À 91 ans, l’ancien président n’a pas encore dit son dernier mot. Tête de liste d’une coalition d’opposition pour les législatives du 30 juillet, il vient de lancer une campagne électorale qui s’annonce rugueuse.
À le voir ainsi juché sur son 4×4, les poings levés, haranguant la foule dense massée autour de lui, difficile d’imaginer que cet homme a dépassé les 90 printemps. À ses partisans, qui scandent « Gorgui dolli ñu ! », (« “Vieux”, on en veut encore », en wolof) il répond par un signe de la main ou un sourire figé.
Drapé dans un boubou bleu brodé de jaune – les couleurs du Parti démocratique sénégalais (PDS) –, son éternel kopati rouge sur la tête, Abdoulaye Wade ne boude pas son plaisir devant l’accueil fervent qui lui est réservé à sa sortie de l’aéroport de Dakar, en cette fin d’après-midi du 10 juillet.
Deux heures durant, debout dans son véhicule, il saluera ses partisans attroupés le long de la voie rapide menant au siège du PDS.
Le vieux lion est prêt pour le 30 juillet
Plus de deux ans après son dernier séjour au Sénégal, en 2015, l’ancien président, qui réside essentiellement à Versailles, en région parisienne, depuis qu’il a quitté le pouvoir en 2012, a tenu à adresser un message clair à ses détracteurs : le vieux lion est de retour, et il n’a rien perdu de sa fougue.
À 91 ans, cet inlassable combattant politique a en effet décidé de redescendre dans l’arène pour mener la bataille des législatives, prévues le 30 juillet. Tête de la liste nationale de la Coalition gagnante/Wattu Senegaal, qui regroupe le PDS et ses alliés, Wade mènera donc la campagne électorale sur sa terre natale, comme le promettait son entourage depuis quelques semaines.
Un retour attendu
« Il était heureux et pressé à l’idée de rentrer au Sénégal pour enfin démarrer sa campagne », confie l’avocat El Hadj Amadou Sall, son ancien ministre de la Justice, qui se trouvait à bord du Falcon parti du Bourget pour ramener à Dakar l’ex-chef de l’État et son épouse, Viviane.
« Gorgui » n’a d’ailleurs pas perdu de temps. Dès son arrivée au siège du parti dont il reste le secrétaire général national, Abdoulaye Wade a fait sa première déclaration publique… et décoché ses premiers coups de griffes contre son successeur, le président Macky Sall.
Gorgui contre Macky
« Si j’avais constaté que le Sénégal avait changé en bien, je l’aurais félicité. Mais ce n’est pas le cas, a déclaré Abdoulaye Wade à la tribune, devant ses militants. Cette souffrance du pays me fait très mal. Ma famille politique s’est donc associée à d’autres partis dans le but de faire partir Macky Sall. »
Et d’ajouter, avec l’ironie dont il est coutumier : « Il n’a qu’à aller où il veut ! Je peux même lui prêter l’avion qui m’a amené, s’il le souhaite… » Ledit avion a lui-même été « prêté à Wade par l’un de ses amis », selon un confident.
Il était heureux et pressé à l’idée de rentrer au Sénégal pour enfin démarrer sa campagne
Une grande coalition d’opposition qui a tourné court
Avant de revenir à Dakar, le leader du PDS avait un temps œuvré à la mise sur pied d’une grande coalition d’opposition avec Khalifa Sall en vue des législatives.
Son souhait était alors d’unir les opposants de tous bords pour imposer une cohabitation à Macky Sall jusqu’en 2019, date de la prochaine élection présidentielle.
Mais ce projet d’alliance avec le maire de Dakar, figure montante de l’opposition, incarcéré depuis mars pour un présumé détournement de fonds, a tourné court.
Ne parvenant pas à s’accorder sur la personnalité devant conduire cette vaste alliance, les partisans d’Abdoulaye Wade et ceux de Khalifa Sall feront finalement campagne sur deux listes distinctes : la Coalition gagnante/Wattu Senegaal et Mankoo Taxawu Senegaal.
La coalition présidentielle est confiante
Grande gagnante de cette implosion de l’opposition, la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) semble en bonne position pour conforter la large majorité dont elle dispose depuis 2012 à l’Assemblée nationale.
Dans l’entourage du chef de l’État, la confiance est palpable et l’on affiche une profonde indifférence au retour en fanfare d’Abdoulaye Wade. « Nous n’y accordons aucun intérêt, assure une source à la présidence. Nous nous concentrons sur notre campagne et sur la mobilisation des électeurs, pas sur ce que certains font de leur retraite. »
Wade est un combattant qui luttera jusqu’à son dernier souffle. Comme il le dit souvent lui-même, il n’affectionne rien de plus que le corps-à-corps avec ses adversaires
Abdoulaye Wade veut prendre sa revanche face à son ex-poulain Macky Sall
Dans les couloirs du palais présidentiel comme sur les marchés dakarois, beaucoup se posent aujourd’hui la même question : pourquoi diable Abdoulaye Wade, à son âge, et après avoir dirigé le pays pendant douze ans, se présente-t-il aux législatives alors qu’il a tout à y perdre ? Pour beaucoup d’observateurs, la première des réponses est la rancune tenace qu’il voue à Macky Sall.
