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ACCES AU MARCHE FINANCIER SOUS-REGIONAL : Quand l’État entre, le privé sort !


Rédigé par leral.net le Lundi 23 Juin 2025 à 14:27 | | 0 commentaire(s)|

L’effet d’éviction est souvent le symptôme d’un marché peu mature, faiblement diversifié et institutionnellement biaisé en faveur du financement public. Le marché financier sénégalais et sous-régional est actuellement confronté à un effet d'éviction notable, où les besoins croissants de financement de des Etats absorbent une part significative des ressources disponibles, réduisant ainsi l'accès au crédit pour le secteur privé.
ACCES AU MARCHE FINANCIER SOUS-REGIONAL : Quand l’État entre, le privé sort !
Le marché financier de la BRVM fait recette. C’est le moins que l’on puisse dire. De plus en plus, les Etats de l’union sollicitent le marché dont le dynamisme est davantage lié aux titres publics, entre BAT (Bons Assimilables du Trésor) et autres OAT (Obligations Assimilables du Trésor), répondant aux besoins de trésorerie et autre service de la dette. Si cette « boulimie » est salutaire pour le financement des Etats, elle est cependant de nature à faire le « malheur » du secteur privé en limitant la disponibilité des ressources pour le financement de celui-ci, en particulier les petites et moyennes entreprises. Ces dernières se retrouvent mécaniquement confrontées à un accès restreint au crédit, les établissements financiers privilégiant l'acquisition de titres d'État, considérés comme moins risqués, au détriment des prêts au secteur privé.

Pour mieux illustrer la prédominance du financement public, les obligations publiques (Etat, collectivités) représentent 82,05% du marché obligataire contre 17,95% pour les obligations privées. Pourtant, ces dernières offrent aux investisseurs la possibilité de diversifier leurs portefeuilles et potentiellement d'obtenir des rendements plus élevés que les obligations publiques. Mais les banques privilégient l'achat de titres publics, considérés comme moins risqués, au détriment des prêts au secteur privé. On note certes une amélioration sur le volume des émissions d’obligations « corporate » qui est passé de vingt-deux (22) en 2023 à vingt-huit (28) lignes en 2024. L'année 2024 a été marquée par un regain des émissions d’obligations souveraines, avec cent vingt-huit (128) titres publics admis à la BRVM contre cent onze (111) en 2023. L’année 2025 est partie pour battre le record.
 
2025, un record   

2970,07 milliards de francs Cfa, c’est le volume total mobilisé sur le marché primaire des titres publics émis par adjudication pour le premier trimestre de l’année 2025 selon les ‘’Statistiques du marché des Titres publics’’ de Umoa-Titre, rendu publique le 18 avril 2025.  

Au 30 avril 2025, les États de l’UEMOA ont levé 4 751,95 milliards FCFA (8,14 milliards USD), en hausse de +96 % par rapport à la même période en 2024. Cette hausse est largement due à des émissions massives d’OAT (obligations).   Concernant le Sénégal, depuis début 2025 et jusqu’à la date du 13 juin, il a recueilli 1310,036 milliards FCFA sur le marché financier sous régionale.

Le 19 juin dernier, soit il y a cinq jours, le Sénégal a lancé une opération d’un montant de 300 milliards de Fcfa exclusivement en OAT (Obligations) à moyen/long terme (de 3 à 10 ans) pour attirer des investisseurs à la recherche de revenus fixes. Cette opération est structurée en obligations simples et distinctes en quatre tranches, avec des taux croissants avec la durée, reflétant la prime liée à celle-ci.     

La même tendance est observée globalement, en zone UEMOA où, au 1er trimestre 2025, les États ont levé quelque 2 970 ,07 milliards de FCFA, en hausse de +87 % par rapport au 1er trimestre 2024 (1 590 milliards). Les maturités court terme (12 mois) représentent 37 % (1 108 milliards), avec aussi des titres à 3 ans (550 milliards), 3 mois (326 milliards), 5 ans (234 milliards) et 6 mois (233 milliards).

En comparaison à 2024, le total annuel des émissions se situent à 8 127 milliards FCFA, en hausse de +13 % par rapport à 2023 (7 214 milliards) et le Sénégal y a contribué à hauteur de 19 %, soit environ 998 milliards FCFA, dont 616 milliards en BAT.
Pour le 2ᵉ trimestre 2025, les droits d’émissions prévues s’élèveraient à 2 600 milliards FCFA, soit 4,3 milliards USD, avec une forte proportion allouée aux OAT (60 %). Etant donnés les premiers mois du 1er trimestre (+87 % par rapport à 2024) et ces intentions, l’année 2025 s’annonce comme la plus intense en émissions souveraines jamais enregistrée. Avec près de 4,75 trillions de FCFA levés rien qu’au 30 avril, 2025 a déjà atteint plus de 50 % du total 2024.
 
Au détriment des entreprises

Les titres publics mobilisent une partie non négligeable de l’épargne régionale, réduisant la participation des investisseurs privés locaux dans les secteurs productifs. Les investisseurs sont davantage attirés par les titres publics offrant des rendements élevés (~7 %), au détriment du financement des entreprises privées. L’afflux de capitaux vers les titres publics tend à compresser les crédits bancaires et réduire la liquidité disponible pour les entreprises régionales. Par ailleurs, les investisseurs locaux privilégient des placements sûrs et liquides (Bons Assimilables du Trésor), se détournant d’actions et de financements privés, ce qui limite la montée en gamme des marchés de capitaux régionaux.

