Leral.net - S'informer en temps réel

Gabon I Sorties scolaires précoces : Planifier aujourd'hui pour sécuriser demain

Rédigé par leral.net le Vendredi 26 Décembre 2025 à 18:14 | | 0 commentaire(s)|

Au Gabon, les sorties précoces du système scolaire ne relèvent ni d'un accident passager ni d'un simple relâchement des familles ou des élèves. Elles constituent une réalité structurelle, documentée et mesurable, que les données nationales et internationales permettent désormais d'objectiver avec précision. Les ignorer revient non seulement à subir leurs conséquences sociales, mais aussi à renoncer à gouverner une part essentielle du capital humain du pays.
Les statistiques de l'Institut (...)

- LIBRE PROPOS /

Au Gabon, les sorties précoces du système scolaire ne relèvent ni d'un accident passager ni d'un simple relâchement des familles ou des élèves. Elles constituent une réalité structurelle, documentée et mesurable, que les données nationales et internationales permettent désormais d'objectiver avec précision. Les ignorer revient non seulement à subir leurs conséquences sociales, mais aussi à renoncer à gouverner une part essentielle du capital humain du pays.

Les statistiques de l'Institut de statistique de l'UNESCO (UIS), croisées avec celles de la Banque mondiale et de l'UNICEF, montrent que le Gabon affiche depuis plusieurs années un taux brut de scolarisation au primaire supérieur à 100 %, témoignant d'un accès quasi universel à l'école de base, y compris avec des phénomènes de redoublement et d'entrées tardives. Cependant, ce succès apparent masque une fragilité majeure : la capacité du système à retenir les élèves au-delà des premières années reste limitée.

Selon les données de fréquentation scolaire par tranche d'âge publiées par l'UNICEF et reprises dans plusieurs analyses nationales, une proportion significative d'enfants et d'adolescents âgés de 11 à 17 ans n'est plus scolarisée, alors même qu'ils n'ont pas achevé un cycle qualifiant.

Cette situation n'est ni spécifique au Gabon ni inattendue. La Banque mondiale souligne dans ses rapports sur le capital humain en Afrique centrale que les systèmes éducatifs de la région ont historiquement été conçus pour sélectionner une minorité plutôt que pour insérer durablement la majorité.

Les examens certificatifs, qu'il s'agisse du CEP, du BEPC ou du baccalauréat, jouent objectivement un rôle de filtres successifs. Du point de vue du planificateur, ces sorties précoces ne sont donc pas des anomalies statistiques, mais des flux structurels récurrents et prévisibles.

La principale faiblesse du système éducatif gabonais réside dans le fait que la planification a longtemps porté presque exclusivement sur les entrées, les effectifs scolarisés, les infrastructures et le nombre d'enseignants, sans intégrer explicitement la gestion des sorties.

L'annuaire statistique de l'éducation et de la formation, élaboré avec l'appui technique de l'UNESCO, constitue une avancée majeure, offrant désormais une base fiable pour suivre les parcours scolaires, les redoublements, les abandons et les transitions entre cycles. Mais disposer de données ne suffit pas : encore faut-il les traduire en décisions structurelles et opérationnelles.

Les jeunes qui quittent l'école précocement ne sortent pas de la société. Selon les analyses de l'UNICEF sur les enfants et adolescents hors école, ces jeunes sont immédiatement confrontés à la nécessité de travailler, souvent dans l'économie informelle, ou de contribuer aux revenus familiaux.

À défaut de dispositifs publics de réorientation et de qualification, le coût de ces sorties est transféré aux familles, aux communautés locales et à la société dans son ensemble, sous forme de chômage, de sous-emploi et de vulnérabilité sociale accrue.

Intégrer les sorties précoces dans la planification suppose un changement de paradigme. Il ne s'agit pas de les encourager, mais de les reconnaître comme une variable normale du fonctionnement du système éducatif et de les transformer en trajectoires encadrées.

Les travaux de la Banque mondiale sur l'inadéquation formation–emploi montrent que les économies comme celle du Gabon, dominées par le secteur tertiaire et l'auto-emploi, ont davantage besoin de compétences opérationnelles que de parcours scolaires longs sans débouchés clairs. Dans ce contexte, la formation technique et professionnelle devient un sous-système stratégique et non une voie de relégation.

Les données disponibles confirment que la demande sociale pour des formations courtes, certifiantes et directement monétisables croît constamment, comme l'indiquent les rapports nationaux et les études comparatives de l'UNESCO sur l'Afrique francophone.

Cette dynamique n'est pas le fruit du hasard : elle traduit une réponse spontanée de la société à un vide institutionnel. Lorsque l'école ne peut plus absorber ni insérer, d'autres formes d'apprentissage émergent pour répondre aux besoins économiques immédiats.

Du point de vue de la planification, l'enjeu n'est pas de choisir entre école classique et formation professionnelle, mais de les articuler. Cela implique d'intégrer explicitement les flux de sorties précoces dans les projections éducatives, de relier la carte scolaire nationale à une carte de la formation professionnelle et de construire des passerelles formelles permettant à un jeune de passer d'un segment du système à un autre sans rupture brutale.

Les orientations actuelles du Plan sectoriel de l'éducation, élaboré avec l'appui de l'UNESCO et aligné sur l'Objectif de développement durable 4, vont dans ce sens, mais elles doivent être consolidées par des mécanismes opérationnels et des financements adaptés.

Enfin, les analyses coûts-efficacité de la Banque mondiale et d'autres partenaires techniques montrent qu'investir dans la formation professionnelle courte produit un rendement social et économique souvent plus rapide qu'un allongement indifférencié des parcours scolaires. Former un jeune en six mois ou un an à un métier utile réduit la pression sur l'emploi public, renforce l'auto-emploi et contribue à la stabilité sociale. À l'échelle nationale, cela constitue un levier puissant de transformation du capital humain.

En définitive, un système éducatif qui ne planifie que l'entrée prépare mécaniquement l'exclusion. À l'inverse, un système qui assume la planification des sorties, en s'appuyant sur des données fiables produites par ses propres services et par des institutions reconnues comme l'UNESCO, l'UNICEF et la Banque mondiale, transforme une contrainte structurelle en opportunité de développement.

Intégrer les sorties précoces n'est pas abaisser l'ambition éducative nationale ; c'est reconnaître que la réussite d'un pays se mesure autant à ce que deviennent ceux qui quittent l'école qu'à ceux qui y restent jusqu'au bout.

Eugène-Boris ELIBIYO
Planificateur des systèmes éducatifs Conseiller en politiques éducatives



Source : https://www.gabonews.com/fr/actus/libre-propos/art...