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SOULEYMANE BACHIR DIAGNE, L’UNIVERSEL CONTRE LA RESTITUTION ?

Rédigé par leral.net le Mercredi 10 Décembre 2025 à 23:55 | | 0 commentaire(s)|

Pour Marcel Ze Belinga, les prises de position du philosophe sénégalais sur les objets africains présents au Louvre illustrent un « universel » construit depuis Paris, qui évacue la question des réparations et des restitutions comme principe de justice

(SenePlus) - Dans un texte publié sur Facebook, Marcel Ze Belinga adresse une charge frontale contre la position de Souleymane Bachir Diagne sur la restitution des œuvres africaines, telle qu’exprimée notamment dans un entretien à La Croix en octobre 2024 et dans une émission de France Culture diffusée le 5 décembre 2025.​

L'économiste camerounais revient d’abord sur l’intervention du philosophe sénégalais dans l’émission « Le Cours de l’histoire » sur France Culture, où celui-ci présentait un livre commandé par le musée du Louvre à partir d’un cycle de conférences consacré à la vocation dite « universelle » de l’institution. L’auteur rappelle qu’en 2024, dans un entretien à La Croix titré « Les objets venus d’Afrique sont chez eux au Louvre », Diagne avait déjà pris ses distances avec les demandes de restitutions, défendant l’idée que les œuvres africaines exposées à Paris participent désormais d’un dialogue entre collections plutôt que d’un simple récit colonial. Pour Ze Belinga, cette posture revient à « blanchir le pillage colonial du patrimoine cultuel africain au nom de l’universel », en adoptant le point de vue des grands musées et des conservateurs européens.​

Dans son texte, Ze Belinga reproche à l'ancien enseignant de Columbia University de multiplier des « fictions » conceptuelles – objets « en dialogue », « nomades », « mutants » – qui esthétisent le devenir des œuvres en Europe et minimisent la violence structurelle de la conquête coloniale, faite de razzias, de réquisitions et de spoliations organisées. Il estime que ces narrations, en insistant sur des trajectoires individuelles d’objets et la complexité des « provenances », finissent par accréditer l’idée que les pièces auraient fait l’objet d’« échanges » ou de « négociations consenties » avec les Africains, comme si une civilisation entière avait volontairement liquidé son propre appareillage rituel. En centrant ainsi le récit sur les métamorphoses esthétiques des œuvres, Ze Belinga accuse Diagne de reléguer au second plan leurs fonctions cultuelles, leur dimension spirituelle et les rapports de domination qui ont rendu possible leur présence massive dans les vitrines européennes.​

Un universel centré sur Paris

Ze Belinga souligne également que, dans ses interventions reliées au Louvre, Souleymane Bachir Diagne convoque surtout des figures de l’avant-garde européenne – Matisse, Picasso, Apollinaire – pour penser l’universel, tout en ne mentionnant pratiquement aucun artiste, créateur ou maître de culte africain à l’origine de ces objets « à puissance symbolique ». L’universel qui se dessine lui apparaît comme « recroquevillé sur les pavillons du Louvre », incarné presque exclusivement par des auteurs européens, à l’exception notable de Léopold Sédar Senghor et d’Amadou-Mahtar M’Bow, deux Sénégalais insérés dans des institutions françaises ou internationales. Si Diagne évoque la perspective de futurs musées du Sud et de nouveaux espaces d’exposition en Afrique, Ze Belinga y voit une concession oratoire, sans remise en cause radicale du modèle du musée occidental ni de sa sociologie de classe.​

Le sociologue regrette qu’un véritable questionnement philosophique sur le musée – en tant qu’appareil de pouvoir, outil de classement du monde et lieu d’« exhibitions de butin » – soit absent des prises de position de Diagne, alors que de nombreux travaux, de Marx à Adorno en passant par Foucault ou Bourdieu, ont analysé la dimension politique et marchande des institutions culturelles. Il estime que l’arrachement des objets cultuels africains à leurs contextes de production et de vitalité, puis leur sanctuarisation dans les musées d’Europe, entraînent une « perte d’aura » au sens benjaminien, que le philosophe ne semble pas considérer comme centrale. Pour Ze Belinga, ignorer les conditions de production et de dépossession, c’est neutraliser la question de la justice historique dans le contexte colonial et postcolonial.​

Marcel Ze Belinga replace enfin la position de Souleymane Bachir Diagne dans un réseau d’institutions européennes impliquées dans la gestion du patrimoine africain. Il rappelle que le philosophe préside le conseil d’administration de la Fondation pour l’innovation démocratique (FID), basée en France et dirigée par Achille Mbembe, ainsi que le conseil scientifique d’un fonds franco-allemand dédié à la recherche sur les restitutions. À ses yeux, ces responsabilités placent l’universitaire dans une « condition matérielle objective de travailleur social pour les collections des musées occidentaux », ce qui rend cohérente mais problématique son plaidoyer pour des restitutions « au cas par cas » et sa critique des positions jugées « identitaristes ».​

En contrepoint, Ze Belinga défend l’idée que la restitution devrait être un principe général, et l’exception une marge étroite à négocier dans des cas très spécifiques. Il considère que, pour des artefacts cultuels africains acquis dans un contexte de hiérarchie juridique et de violence coloniale, refuser le principe de restitution et de réparation revient à rendre impossible toute perspective de justice historique. Selon lui, seules des restitutions, réparations et indemnisations substantielles, assumées comme un « coût » structurel pour les anciennes puissances coloniales, pourraient produire des effets véritablement décoloniaux dans la relation entre l’Europe et les sociétés africaines.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/culture/souleymane-bachir...