qui est un de nos plus importants chantiers. Nous avons une bibliothèque, un service Archives et Documentation géré de façon classique et que nous entendons moderniser. Il y a aura la numérisation et la modernisation de ce service pour reprendre tout ce que nous avons comme patrimoine aussi bien matériel qu’immatériel. Nous allons reconstituer toute cette histoire et tout ce parcours à travers une plateforme numérique accessible, fournie et lucrative.
De plus en plus, des jeunes comédiens sollicitent une intégration pour ainsi démarrer le rajeunissement des troupes et affirmer la transmission. Ce chantier est-il prévu ?
Pour l’opportunité que nous pouvons offrir aux jeunes comédiens, surtout ceux issus du Conservatoire des arts, nous y sommes déjà. Ils sont intégrés dans nos productions. Dans la pièce « Raby », nous avions intégré dix jeunes comédiens qui sont d’ailleurs toujours élèves à l’École des arts. Ils apprennent avec les doyens comédiens chevronnés, et se bonifient franchement. Récemment, pour « Le Zoulou », nous avons pris des comédiens de cette école et aussi des pensionnaires de troupes populaires. Nous croyons en cela déjà. Nous entendons leur donner l’opportunité de participer à notre travail mais aussi de bénéficier de toute l’expérience et de tout le prestige de ce temple du théâtre. Les anciens montrent une grande disponibilité, beaucoup d’envie et d’ouverture. Leur capital expérience est très fourni et il faut encore en bénéficier. Également, ils sont toujours assistés de jeunes qui en engrangeront assez pour perpétuer le travail. Mamadou Seyba Traoré a fait la mise en scène de la « Bataille de Pathé Badiane » avec Mouhamed Willier. Bouly Sonko continue de transmettre sa science au Ballet. Sorano reste une école, un théâtre d’expérimentation et d’apprentissage. Nous accueillons d’ailleurs beaucoup de troupes de la banlieue car nous pensons que Sorano doit leur être entièrement accessible.
Le manque ou la rareté de la création a été longtemps et souvent imputé au principe de confort du fonctionnaire. Qu’est-ce qui sera fait pour sortir de cette torpeur ?
Il y avait une réelle faiblesse dans la création et la production. Nos artistes s’embourgeoisaient, c’est vrai. Aujourd’hui, la tendance est cependant inversée. Comme je l’ai dit tantôt, il y a aujourd’hui cinq pièces et tous les artistes y sont inscrits. Nous avons même des difficultés pour les ménager car ils doivent répéter pour toutes les pièces. Ils répètent pour « Raby » que nous devons jouer le 17 mai au Cours Sainte-Marie de Hann, pour « Le Zoulou » au festival de théâtre de Congo et aussi pour « les Bouts de bois de Dieu ». Parallèlement, ils répètent aussi pour « Nder en flammes » que nous devons présenter très bientôt au Grand théâtre national et au Monument de la renaissance africaine. Cette question est donc derrière nous.
En 2020, on s’inquiétait en urgence de la vétusté du théâtre, d’autant plus que la subvention de l’État était plus d’exploitation que d’investissement. Quel est le point sur cette réhabilitation ?
Le décor et le cadre ont beaucoup changé entre-temps. Effectivement, c’était un vœu cher au Chef de l’État, exprimé après une visite en 2018 lors de la Biennale d’art africain contemporain. Le Président de la République avait estimé que la réhabilitation est impérative au vu de tout ce que ce lieu symbolise comme patrimoine du Sénégal. À la faveur de la demande que nous lui avons ensuite envoyée, l’autorité a donné les instructions pour cette réhabilitation d’un budget global de 3 milliards 800 millions de FCfa que l’État va donner progressivement. Sur les deux dernières années, nous avons pu recevoir ce budget d’investissement qui a permis de démarrer le chantier. Nous avons commencé par la partie bâtiment pour réhabiliter la machinerie avec les installations scéniques, l’électricité, la plomberie, etc. Ça permet à terme de mettre à niveau et à jour toute la partie qui constitue le cœur du théâtre Sorano : la partie technique. On connaitra des installations modernes, une sonorisation et des lumières qui répondent aux normes internationales. Le chantier progresse et nous comptons boucler tous les travaux d’ici un an. Cette année, nous avons aussi lancé le chantier d’une extension avec une deuxième salle de répétition pour les artistes, des bureaux et un studio d’enregistrement. Ce dernier sera surtout pour faciliter les ambitions que nous avons pour la production d’albums de l’Ensemble lyrique traditionnel. Sorano, c’est aussi une mémoire qu’il faut reconstituer et présenter à tous les Sénégalais. Nous aurons ainsi une galerie d’art. Nous aurons un nouveau visage. Mais à terme, vous aurez un relookage d’ensemble qui va concerner même la façade, en plus du concept « Sorano vert » qui comprend notre souci écologique.
Source : https://lesoleil.sn/ousmane-baro-dione-directeur-g...