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THIABA CAMARA SY, MENTOR DES AUDACIEUSES

Rédigé par leral.net le Samedi 5 Juillet 2025 à 01:04 | | 0 commentaire(s)|

Entre sagesse ancestrale et vision moderne, cette experte-comptable devenue investisseuse redéfinit l'entrepreneuriat africain en misant sur le potentiel des femmes, grâce à un fonds de 20 milliards de francs CFA

Dans le bureau feutré de son cabinet à Dakar, Thiaba Camara Sy accueille avec ce sourire dont elle dit qu'elle est "venue au monde avec". À 60 ans passés, cette femme d'affaires sénégalaise incarne une génération de pionnières qui ont tracé leur chemin dans un monde entrepreneurial encore largement masculin. Aujourd'hui, elle investit dans l'avenir à travers le Women Investment Club (WICK), un fonds de 20 milliards de FCFA dédié aux entreprises dirigées par des femmes.

"Je viens d'une famille de culture Lebou", explique-t-elle d'emblée. Cette origine façonne encore aujourd'hui sa philosophie d'entreprise. Les Lebou, cette communauté de pêcheurs et commerçants de la presqu'île du Cap-Vert, ont développé une société égalitaire où "il n'y a pas homme-femme, c'est l'être humain avec une égale obligation de dignité."

Son père, magistrat ayant plaidé courageusement lors du procès de Mamadou Dia, lui a transmis des valeurs cardinales : la droiture, l'honneur, et surtout cette maxime Lebou gravée dans sa mémoire : "Quoi que tu arrives à obtenir dans la vie, si tu n'as pas ton bien foncier, tu n'as rien." Une leçon d'indépendance économique qu'elle appliquera toute sa vie.

À 10 ans, Thiaba monte à cheval avec les gardes rouges de l'ASPA, l'association sportive des forces armées. Cette expérience militaire forge son caractère autant que sa vision du leadership. "L'équitation m'a appris que si vous regardez par terre, vous tomberez par terre. Quand on doit franchir un obstacle, il faut se projeter au-delà", raconte-t-elle.

Cette métaphore de l'équitation traverse tout son discours entrepreneurial. Après une chute qui lui brise le poignet à 14 ans, elle applique instinctivement la règle d'or des cavaliers : "On ne laisse jamais un cheval sur un refus. On ne reste jamais sur un échec. On a échoué au moment où on décide d'abandonner."

Thiaba maîtrise l'art de la parabole pour transmettre ses enseignements. Son histoire préférée ? Celle des puces dans le bocal. "Quand on enferme une puce dans un bocal ouvert, elle s'échappe. Mais si on met un couvercle, elle finit par ne plus sauter même quand on l'enlève. Elle s'est limitée elle-même."

Cette métaphore résume sa philosophie : nous sommes nos propres geôliers. "C'est mental. Et c'est là où il est important, quand on élève un enfant, de faire très attention au narratif qu'on lui donne", insiste-t-elle, particulièrement concernée par l'éducation des filles souvent bridées par des injonctions de prudence excessive.

L'entrepreneure malgré lui

Son parcours entrepreneurial commence par hasard. Jeune expert-comptable fraîchement diplômée, elle hésite à s'installer. Son père tranche : "Si tu dois faire les choses, fais-les sérieusement." Avec pour seul capital sa compétence et une conviction, elle loue un bureau, persuadée qu'au bout de trois mois d'arriérés de loyer, "on me mettrait à la porte."

Sa première cliente, une Française propriétaire d'un restaurant, accepte de payer 150 000 FCFA par mois quand le tarif standard était de 50 000. "Je lui ai dit : donnez-moi les moyens de vous délivrer cette qualité-là. Je n'ai que ça pour vivre." Le pari est tenu. Le bouche-à-oreille fait le reste.

"On ne réussit jamais seul" : ce leitmotiv guide toutes ses décisions. Thiaba prône l'humilité face à l'ignorance et la générosité dans le partage des conseils. "Le premier pas vers la compétence, c'est quand on prend conscience de tout ce qu'on ne sait pas et qu'on est ouvert au conseil d'autrui."

Elle insiste sur l'importance du mentorat, même payant : "Moi, je préfère payer 1000 francs et avoir ce dont j'avais vraiment besoin, plutôt que payer 100 francs et me rendre compte que j'ai jeté 100 francs par-dessus bord." Une philosophie qu'elle oppose à la mentalité francophone souvent réticente à investir dans le conseil, contrairement aux anglophones.

En 2016, Thiaba cofonde le Women Investment Club avec trois autres femmes. Le concept révolutionne l'investissement en Afrique de l'Ouest : "Par les femmes, pour les femmes." Le premier fonds de 3 milliards de FCFA a permis d'investir dans une dizaine d'entreprises dirigées par des femmes. Un deuxième fonds de 20 milliards est en cours de levée.

"Nous avons introduit l'empathie et la bienveillance dans ce monde de la finance", explique-t-elle. Chaque investissement s'accompagne d'un conseil d'administration, d'un mentorat et de six mois de coaching professionnel. L'approche cible le "missing middle" : ces PME de 200 millions à 1 milliard de FCFA de chiffre d'affaires, trop grandes pour la microfinance, trop petites pour les fonds traditionnels.

Les clés du succès selon Thiaba

Qu'est-ce qui différencie les entreprises qui réussissent ? "L'écoute et la capacité d'exécution", répond-elle sans hésiter. "Il faut se méfier de son ego. Entre ce qu'on sait faire et qu'on aime faire, et tout ce qu'on ne sait pas faire mais qui appartient au monde de l'entrepreneuriat, c'est énorme."

Son conseil aux jeunes entrepreneurs : "Vas-y, rien n'est en dehors de ta portée." Elle regrette d'avoir acquis cette confiance "beaucoup trop tard" et encourage l'audace calculée : "La peur, c'est un feu orange. Attention, il y a des risques. Mais ce n'est pas parce qu'on a peur qu'il faut pas y aller."

Pour Thiaba, l'Afrique détient les clés de l'avenir grâce à ses valeurs humanistes préservées malgré les épreuves. "Nous sommes profondément humanistes. Dans la langue wolof, l'importance du mot 'diam' (la paix) fait partie de nos valeurs fondatrices."

Elle milite pour une renaissance basée sur la connaissance de soi : "Il est important que nous comprenions, nous Africains, la puissance qui est en nous et que nous en soyons conscients et fiers. C'est ça qui va nous permettre de rétablir notre puissance."

Sa devise résume tout : "Nous vivons la vie que nous créons pour nous." Thiaba compare l'humanité à l'apprenti sorcier de Mickey Mouse : nous possédons un immense pouvoir de création, mais il faut l'accompagner de sagesse.

"L'esprit humain est la technologie la plus avancée de l'univers. Jusqu'à présent, nous sommes les seuls à avoir le pouvoir de création après le Tout-Puissant. Cette capacité créatrice, nous l'avons, mais elle n'a de sens que si nous savons l'utiliser à bon escient."

Video URL: 
https://www.youtube.com/watch?v=Or_WMFM8kaI
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Farid


Source : https://www.seneplus.com/developpement/thiaba-cama...