Leral.net - S'informer en temps réel

QUI VA SAUVER AIR SÉNÉGAL ?

Rédigé par leral.net le Dimanche 6 Juillet 2025 à 21:13 | | 0 commentaire(s)|

Quatre avions saisis, 1,8 milliard de F CFA bloqués par l'Iata, procès aux États-Unis : le transporteur national subit un véritable tsunami judiciaire. Le conflit avec le loueur américain Carlyle menace l'existence même de la compagnie

(SenePlus) - Air Sénégal traverse la crise la plus sévère de son histoire. Étouffée par une dette de plus de 100 milliards de F CFA, la compagnie nationale, lancée en 2017 sous l'impulsion de l'ancien président Macky Sall, fait face à une tempête judiciaire et financière qui menace son existence même.

Le pavillon sénégalais, dirigé depuis août 2024 par Tidiane Ndiaye, fait l'objet d'un audit gouvernemental depuis avril dernier, révélant l'ampleur des difficultés qui s'accumulent depuis des mois. Cette situation critique illustre les défis auxquels font face les compagnies aériennes africaines dans un secteur hautement concurrentiel et capitalistique.

Le principal feu que doit gérer Air Sénégal concerne son différend avec Carlyle Aviation Partners, l'un des plus grands opérateurs de leasing d'avions au monde. Ce conflit porte sur quatre appareils Airbus qu'Air Sénégal louait à deux sociétés irlandaises, par l'intermédiaire du groupe américain, depuis 2018 et 2019.

Selon les informations rapportées par Jeune Afrique, Carlyle accuse la compagnie sénégalaise d'avoir cessé de payer les loyers des appareils dès février 2024. Malgré des mises en demeure puis la résiliation des contrats en août 2024, Air Sénégal aurait continué à utiliser les avions jusqu'en juin 2025, poussant le loueur à porter l'affaire devant la justice sénégalaise puis américaine.

La justice sénégalaise a autorisé, mi-avril, la saisie des quatre avions concernés. Mais Air Sénégal a refusé de remettre les appareils ainsi que leurs documents administratifs, compliquant l'exécution des décisions judiciaires et déclenchant de nouveaux recours. La compagnie s'est finalement résolue à immobiliser les deux derniers appareils le 23 juin, selon Jeune Afrique.

Cette bataille juridique a également entraîné l'intervention de l'Association internationale du transport aérien (Iata), qui a saisi, début juin, 1,8 milliard F CFA d'Air Sénégal en application d'une ordonnance du tribunal de commerce de Dakar. Ces fonds, issus des ventes de billets et transitant par le système BSP (Billing and Settlement Plan), ont été bloqués dans une décision que la compagnie juge « injustifiée », accusant l'organisation d'« outrepasser ses prérogatives ».

Des Réclamations Financières Colossales

Comme l'a révélé Africa Business + et confirmé par Jeune Afrique, Carlyle Aviation Partners a également déposé une plainte devant la justice américaine. Cette action, initiée le 26 juin devant la Cour suprême de l'État de New York, voit le loueur américain réclamer 65,2 millions de dollars à Air Sénégal, soit 9,5 millions de dollars d'arriérés de loyers et 55,7 millions au titre de frais supplémentaires incluant la remise en état des avions, la maintenance, ainsi que des dommages et intérêts.

Air Sénégal conteste en bloc ces accusations. Dans une note explicative datée du 24 juin adressée à ses salariés et consultée par JA, la direction de la compagnie dénonce « la non-restitution à terme » dont l'accuse son loueur et les pénalités contractuelles réclamées. Elle précise que « des négociations avaient été entamées dès octobre 2024 » pour le rachat de deux des quatre Airbus et qu'un accord avait été trouvé. Cependant, Carlyle serait revenu sur cet accord, « faisant passer sa proposition de 32 à 54 millions de dollars ».

Le transporteur sénégalais réfute également le montant de la créance avancé par le loueur. Si Carlyle réclame 3,55 milliards F CFA (environ 6,3 millions de dollars), Air Sénégal estime que sa véritable dette, après déduction des montants contestés depuis décembre 2024, n'était que de 454 millions F CFA (environ 815 000 dollars).

Les conséquences opérationnelles de cette crise sont dramatiques. À la date du 2 juillet, hors avions Carlyle et locations temporaires, la flotte opérationnelle de la compagnie se résume à un Airbus A330-941 et un ATR 72-600, selon Jeune Afrique.

Pour se donner un peu de répit, Air Sénégal compte sur le retour en service, d'ici fin juillet 2025, d'un Airbus A330-900 Néo jusqu'ici indisponible. Mais l'appareil prendra avant tout le relais du premier gros-porteur de la compagnie, l'A330-941, qui doit à son tour être immobilisé ce mois-ci pour une révision moteur.

Face à cette situation critique, la compagnie a décidé, le 23 juin, de louer deux nouveaux Airbus A320 – une solution d'urgence qui risque de peser davantage sur les comptes déjà déficitaires de l'entreprise.

Les défis de la restructuration

Ces difficultés opérationnelles interviennent dans un contexte financier particulièrement préoccupant. Le gouvernement a commandé, début avril, un audit de la compagnie, qui a « enregistré des pertes successives de 89 milliards de F CFA en 2022 et 57 milliards de F CFA en 2023 », a rappelé le Premier ministre Ousmane Sonko, selon Jeune Afrique.

Malgré ce contexte budgétaire tendu, l'État sénégalais continue de soutenir sa compagnie nationale. Selon une déclaration de Cheikh Diba, le ministre des Finances et du Budget, au Parlement le 29 juin, 15 milliards de F CFA ont été décaissés entre avril et juin pour maintenir l'entreprise à flot.

Au terme de l'audit en cours, une réduction du plan de vol pourrait être annoncée. L'exécutif a en parallèle annoncé un plan de relance du pavillon prévoyant l'apurement des dettes, une réduction de flotte, la création d'Air Sénégal Express et un partenariat renforcé avec l'Aéroport international Blaise Diagne (AIBD).

Pour un spécialiste du secteur interrogé par Jeune Afrique, « l'exécutif et le nouveau directeur général ont une approche prudente de la situation et ils semblent décidés à sauver l'entreprise ». Selon cet expert, Air Sénégal « doit être restructurée et recentrée sur ses fondamentaux afin de corriger l'impact de décisions de gestion passées manquant de cohérence et qui ont abouti aux difficultés financières actuelles ».

Le défi principal sera d'adapter la taille des opérations d'Air Sénégal aux besoins réels du marché sénégalais et sous-régional. Cette situation reflète les difficultés structurelles que rencontrent de nombreuses compagnies aériennes africaines, prises entre des ambitions de prestige national et les réalités économiques d'un marché étroit et concurrentiel.

Un expert du secteur aérien africain, cité par Jeune Afrique, estime que Carlyle « a été particulièrement dur avec Air Sénégal ». Il précise qu'« en ce moment, les bailleurs sont en position de force car toutes les compagnies du monde cherchent des avions. Alors, face à un client de taille modeste qui paie mal, ils ne prennent pas de gants ».

L'avenir d'Air Sénégal dépendra largement des résultats de l'audit gouvernemental et de la capacité de ses dirigeants à négocier un accord viable avec ses créanciers, tout en préservant la connectivité aérienne du Sénégal avec le reste du monde.

Primary Section: 
Secondary Sections: 
Archive setting: 
Unique ID: 
Farid


Source : https://www.seneplus.com/economie/qui-va-sauver-ai...