Révélations sur l’incendie de l’immeuble Tamaro : Des négligences coupables

Le président de la République a fait appel à des enquêteurs français pour connaître le fin mot de l’incendie qui a mis en péril la vie de son fils. Les Sapeurs pompiers qui collaborent avec ces Français, avaient déjà relevé plusieurs anomalies dans la construction et l’utilisation de l’immeuble en question, qui édifient également sur le laxisme qui règne dans ce pays, dans le domaine de la réglementation en matière de construction d’immeubles.

Par Mohamed GUEYE

L’enquête sur l’incendie de l’immeuble Tamaro, où se trouve le siège de l’Agence nationale pour l’Organisation de la conférence islamique (Anoci), n’est pas encore bouclée, mais elle est en bonne voie, à ce qu’il semble. Et elle a déjà fait apparaître des choses intéressantes à cette étape. Pressé d’avoir des éléments solides, le président de la République avait fait appel à la Commission nationale française de la protection civile. Cette dernière a délégué à Dakar, quelques enquêteurs, qui étaient dans la capitale sénégalaise la semaine d’avant la tabaski.
Ces enquêteurs ont eu plusieurs entretiens avec des personnes liées plus ou moins à l’enquête sur l’incendie. C’est ainsi qu’ils ont rencontré leurs homologues sénégalais de la Direction de la protection civile, ainsi que des membres du Groupement national des sapeurs pompiers (Gnsp), les éléments de la Section des recherches de la Gendarmerie nationale, ainsi que des membres du ministère de l’Intérieur.
Les Français n’ont pas encore déposé les conclusions de leur enquête qui iront directement sur le bureau du Président Wade, mais on sait déjà, par exemple, qu’ils ont mis en cause, dans les réactions liées à l’incendie, ce qu’ils ont appelé «la méthode d’engagement des moyens» du Gnsp. Ils ont, en clair, considéré que la réaction des Sapeurs-pompiers nationaux, n’a pas été assez prompte et assez efficace, pour permettre de circonscrire le sinistre.

Tamaro a trop grandi, et continue…
Pour sa part, le Groupement des Sapeurs pompiers a présenté à ces enquêteurs, le rapport de visite du chantier de l’immeuble qu’il avait effectué. Et on y apprend des choses édifiantes sur la manière dont sont respectées les normes de sécurité en matière de construction d’immeubles, dans ce pays.
Le rapport des Sapeurs pompiers indique en effet que l’immeuble Tamaro avait été conçu au départ pour ne comporter que cinq étages, mais il se retrouve aujourd’hui à onze (R+10), et un douzième palier serait en voie d’édification, pour en faire un R+11. Les soldats du feu ont par ailleurs constaté que les voies d’évacuation de la fumée ont été supprimées, ce qui fait qu’en cas d’incendie, la fumée ne peut s’échapper. De même, les robinets d’incendie armés ne sont pas fonctionnels. Ce qui fait que, lors du fameux incendie qui a bloqué Karim Wade, le président du Conseil de surveillance de l’Anoci dans ses bureaux (voir Le Quotidien n°2018 du vendredi 2 octobre 2009), les pompiers ont dû chercher le moyen d’escalader l’immeuble pour trouver de l’eau, au lieu d’asperger l’incendie depuis l’extérieur, car ils n’avaient nulle part dans les parages, où remplir leurs citernes.
Plus encore, les pompiers ont également déploré le fait que l’immeuble Tamaro ait été utilisé pour des besoins qui ne sont pas ceux auxquels il était destiné au départ. En effet, l’immeuble était manifestement conçu pour abriter des appartements à usage d’habitation. Cela se voit par exemple, à l’épaisseur des murs, qui n’ont pas la flexibilité des cloisons des immeubles de bureau. Or, c’est ce dernier usage qu’il remplit aujourd’hui, avec tous les inconvénients qui en découlent.

La responsabilité de l’architecte
Pour sa part, l’architecte de l’immeuble, M. Pierre Goudiaby Atepa, a tenu à exonérer son cabinet de toute responsabilité sur les défaillances notées, ainsi que sur d’autres. Joint hier par téléphone, après plusieurs tentatives, l’architecte-ingénieur a indiqué que, dans sa conception, l’immeuble Tamaro devait comporter huit niveaux, c’est-à-dire, être un R+7, et ne devait donc pas être un Immeuble à grand-hauteur (Igh). Car, pour cette dénomination, valable pour les bâtiments de plus de dix niveaux (R +9), il y a des normes spécifiques à respecter. Il aurait, notamment, fallu y installer des pare-feux ; ce qui n’a jamais été fait.
Pour indiquer à quel point son entreprise ne peut être tenue comptable de l’incendie qui avait touché l’immeuble, M. Goudiaby a ajouté que le propriétaire de l’immeuble, M. Seydi, avait pris en charge les volets électrification et risque incendie du bâtiment. Atepa, qui a la spécialité de vouloir superviser ses ouvrages de la conception à la finition, affirme avoir dégagé sa responsabilité sur ce point, dans une correspondance adressée à son donneur d’ordre. Il indique avoir d’ailleurs témoigné dans ce sens, lors de l’enquête de Gendarmerie, après l’incendie.
Se voulant on ne peut plus transparent, l’architecte de l’immeuble Tamaro va indiquer que, même l’Anoci, lorsqu’elle a entrepris les travaux de modification de ses bureaux, n’avait pas jugé bon de prendre ses attaches, ni sollicité les services de son cabinet. Les dirigeants de l’Agence ont travaillé selon leur bon vouloir, sans s’approcher du concepteur du bâtiment.
Il sera intéressant de voir ce que les enquêteurs français pourraient découvrir sur les causes véritables de l’incendie qui avait fait trembler le sommet de l’Etat en octobre dernier. En attendant, on ne peut que relever à la suite des enquêteurs, à quel point les citoyens de ce pays vivent dans un environnement peu sécurisé.
Car si un immeuble aussi huppé que celui abritant les bureaux de Karim Wade, peut faire l’objet de transformations qui le fragilisent en ce qui concerne les normes de sécurité, et cela, sans qu’aucune autorité compétente n’ait jamais jugé bon de lever le petit doigt, on comprend alors pourquoi nos quartiers populaires sont souvent la scène d’effondrements d’immeubles, qui ne parviennent même plus à émouvoir les différents organes de contrôle. Il n’est même pas sûr, une fois l’enquête bouclée et les éventuelles responsabilités établies, que cela conduise à de quelconques sanctions, car la chaîne risquerait d’être trop longue, et personne ne voudra jamais oser balancer un coup de pied dans la fourmilière.

mgueye@lequotidien.sn