La pression sur le marché financier régional suscite en tout cas une augmentation des coûts d'emprunt, rendant le crédit plus coûteux pour les entreprises privées. Il s’en suit un ralentissement de l'investissement privé, la difficulté d'accès au financement freinant les projets d'investissement du secteur privé, impactant ainsi la croissance économique. Au-delà de ces données qui illustrent bien la prédominance des États sur le marché financier, l’effet d'éviction est souvent le symptôme d’un marché peu mature, faiblement diversifié et institutionnellement biaisé.
 
Facteurs combinés

Lorsque l’État émet massivement, il capte une part disproportionnée des ressources disponibles. Mais l’effet d’éviction peut aussi résulter d’autres facteurs structurels et conjoncturels. Dans la zone UEMOA, le marché reste peu profond et peu diversifié et le nombre d’investisseurs institutionnels est limité (assureurs, fonds de pension, etc.), signifiant l’étroitesse de la demande globale en instruments financiers.

Les investisseurs institutionnels privilégient les titres d’État, jugés plus sûrs, liquides et sans exigence en fonds propres. Ce qui rend les obligations privées ou PME moins attractives, ce d’autant plus  qu’elles présentent des risques ou des coûts d’analyse plus élevés. Par ailleurs, la politique monétaire restrictive ou le resserrement des liquidités (via la politique anti-inflationniste ou pour soutenir la parité monétaire) minimise l’offre de capitaux disponibles. Dans ce contexte, c’est l’État, en tant qu’emprunteur privilégié, qui capte la majorité des ressources, accentuant ainsi l’éviction.
 
La faible culture boursière, les contraintes réglementaires sont aussi des facteurs explicatifs de la rareté des émissions obligataires privées et du manque de dynamisme du secteur privé sur les marchés financiers. Les banques préfèrent souvent acheter des titres publics (zéro risque, bonne rémunération) que de prêter au secteur privé, surtout aux PME jugées risquées ou peu structurées. La faible intermédiation bancaire vers le privé amplifie l’effet d’éviction, indépendamment de la transparence ou non des finances publiques.
 
Risques systémiques

Lorsqu’il devient persistant et structurel, l’effet d’éviction peut engendrer des risques systémiques importants, surtout dans des économies à marché financier étroit comme celles de l’UEMOA. La faible intermédiation bancaire vers le privé réduit la diversification de leurs actifs et une concentration excessive des portefeuilles bancaires sur la dette publique, augmentant leur vulnérabilité aux chocs souverains (défaut ou restructuration de la dette). Or, si les investisseurs sont sur-exposés à la dette publique, un événement comme une hausse des taux, une détérioration de la note souveraine, ou une suspension de paiements peut provoquer une fuite de capitaux ou une baisse de liquidité.
 
Hors des sentiers battus

Pour atténuer l'effet d'éviction et soutenir le développement du secteur privé, le renforcement de la discipline budgétaire de l’État est une voie royale. Une gestion budgétaire transparente permet aux investisseurs (locaux et étrangers) de mieux évaluer les risques souverains. Aussi, en réduisant l’incertitude liée à la dette publique et aux engagements futurs, l’État peut emprunter à des taux plus bas et moins fréquemment, limitant ainsi sa présence dominante sur le marché. Dans ce contexte, les déficits sont mieux maîtrisés. Moins de déficit = moins de besoin de financement. Cela réduit la pression de l’État sur le marché financier local, laissant plus de ressources disponibles pour le secteur privé.  

La diversification des sources de financement est incontournable et il convient d’encourager le développement de marchés financiers alternatifs et de mécanismes de financement innovants pour le secteur privé ; mais aussi de promouvoir les partenariats public-privé : Ces partenariats peuvent mobiliser des ressources supplémentaires pour des projets d'infrastructure et de développement économique. De même, la création d'instruments financiers spécifiques, tels que les obligations vertes ou les « sukuks », peut attirer davantage d'investisseurs vers le secteur privé.

Des initiatives comme l’accord de coopération signé en octobre 2024 entre la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), visant à améliorer le financement des PME de l'UEMOA, ne sont pas négligeables. Ce partenariat comprend trois axes principaux : le renforcement des capacités des PME, l'accès au marché de la dette et le financement en fonds propres. En novembre 2024, le Fonds africain de développement (FAD) a approuvé un don de 11,25 millions de dollars (6, 4 milliards de FCfa) à la Commission de l'UEMOA, pour faciliter l'accès des services financiers aux populations vulnérables. Ces initiatives témoignent d'une volonté régionale et nationale de renforcer le financement du secteur privé et de réduire l'effet d'éviction. Cependant, des mesures fortes sont nécessaires pour améliorer la liquidité et la profondeur du marché financier secondaire, et encourager l’émission de titres privés en facilitant la titrisation ou les obligations corporatives. Le renforcement des agences de notation locales ainsi que les mécanismes de garantie représentent également un levier important, mais tout cela ne pourrait être efficace sans une forte culture et une inclusion financière dans l’espace sous-régional.
Malick NDAW



Source : https://www.lejecos.com/ACCES-AU-MARCHE-FINANCIER-...

La rédaction