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Assassinat de six policiers le 16 février 1994 : Djibo Kâ, Tanor et les Moustarchidines

21 ans après, retour sur un évènement tragique. La manifestation de l’opposition du 16 février 1994 à laquelle avait pris part le mouvement politico-religieux des Moustarchidines fait partie des pages sombres de l’histoire du Sénégal. Mais Djibo Ka, ministre de l’Intérieur à l’époque des faits, y a une version pas très connue du grand public.


Rédigé par leral.net le Lundi 16 Février 2015 à 13:33 | | 0 commentaire(s)|

Assassinat de six policiers le 16 février 1994 : Djibo Kâ, Tanor et les Moustarchidines
La semaine dernière, la justice a condamné à une lourde peine (20 ans de travaux forcés) des jeunes de Colobane reconnus coupables de la mort du policier Fodé Ndiaye. Hasard du calendrier, quelques jours après, c’est le 21ème anniversaire du meurtre de six policiers, tué le 16 février 1994 des suites d’une manifestation de l’opposition à laquelle avait pris part le mouvement politico-religieux : les Moustarchidina Wal Moustarchidaati. Immédiatement ciblé, le mouvement, par arrêté numéro 001123, avait été interdit de toute activité par le ministre de l’Intérieur de l’époque Djibo Leyti Ka, via une déclaration télévisée. 150 de ses membres furent arrêtés.

21 ans après, l’ancien ministre se montre très peu prolixe à ce sujet car, déclare_t-il, il a tourné la page. Il n’en garde pas moins des souvenirs qui sont tout sauf agréables. Joint au téléphone hier, il accuse plutôt ses ex-camarades socialistes au premier rang desquels Abdou Diouf et Ousmane Tanor Dieng. Il regrette qu’une affaire de sécurité intérieure soit exploitée par des adversaires d’un même bord politique. "C’était un grand et vaste complot. C’est le Ps qui se battait contre lui-même. Tanor était à côté de Diouf au palais et il y avait des informations qu’on m’a cachées. Un Etat n’a pas à s’immiscer dans les affaires internes d’un parti", martèle-t-il.

Pourquoi alors avoir incarcéré les Moustarchidines ? Djibo Leyti Ka répond : "Ils se sont transformés en bras armés de ceux qui me combattaient à l’époque. C’est un évènement extrêmement grave." Coïncidence ou pas, la levée de l’interdiction a été annoncée, d’après Makhary Mbaye auteur d’un mémoire de maîtrise sur les Moustarchidines, le 5 novembre de la même année par Serigne Cheikh Tidiane Sy, lors d’une conférence à Tivaouane. Une annonce qui s’est faite, selon la même source, en présence du ministre d’Etat chargé des services présidentiels : Ousmane Tanor Dieng. Aujourd’hui, l’ancien ministre de l’Intérieur de l’époque dit avoir sauvé ce qui pouvait l’être et appelle à ce que plus jamais pareille situation ne se reproduise au Sénégal.

Tout est parti d’un meeting organisé par la Coordination des forces démocratiques (CFD), un regroupement de cinq formations politiques de l’opposition pour protester contre le climat social, conséquence en partie de la dévaluation du F CFA et les interdictions des manifestations. Cette rencontre a vu la participation des Moustarchidines. D’ailleurs, leur responsable moral Moustapha Sy, fils du guide religieux Serigne Cheikh Tidiane Sy actuel Khalife à Tivaouane, a été arrêté et placé sous mandat de dépôt le 29 ou 30 octobre 1993.

Moustapha Sy avait déclaré lors d’une rencontre publique "qu'il pouvait tuer le chef de l'Etat sénégalais, M. Abdou Diouf, mais que cela ne l'intéressait pas". Il avait aussi affirmé connaître les assassins du juge Me Babacar Sèye. Il avait donc été inculpé pour "actes et manœuvres de nature à troubler l'ordre public". Son mouvement, opposé donc au pouvoir, a participé au meeting organisé sur les Allées du Centenaire au rond point situé à la hauteur de la rue 25 de la Médina.

Amnesty international innocente les opposants

A la fin de la rencontre, certaines sources indiquent que c’est l’avocat et opposant historique Abdoulaye Wade qui a dit aux manifestants : "Vous voulez marcher, eh bien marchez !" Dans un document publié le 1er juin 1994, Amnesty international se fait l’avocat des opposants. "La réunion a dégénéré après que quelques participants eurent interrompu les discours des leaders et appelé à marcher immédiatement sur le palais présidentiel. Alors que certaines personnes, dont les responsables de l'opposition, ont quitté les lieux, des manifestants en cagoule ont attaqué les forces de sécurité avec des couteaux, des machettes, des gourdins et des pistolets. Des magasins ont été pillés et des voitures incendiées, dont un véhicule de la police", note le document qui en conclut que les hommes arrêtés étaient "des prisonniers d’opinion".

Quoi qu’il en soit, les cagoulés ont tué cinq policiers et brûlé leur camionnette dans leur marche macabre. Un sixième va succomber à ses blessures. Ajoutez-y la mort d’un manifestant et le bilan s’arrête à 7 morts. Les deux leaders de l’opposition Abdoulaye Wade et Landing Savané seront arrêtés et inculpé d’atteinte à la sûreté de l‘Etat. Leurs avocats dénoncent une procédure contre la légalité, car ils sont des députés dont les immunités parlementaires ne sont pas levées. Deux autres personnes seront arrêtées. Il s’agit d’un député du Pds et de Pape Malick Sy, numéro deux des Moustarchidines.

A l’issue d’un procès, les leaders ainsi que tous les autres manifestants ont bénéficié d’un non-lieu. Les individus arrêtés étant relaxés, la question se pose de savoir qui sont les vrais meurtriers des policiers. Réponse de Djibo Ka : "Demandez-le à la justice." La volonté de décrispation a-t-elle primé sur la justice ? Peut-être que la publication des mémoires de l’un des acteurs de cette page sombre de l’histoire du Sénégal permettra d’en savoir plus. Mais à condition qu’il ne fasse pas comme l’ancien président Abdou Diouf qui, dans ses mémoires, a jugé bon de faire un black-out total sur cet épisode de son magistère.

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