Leral.net - S'informer en temps réel

QUAND UN PHARE S'ÉTEINT

Rédigé par leral.net le Samedi 16 Août 2025 à 22:18 | | 0 commentaire(s)|

EXCLUSIF SENEPLUS - Abdou Salam Fall est parti, nous laissant orphelins. Orphelins de son exigence, de son regard perçant sur les transformations sociales, de cette capacité rare à allier rigueur scientifique et engagement viscéral pour le progrès humain

Nous avions décidé — nous, ses anciens étudiants, compagnons de recherche et héritiers de sa pensée — de préparer un colloque pour honorer sa contribution immense. Nous ne voulions pas un colloque posthume (et les collègues de l'IFAN Rokhaya Cissé, Saliou Ngom, Cheikh Niang, Moustapha Seye et bien d’autres en étaient unanimes: Prof Salam doit être célébré de son vivant), mais une véritable fête de l’esprit, un moment où il pourrait entendre directement les échos de notre gratitude et lire dans nos yeux la reconnaissance d’une génération qu’il avait façonnée. Nous l’imaginions sourire à l’écoute de nos interventions, laisser se dessiner sur ses lèvres charnues — qui, par pudeur, se refusaient à dévoiler ses dents — ce sourire à la fois discret et éloquent, puis lancer l’une de ces répliques brèves et savoureuses dont il avait le secret.

Mais le destin en avait décidé autrement. En plein préparatifs, la nouvelle s’est abattue. Brutale. Sèche. Comme une pierre heurtant un sol déjà fissuré. Sur l’écran de mon portable défilaient des messages de condoléances, accompagnés d’un visage familier, trop familier. Mon esprit, par un réflexe de déni, a voulu repousser l’évidence : « Ce n’est pas lui… peut-être un proche… » Mais la voix grave et endeuillée de son ami et complice, le Dr Cheikh Gueye, au bout du fil, a brisé la fragile digue derrière laquelle je tentais de me réfugier. Alors, j’ai flanché!

La dernière fois que je l’ai échangé avec Prof Salam, il y a à peine deux mois, c’était dans son bureau — ce sanctuaire où cohabitaient la rigueur intellectuelle et une humanité profonde. Trois heures entières suspendues à écouter le récit d’une vie militante d’une rare intensité : ses années de volontariat auprès des paysans des bananeraies du Sénégal Oriental, son rôle discret mais déterminant aux Assises nationales. Nous avons aussi parlé, longuement, du financement de la recherche, de l’IFAN et des défis à venir pour que cette maison garde sa place de phare intellectuel. Il comptait parmi les plus grands spécialistes de l’économie sociale et solidaire, fort de dialogues marquants avec des figures majeures de la théorie des réseaux. Il travaillait aussi à un projet ambitieux sur la culture de rente dans le contexte du changement climatique, et m’avait convié à une rencontre avec l’une de ses partenaires pour en discuter. Et, bien sûr, entre deux analyses fines, venait toujours l’anecdote qui arrachait un sourire, rappelant que la gravité n’exclut jamais la chaleur.

Je revois aussi 2008, lorsque, jeune chercheur encore timide, j’eus l’honneur de collaborer avec lui dans un projet de l’Ambassade des Pays-Bas, aux côtés de figures illustres — Dr Cheikh Gueye, Professeur Abdoul Aziz Kébé, Dr Abdou Rahmane Seck, et notamment la Professeure Penda Mbow, grâce à qui j’avais intégré l’équipe. Puis il y eut ce voyage avec lui à Amsterdam en 2009, une ville qu’il connaissait comme sa poche, et d’où il rapportait toujours des histoires, des souvenirs, comme d’autres rapportent des trésors. Chaque déplacement devenait avec lui une petite épopée, chaque repas partagé, un chapitre de mémoire. Sa vie était un livre ouvert qu’il offrait volontiers à ceux qui savaient l’écouter. Derrière sa silhouette imposante et sa voix rauque se cachait un grand cœur, un humour discret et une chaleur humaine qui ne s’ouvraient qu’aux esprits attentifs.

À Stockholm, alors que j’étais chercheur au prestigieux Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), il me répétait : « Ta place est ici, dans la recherche au Sénégal » Et je revois son sourire, mi-taquin, mi-sérieux, lorsque je lui répondais que le Sénégal devrait d’abord apprendre à mieux rémunérer ses chercheurs. Si aujourd’hui je franchis chaque matin les portes de l’IFAN, c’est en grande partie grâce à ses conseils et à la force tranquille avec laquelle il les formulait.

Le Professeur Abdou Salam Fall est parti, nous laissant orphelins. Orphelins de son exigence, de son regard perçant sur les transformations sociales, de cette capacité rare à allier rigueur scientifique et engagement viscéral pour le progrès humain.

À la communauté scientifique, à l’IFAN, au LARTES qu’il a façonné comme on sculpte un chef-d’œuvre, à sa famille et à ses proches, j’adresse mes condoléances les plus sincères.

Que la terre de Gaya dans le Fouta natallui soit douce, et que, dans le sillage de son œuvre, nous sachions puiser la force de poursuivre, avec le même courage, la même droiture et la même foi en l’avenir.

Primary Section: 
Secondary Sections: 
Archive setting: 
Unique ID: 
Farid


Source : https://www.seneplus.com/societe/quand-un-phare-se...