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SENEGAL: A la recherche d’une politique économique

Le monde, du fait de la crise financière américaine qui s’est diffusée un peu partout, vit aujourd’hui la pire crise économique de son histoire depuis 1929. Selon l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques), la récession touchera une grande partie du globe, faisant passer le PIB mondial de 2,2% en 2008 à -2,7% en 2009, soit une chute de près de 5 points de pourcentage. L’Organisation Internationale du Travail prévoit que de 18 à 30 millions de personnes pourraient s’ajouter au nombre de chômeurs dans le monde en 2009. Du jamais vu depuis fort longtemps.


Rédigé par leral.net le Jeudi 9 Avril 2009 à 12:15 | | 0 commentaire(s)|

SENEGAL: A la recherche d’une politique économique
L’impact de la crise financière sur l’économie réelle atteint même les pays les moins intégrés au système financier mondial. Selon la BAD (Banque Africaine de Développement), le taux de croissance de l’Afrique sub-saharienne est projeté à 2,4% pour 2009, la première fois en 5 ans qu’il serait en dessous de 5%. L’analyse de la croissance économique des pays africains dans la dernière décennie montre en effet que les pays ayant le mieux réussi ont généralement bénéficié d’une forte aide étrangère, de bons termes d’échanges et d’une forte exportation. Or ce sont ces trois facteurs qui pourraient se détériorer à cause de la crise.

Pour faire face aux effets réels et anticipés de la crise, la communauté internationale a déjà engagé, aux niveaux national et global, plusieurs programmes financiers visant à étouffer la dépression rampante, relancer l’économie et organiser une meilleure régulation de la finance mondiale. C’est dans ce sens que s’inscrivent les décisions du Groupe G20, réuni à Londres le 2 avril 2009, relatives à la mobilisation de 1100 milliards supplémentaires destinés à renforcer les ressources du FMI (Fonds Monétaire International) et des banques régionales de développement, ainsi qu’à soutenir le commerce mondial et à mieux surveiller les paradis fiscaux et les opérations sur les marchés financiers.

Le Sénégal, parce qu’il n’est pas beaucoup intégré au système financier mondial, n’a pas subi, à court terme, de fortes conséquences directes de la crise financière internationale. La forte réglementation financière, le contrôle des mouvements de capitaux et une stricte surveillance de la part de la Commission bancaire de l’UEMOA font que les banques sénégalaises n’ont pratiquement pas été impliquées dans le marché des « subprimes » américaines, n’ayant acquis aucun actif toxique. En outre, les banques sénégalaises ne fonctionnent pas dans un système de prêts interbancaires à l’international, mais utilisent les dépôts de la clientèle et les ressources locales pour faire des prêts. Malgré tout, le Sénégal, comme la plupart des pays en développement, sera forcément concerné par les « effets de second tour » de la crise qui se manifesteront à travers le passage de la crise financière à la crise économique.

Selon le FMI , l’aide au développement, qui représente 2% du PIB au Sénégal en 2006, pourrait baisser dans les prochaines années, de même que les transferts de fonds de travailleurs émigrés qui représentent 8% au moins du PIB dans le pays. La réduction probable des investissements étrangers directs et des exportations aurait également un impact sur le compte courant du Sénégal et sur la perspective de croissance économique et de création d’emplois. De grands travaux financés dans le cadre du partenariat public-privé pourraient aussi être retardés du fait du resserrement du crédit sur le plan international.

Les dernières estimations du FMI chiffrent ainsi la croissance économique du pays à 3,9% en fin d’année 2008 ; alors qu’elle était prévue à 5,4% en avril 2008. Pour 2009, le PIB devrait, toujours selon le FMI, croître de 3,5% contre 5,9% attendu en avril 2008. Sans être techniquement en récession (ce qui signifierait une baisse, généralisée à tous les secteurs, de la production nationale, sur plusieurs mois), le Sénégal vit cependant un net ralentissement de son dynamisme économique, différant ses perspectives de devenir rapidement un pays émergent à croissance accélérée.

