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AU BÉNIN, TALON PART POUR MIEUX RESTER AU POUVOIR

Rédigé par leral.net le Vendredi 21 Novembre 2025 à 00:01 | | 0 commentaire(s)|

La réforme constitutionnelle adoptée en pleine nuit mi-novembre instaure un Sénat non élu capable de sanctionner les opposants, allonge tous les mandats électifs et offre au président sortant un siège institutionnel à vie

Le Bénin, autrefois salué comme un modèle démocratique en Afrique de l'Ouest, traverse une période de bouleversements institutionnels. Dans la nuit du 14 au 15 novembre, l'Assemblée nationale, dominée par la majorité présidentielle, a adopté une réforme constitutionnelle d'envergure qui redessine profondément l'architecture du pouvoir béninois.

Stéphane Bolle, professeur de droit public à l'université Paul-Valéry de Montpellier et spécialiste du constitutionnalisme africain depuis plus de 20 ans, analyse cette réforme lors de l'émission "Décrypter l'Afrique" diffusée ce jeudi 20 novembre sur VoxAfrica. Pour cet expert, ancien animateur du blog "La Constitution en Afrique", il ne s'agit pas de simples retouches mais d'un véritable "changement d'origine" qui précipite le pays vers une "déconsolidation démocratique".

La réforme comporte trois piliers particulièrement controversés. Premier dispositif : l'instauration d'une "trêve politique" obligatoire. De la proclamation des résultats présidentiels jusqu'aux douze mois précédant le scrutin suivant, l'opposition devra observer certains comportements sous surveillance du nouveau Sénat et se limiter à des "critiques constructives".

Deuxième innovation : la création d'un Sénat d'un genre inédit, une "chambre des anciens" composée exclusivement de membres non élus. Y siégeront automatiquement les anciens présidents de la République, les anciens présidents de l'Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle, ainsi que d'anciens chefs militaires nommés par le président. Cette assemblée de 25 membres disposera de pouvoirs étendus, notamment celui de sanctionner les acteurs politiques par la privation ou la suspension de leurs droits civiques.

Troisième changement, adopté au petit matin et absent du projet initial : l'allongement de tous les mandats électifs de cinq à sept ans, qu'il s'agisse du président de la République, des députés ou des élus locaux.

"Le Sénat béninois est vraiment une institution sans équivalent", affirme Stéphane Bolle lors de son intervention. Contrairement aux sénats classiques, même non élus au suffrage direct, celui du Bénin ne comportera aucun élu et disposera d'un pouvoir de contrôle considérable sur les institutions démocratiques.

L'expert y voit une ressemblance troublante avec le "Sénat conservateur" de l'époque bonapartiste en France. Cette nouvelle chambre haute pourra s'opposer à des lois sensibles, demander le réexamen de textes votés par l'Assemblée nationale et, surtout, exercer une surveillance permanente sur la vie politique béninoise.

Le texte constitutionnel prévoit explicitement que le Sénat pourra sanctionner "par la privation ou la suspension des droits civiques ou politiques" tout acteur politique dont "les actes et propos" seraient jugés susceptibles de porter atteinte à l'unité nationale, au développement, à la sécurité ou à la stabilité du pays. Des critères suffisamment larges pour inquiéter les défenseurs des libertés démocratiques.

Si Patrice Talon, au pouvoir depuis 2016, ne pourra effectivement pas briguer un troisième mandat en 2026, la réforme lui offre ce que Stéphane Bolle qualifie de "parachute doré". Le président sortant deviendra automatiquement membre de droit du Sénat, fonction qu'il pourra exercer jusqu'à ses 85 ans.

Plus significatif encore : rien ne l'empêche de devenir président de cette nouvelle institution. "On pourrait se retrouver avec un Patrice Talon qui serait, si je peux me permettre, le guide suprême d'une République développementaliste", analyse le constitutionnaliste, évoquant une possible "caporalisation des institutions élues par le Sénat".

Le successeur désigné, Romuald Wadani, ministre des Finances depuis 2016 et considéré comme le dauphin de Talon, semble avoir toutes les chances de remporter la présidentielle. Les principaux partis d'opposition, dont les Démocrates dirigés par l'ancien président Boni Yayi, ont vu leurs candidats écartés du scrutin, perpétuant ainsi une pratique qui a marqué toute la présidence Talon.

Une dérive régionale préoccupante

Le Bénin n'est pas un cas isolé. Stéphane Bolle inscrit cette réforme dans une tendance régionale inquiétante où le droit constitutionnel et électoral devient "une arme politique" pour éliminer les adversaires. Au Togo, Faure Gnassingbé a transformé le régime pour devenir président du Conseil des ministres. En Côte d'Ivoire, au Cameroun ou en Tanzanie, parrainages opaques, invalidations arbitraires et condamnations judiciaires servent à écarter les opposants gênants.

"Nous sommes face à une dévitalisation de la démocratie, voire un escamotage", déplore l'expert, qui parle de "démocraties illibérales" où "tous les moyens sont bons" pour verrouiller le pouvoir. Au Bénin même, deux figures de l'opposition, Reckya Madougou et Joël Aïvo, sont incarcérés depuis 2021.

Cette révision constitutionnelle couronne une série de réformes politiques et institutionnelles menées depuis 2016 qui ont progressivement privé l'opposition de la possibilité de participer aux élections. Un contexte qui "tranche avec ce qui existait auparavant au Bénin", pays qui fut longtemps considéré comme le "quartier latin de l'Afrique" pour sa tradition démocratique.

L'adoption même de cette réforme soulève des interrogations. Bien que la Constitution béninoise permette d'éviter le référendum si les quatre cinquièmes des députés votent la révision, l'ampleur des changements aurait justifié, selon Stéphane Bolle, une consultation populaire au nom d'une "morale constitutionnelle".

Le processus lui-même a manqué de transparence : proposition déposée le 31 octobre, très peu de publicité, adoption nocturne dans la précipitation. "Ce n'est pas la meilleure manière de fabriquer de nouvelles normes constitutionnelles", souligne le juriste.

Le texte attend désormais la validation de la Cour constitutionnelle avant promulgation, mais peu d'observateurs doutent de son issue dans le contexte politique actuel.

Comment sortir de l'impasse ?

Pour Stéphane Bolle, le retour à un "constitutionnalisme positif" nécessite trois conditions essentielles. D'abord, "davantage de participation populaire" dans l'élaboration des textes, retrouvant l'esprit de dialogue qui avait présidé à la Constitution de 1990. Ensuite, des règles fondées sur "l'inclusion" plutôt que sur l'exclusion systématique des adversaires politiques. Enfin, un impératif d'éthique politique où les dirigeants placent le bien commun au-dessus des intérêts partisans.

"L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, elle a besoin d'institutions fortes", rappelle-t-il en citant Barack Obama. Un principe qui semble s'éloigner dangereusement au Bénin, où les institutions risquent de devenir les instruments d'un pouvoir personnalisé plutôt que les gardiennes de la démocratie.

Avec cette réforme, Patrice Talon s'inscrit dans la lignée de ces dirigeants africains qui, sans violer formellement la limitation des mandats, parviennent à configurer le pouvoir pour y perdurer sous d'autres formes. Une "ingénierie autoritaire" qui pose la question de l'avenir du constitutionnalisme démocratique sur le continent.

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Farid


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