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Afrique du Sud: Jacob Zuma, danse au bord du gouffre

Rédigé par leral.net le Mercredi 7 Février 2018 à 18:29 | | 0 commentaire(s)|

Même le roi des Zoulous n’a pas réussi à le convaincre de partir. Jacob Zuma, attaqué de toutes parts pour les affaires de corruption dans lesquelles il est empêtré, s’entête à rester au pouvoir. L’étau, pourtant, se resserre autour du président sud-africain. Mardi, la présidente de l’Assemblée nationale, Baleka Mbete, a pris la décision historique de reporter sine die le discours annuel du chef de l’Etat devant le Parlement, initialement prévu pour jeudi. «Nous avons pensé qu’il était nécessaire d’assurer un climat politique plus propice» à la tenue de ce discours, a-t-elle déclaré.

Siège éjectable

Car le climat est à l’orage pour Jacob Zuma, qui comptait sur ce discours pour calmer les esprits. Pendant plusieurs mois, l’ANC, le parti majoritaire qui l’a élu à la plus haute fonction, a essayé de statuer sur son sort. Sans succès. Depuis que Cyril Ramaphosa a remporté les élections du parti face à Nkosazana Dlamini-Zuma, l’ex-épouse du président Zuma, ce dernier est plus isolé que jamais.

Dimanche soir, en réunion dans sa résidence de Pretoria, les principaux cadres de l’ANC lui auraient demandé de démissionner. Premier refus. Le lendemain, un comité de travail de l’ANC s’est réuni pour «discuter de l’avenir du Président», selon les mots de la secrétaire générale adjointe du parti, Jessie Duarte.

Toujours selon elle, les discussions ont achoppé sur les «positions différentes» qui continuent de s’opposer au sein du parti. C’est désormais à la plus haute instance décisionnaire du parti, le Comité national exécutif (NEC), de trancher.

En 2008, c’était lui qui avait contraint à la démission le président d’alors, Thabo Mbeki, en le révoquant du parti. Or Cyril Ramaphosa a annulé mardi soir une réunion de ce comité, prévue pour aujourd’hui, après s’être entretenu longuement avec Jacob Zuma. Cette annulation pourrait indiquer qu’un accord a été trouvé entre les deux hommes pour la démission du Président. 

«S’il ne part pas de lui-même à la demande du parti, il sera chassé par les députés», affirme Marianne Séverin, chercheuse associée au LAM (Les Afriques dans le monde) de Sciences-Po Bordeaux et spécialiste de l’ANC. Une nouvelle motion de censure a été déposée contre lui par l’opposition au Parlement, et devra être examinée le 22 février.

Si de précédentes motions ont échoué, ses soutiens au Parlement se réduisent comme peau de chagrin. Il n’a manqué que 24 voix (sur 400) à la dernière, soumise au vote au mois d’août. Selon Marianne Séverin, «le fait que la présidente de l’Assemblée nationale, Baleka Mbete, une ancienne pro-Zuma, ait décidé de reporter son discours est révélateur: il est cuit. Il n’a quasiment plus aucun soutien dans son parti».

Car s’il doit finir son mandat en 2019, la majorité des membres de l’ANC, Cyril Ramphosa en tête, savent qu’assumer le bilan de Jacob Zuma aux prochaines élections, risquerait de couler le parti. Il faut dire qu’une bonne partie de la population semble lui en vouloir.

«Un enfant dans un magasin de bonbons»

En novembre, un sondage Ipsos indique que 72% des Sud-Africains de plus de 18 ans considèrent qu’il aurait mal fait son travail. Plus grave encore, l’enquête d’opinion montre que 60% des soutiens de l’ANC sont mécontents de son mandat.

Il faut dire que son palmarès est chargé. «Les gens en ont littéralement marre de Zuma. Il a plongé le pays dans la honte, il gouverne mal, il confond les deniers publics avec son propre porte-monnaie», affirme Marianne Séverin. Selon les chiffres de l’OCDE, le taux de chômage atteint des niveaux records: 27% dans l’ensemble de la population, 54% chez les 15-24 ans.

Mais ce qu’on lui reproche le plus, selon la chercheuse, est d’avoir «vendu le pays aux grandes firmes internationales pour son propre profit. Il était corrompu avant, mais depuis qu’il est au pouvoir, il agit comme un enfant dans un magasin de bonbons».

Sa proximité avec la fratrie indo-sud-africaine des Gupta, devenue multimilliardaire grâce à l’attribution de juteux marchés d’Etat, est devenue l’incarnation de cette collusion avec les milieux d’affaire internationaux. Pas sûr cependant que le Président soit assez lucide pour accepter son manque de popularité.

«Déni»

Le président a déjà refusé plusieurs fois de démissionner, clamant avoir le soutien du peuple et être victime de forces étrangères. Pour Marianne Séverin, «il est dans le déni. Il sait qu’une fois le pouvoir perdu, plus rien ne le séparera de la case prison. Il ne joue pas seulement sa survie politique, mais aussi sa survie tout court». Et il a encore quelques cartes en mains.

Nombre de ses soutiens au Parlement ou dans les administrations sont eux-mêmes impliqués dans des enquêtes pour corruption, et lui sont donc dévoués corps et âme. «C’est la panique à bord. S’il saute, cela va mettre des centaines d’administrateurs au chômage. Beaucoup font partie de la clientèle des Gupta par exemple.» 

Dix ans d’infiltration patiente des administrations par ses affidés porte aujourd’hui ses fruits. Alors que le Président ne bénéficie pas, comme en France, d’une immunité présidentielle, il a réussi à s’affranchir temporairement des quelque 700 charges pour fraude et corruption qui pesaient sur lui grâce à leur annulation par un proche procureur général en 2008.

Il s’estime donc en position suffisamment forte pour conditionner son départ à l’obtention de l’immunité judiciaire pour sa famille, un certain nombre de ses ministres, et lui-même. Pas sûr, donc, qu’il parte de sitôt, même si la réunion du Comité national exécutif, jeudi, risque d’être décisive. 

«De toute façon, la société civile est vent debout pour défendre sa toute jeune démocratie. Les juges sont prêts à se faire Zuma. Même s’il ne tombe pas demain, ils ne le lâcheront pas», affirme Marianne Severin.