La situation aurait d’ailleurs pu être pire, n’eût été le rattrapage obtenu dans le secteur agricole, facilité par de bonnes conditions climatiques et par le lancement du programme agricole de la Goana (Grande Offensive pour la Nourriture et l’Abondance), et l’embellie constatée dans le secteur des services de télécommunications et des postes qui, en 2007 déjà, contribuait pour près du tiers à la croissance de la valeur ajoutée totale du pays .

Toutefois, c’est dans le secteur industriel que la santé et la qualité de la politique économique menée par le pays se mesurent le mieux. En raison du fait que l’agriculture dépend pour beaucoup de la pluviométrie (facteur exogène) et que le dynamisme des télécommunications s’explique essentiellement par la forte consommation par les ménages des services offerts.

Or, l’industrie nationale ploie sous d’énormes difficultés. Selon l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographique (ANSD) , l’indice harmonisé de la production industrielle (IHPI) du Sénégal a baissé de 12 points de pourcentage au cours de l’année 2008. Une légère amélioration est toutefois notée depuis octobre 2008, sous l’effet notamment de la progression régulière de l’activité des industries alimentaires.

La situation maussade de l’industrie sénégalaise dans son ensemble provient de trois sources principales. En premier lieu, il y a la contrainte d’offre. La mauvaise campagne agricole de 2007/2008 a ainsi été un lourd handicap pour les activités industrielles de transformation du sucre, de l’huile d’arachide et des corps gras et du coton qui, ensemble, comptent pour plus de 17% de l’IHPI. Par ailleurs, les difficultés de reprise des activités des Industries Chimiques du Sénégal, à la suite de l’accord de restructuration signé entre le Sénégal et l’Inde, ont retardé le retour à la normale de la production de phosphates, d’acide phosphorique et d’engrais.

En second lieu, il y a la contrainte de demande pour certaines branches. C’est le cas des industries de matériaux de construction, du fait notamment de la fin des travaux d’infrastructures liés à l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) qui a contribué à ralentir les commandes adressées aux industries de la branche.

Enfin, il s’est posé, pour tout le secteur industriel, le problème des arriérés de paiement de la dette publique qui ont atteint un sommet inégalé depuis belle lurette. Le retard occasionné a engendré des coûts supplémentaires pour les entreprises (obligées de recourir au crédit bancaire) et a poussé certaines d’entre elles, en particulier les plus petites, à cesser ou à ralentir leurs activités. A la détérioration des conditions de financement des entreprises, s’est ajouté le déficit d’approvisionnement d’électricité, puis la hausse des prix pratiqués par la Senelec.

Les enquêtes d’opinion effectuées par la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE) du Ministère de l’Economie et des Finances, auprès des milieux d’affaires, citent également, parmi les difficultés enregistrées, les tracasseries administratives et les retards dans les procédures de passation des marchés publics. Tout ceci prouve que d’énormes efforts restent à effectuer pour parfaire l’environnement global des affaires du pays.

Le satisfecit délivré au Sénégal dans le cadre de l’enquête « Doing Business » de la Banque mondiale, le plaçant parmi les dix meilleurs « réformateurs du monde » en 2008, doit donc être, tout à la fois, célébré et relativisé. Le fait que le pays demeure au 149ième rang dans le classement de « Doing Business 2009 » montre le long chemin qui reste encore à parcourir pour faire émerger au Sénégal un climat des affaires de classe internationale.

En plus d’engager des réformes structurelles, l’urgence pour le pays, c’est aussi de repenser la politique budgétaire, monétaire et de change ; de façon à en faire des instruments efficaces de relance économique. En matière budgétaire, les errements constatés dans la gestion des finances publiques sont en train d’être circonscrits dans le cadre du programme conclu avec le FMI .

Les mesures engagées auront pour effet de renflouer la trésorerie des entreprises (grâce au paiement de la dette intérieure), de réduire les subventions destinées aux produits alimentaires et énergétiques (ce qui pourrait engendrer, toutes choses égales par ailleurs, une certaine hausse des prix) et les déficits publics (qui génèrent une forte éviction des crédits au secteur privé ; l’Etat concurrençant les entreprises sur les marchés bancaire et financier). Il n’est guère possible de faire autrement, et d’envisager par exemple une expansion budgétaire pour soutenir l’activité.