Prendre sa revanche sur son ancien poulain, qui l’a détrôné en 2012 avant de faire emprisonner son fils Karim, condamné pour enrichissement illicite en 2015, voilà ce qui semble animer cet infatigable animal politique. « Wade est un combattant qui luttera jusqu’à son dernier souffle. Comme il le dit souvent lui-même, il n’affectionne rien de plus que le corps-à-corps avec ses adversaires », explique l’un de ses proches.
Le PDS, chasse gardée de Wade
Plus de quarante ans après avoir fondé le PDS, le « pape du Sopi (“changement”) » n’a jamais désigné de véritable successeur à la tête du parti. « Le PDS, c’est lui ; et lui, c’est le PDS », résume un bon connaisseur de la politique sénégalaise.
Découragés par ce leadership hégémonique, plusieurs cadres influents, comme Pape Diop, Modou Diagne Fada ou Abdoulaye Baldé, ont lancé leur propre formation au cours des dernières années. Cette absence de dauphin est une autre explication du « come-back » de Wade.
Au PDS, tous l’affirment en chœur : si l’ex-président a accepté de diriger la liste nationale de la Coalition gagnante/Wattu Senegaal, c’est à la demande du parti. Sous-entendu : personne d’autre que lui ne pouvait assumer un tel rôle.
Un retour en politique au nom de son fils en exil, Karim Wade
Reste enfin l’hypothèse qu’Abdoulaye Wade se soit engagé dans ce combat au nom de Karim, contraint à l’exil au Qatar depuis sa libération, en juin 2016. Même si ses lieutenants s’en défendent, il est difficile d’envisager que le père n’ait pas pensé au fils au moment de faire son choix.
Mutique depuis qu’il a rejoint le petit émirat pétrolier, Karim Wade reste condamné à payer une lourde amende et il est toujours visé par une procédure de recouvrement de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei).
Il n’en reste pas moins officiellement candidat du PDS pour la prochaine présidentielle, ce qui pousse certains à conclure que son père tente de lui préparer le terrain pour 2019.
Le vieux lion défendra son fils, coûte que coûte
Très remonté contre le traitement infligé à son fils par la justice sénégalaise, Abdoulaye Wade ne manque pas une occasion d’égratigner son successeur.
Dans une interview accordée à la chaîne Sen TV le 7 juillet, il affirmait par exemple que c’était Macky Sall qui avait sollicité l’émir du Qatar pour accueillir Karim Wade, et non l’inverse. Des propos qui ont fait bondir l’entourage présidentiel, lequel a immédiatement démenti cette version des faits.
« Nous rendrons coup pour coup, menace un proche du chef de l’État. Nous en savons beaucoup plus sur lui qu’il ne le pense et nous n’hésiterons pas à sortir certains dossiers. »
Il ne reste plus qu’à attendre le 30 juillet
Entre les deux camps, la bataille des législatives, dernier test électoral avant la présidentielle de 2019, s’annonce donc rugueuse. Après s’être installé avec son épouse dans la villa cossue de son ancien ministre des Affaires étrangères Madické Niang dans un quartier chic de la capitale, l’ancien président a entamé sa campagne par un déplacement à Touba, la ville sainte de l’influente confrérie mouride.
Une fois les législatives passées, nul ne sait en revanche ce qu’a prévu « Gorgui ». Si son entourage assure qu’il laissera son siège de député à son suppléant, le vieux lion n’a visiblement pas l’intention d’arrêter de rugir pour autant.
Pas de deuxième vie pour « Gorgui »
Contrairement à Abdoulaye Wade, qui demeure le numéro un du PDS depuis qu’il a quitté le pouvoir en 2012, ses deux prédécesseurs, Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, s’étaient tous deux reconvertis à l’issue de leurs mandats.
Après avoir démissionné en 1980 après vingt ans de présidence, le « poète-président » est devenu le premier Africain à siéger à l’Académie française, à partir de 1983.
Il consacra la fin de sa vie à l’écriture, jusqu’à son décès en Normandie en 2001. Quant à Abdou Diouf, chef de l’État de 1981 à 2000, il a ensuite été pendant douze ans le secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Il a également profité de sa retraite politique pour publier ses Mémoires, en 2014.
Par Benjamin Roger (jeuneafrique)