La priorité reste et demeure la restauration des grands équilibres budgétaires, en corrigeant le grand écart effectué par le solde budgétaire de base (estimé à -1,8% du PIB en 2008, alors qu’il devait être positif selon les critères de convergence de l’UEMOA).

La seule marge de manœuvre dont dispose l’Etat consiste donc à mieux dépenser, en faisant des économies budgétaires là où des gaspillages existent et en transférant des ressources aux secteurs prioritaires (la formation professionnelle par exemple) et/ou porteurs de croissance (notamment l’agriculture, l’artisanat, l’industrie manufacturière et les téléservices à fort potentiel de valeur ajoutée, d’exportation et d’emplois).

L’incontournable rigueur budgétaire devrait en principe être combinée avec une politique monétaire accommodante et assouplie, si le Sénégal voulait mettre en pratique les enseignements de la théorie économique et de l’expérience récente des pays qui mènent des politiques économiques actives (dont les Etats Unis d’Amérique constituent l’exemple type).

Or, ce que l’on constate, c’est que la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) mène depuis juillet-août 2008 une politique monétaire restrictive, en maintenant son principal taux d’intervention (le taux de pension) à 4,75% (contre 4,25% auparavant), tout en portant son taux d’escompte à 6,75% (contre 4,75% avant juillet 2008).

Ceci pour contrer les pressions inflationnistes qui sont demeurées élevées tout au long de l’année dans la zone (l’Indice harmonisé des prix à la consommation de l’Uemoa s’établissant à 8,5% en fin 2008) et « sanctionner » le relâchement budgétaire de certains pouvoirs publics.

Néanmoins, une certaine décrue est notée depuis quelques mois. En fin février 2009, l’IHPC sur trois mois a évolué négativement à -0,4%. Tout en restant prudente, la BCEAO devrait se montrer plus flexible dans sa stratégie de ciblage d’inflation et étudier un assouplissement de sa politique monétaire, en allant plus loin que la simple injection de quelques centaines de millions de liquidités sur le marché monétaire. En clair, une baisse des taux directeurs de la BCEAO est souhaitable, en maintenant un différentiel raisonnable avec la Banque Centrale Européenne (qui, depuis octobre 2008, a diminué à six reprises son principal taux directeur, le ramenant à 1,25% aujourd’hui contre 4,25% sept mois plus tôt).

Cette baisse aura pour effet, si les banques la répercutent sur le taux de base bancaire, d’encourager et de soutenir les investissements nécessaires pour s’adapter au nouveau contexte international et réorienter les ventes du tissu productif de l’Uemoa vers les pays en développement et émergents qui sont moins affectés par la crise mondiale.

Une telle action est d’autant plus envisageable que l’inflation dans l’Uemoa provient moins de sources monétaires que de la volatilité des coûts internationaux des biens alimentaires et des défiances de la régulation des marchés dans la zone. Le recours aux instruments monétaires pour dompter les pressions inflationnistes est donc contestable.

Enfin, une réflexion doit également être engagée sur la politique de change et de l’Uemoa. Le maintien d’un euro structurellement fort par rapport au dollar et aux autres devises internationales ne favorise guère la compétitivité internationale du Sénégal et de ses partenaires de l’Uemoa. Le recours à un panier de devise pour servir d’ancrage au franc CFA, en dépassant ainsi le seul lien à l’euro, est devenu incontournable, pour des raisons de stabilité et d’adaptation aux nouvelles réalités du commerce international de la sous-région qui est devenu plus ouvert vers les horizons autres qu’européens. La valeur internationale du FCFA pourrait être réexaminée dans la même dynamique.

En définitive, c’est dans des moments d’incertitude de la nature de celle que le monde vit aujourd’hui que le besoin d’une bonne politique macroéconomique se fait le plus sentir. L’inertie actuelle des autorités budgétaire et monétaire doit donc faire face à une politique active et anticyclique.

Moubarack LO
Président de l’Institut de l’Emergence, Dakar
Email : emergence@sentoo.sn
Source SudQuotidien

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