Seulement quand ils parlent ou écrivent depuis quelques temps, ce n'est plus sous le mode d'une quelconque bonhomie, 'à l'italienne'. Devenus virulents, expéditifs, peu enclins à la palabre bon enfant, ils s'épient, se surveillent, se mesurent, comme si, dans les grands combats de lutte traditionnelle devenus leur principale distraction, ils ne rêvent que d'en découdre. A l'image de ce que leur pays est devenu -une arène grandeur nature!
Ici il ne s'agit pas de duels physiques d'homme à homme sous les regards direct et digital des foules sénégalaises agglutinées dans les lieux des combats ou devant leurs écrans de télévisions. Ce dont il est question relève pourtant aussi d'une vieille tradition nationale: l'art du combat politique.
Depuis la nuit des temps, le pays n'a jamais été qu'une vaste arène politique et les champions de celle-ci n'ont rien à envier aux nouveaux gladiateurs physiques se battant par leurs muscles profondément passés sous les mains des marabouts dont les eaux bénites et autres gris-gris aident à mieux camper le décor de leurs joutes, au rythme des tambours et chansons à leur gloire...
Ces temps-ci, hélas, les neurones des lutteurs politiques se bousculant sur la scène nationale pour conquérir les voix des Sénégalais, de manière démocratique, ou, plus souvent, par des magouilles anti-démocratiques largement partagées, semblent n'être que des ...muscles. Résultat: le débat national est devenu faible voire inexistant. Il semble avoir été transformé en querelles de bornes-fontaines. Volant souvent au ras des pâquerettes, il ne soulève jamais ou presque les enjeux essentiels susceptibles de déterminer l'avenir du pays dans un monde en mutation fulgurante ou seuls les Etats bien dirigés, placés sur les rampes de la technologie, du savoir, de la vraie démocratie, de la productivité et de l'innovation, font la différence.
Or depuis qu'il fait de la politique, le Sénégal, en dehors du rêveur et poète, Léopold Sedar Senghor, qui fut, de 1960 à 1980, son premier Chef de l'Etat, n'a connu que des populistes au sein de sa classe politique...Depuis les temps anciens où, sur fond d'identité ethnique, d'accointance religieuse ou encore d'appartenance aux chefferies traditionnelles, les plus célèbres des lutteurs politiques sénégalais ont toujours mis en avant la fibre sentimentale des citoyens sénégalais. Recueillir le 'Ndigueul', l'ordre donné par les puissants chefs des confréries religieuses à leurs ouailles pour orienter leurs votes, faire la cour aux artistes et autres porteurs de voix, ou draguer la proximité ethnique constituent autant de pistes de réflexion pour qui tente de comprendre la culture des hommes politiques sénégalais...La rationalité n'est pas toujours leur compagne.
On ne s'étonne pas que l'historiographie politique sénégalaise soit donc si riche de ces moments qui valorisent des populistes comme Ngalandou Diouf, Lamine Guèye, Valdiodio Ndiaye ou encore, plus récemment, Abdoulaye Wade. Du coup, un Abdou Diouf, successeur de Senghor, entre 1980 et 2000, avant sa mémorable défaite devant l'ancien Président de la Rue Publique, un certain Wade, n'apparaît plus que comme un accident de parcours tant sa gestion administrative, bon élève du Fmi et de la Banque mondiale, studieux dans l'application des programmes d'ajustement structurels, détonne par rapport à ce qui fait la substance de la politique populiste au Sénégal.
Seulement, les temps ont changé. L'heure est grave. Le populisme d'hier, acceptable à la veille des années 'cha-cha' d'indépendance et à l'aube de celle-ci, ne peut plus être de mise. On comprend donc pourquoi tous les observateurs attentifs de la marche du pays sont désormais inquiets. Ils savent que la plupart, sinon tous les acteurs politiques du moment ne semblent être à la hauteur des défis immédiats et à venir. Comme la Grèce ou l'Italie plongées dans une crise financière résultant d'un piètre leadership, le Sénégal ressemble désormais à un bateau ivre au milieu d'une mer houleuse avec un capitaine âgé et ayant perdu le sens des réalités, une panoplie de prétendants à sa succession, issus des flancs de son parti, le Parti démocratique sénégalais, mais qui ne sont que de grands voleurs de deniers publics devant l'Eternel et manifestement impréparés à assumer un leadership étatique, sans compter une opposition rarement inspirée, écrasée par les ambitions d'individus dont le profil anti-démocratique se lit aisément sur leurs visages ou sur leur capacité à se cramponner à la tête des formations politiques dont ils ont, depuis des lustres, le contrôle.
Dire que le Sénégal a besoin d'engager une vraie conversation sur son destin relève, dès lors, d'un doux euphémisme. Pour éviter qu'elle ne verse dans le verbiage si représentatif du peuple sénégalais, il importe de l'engager rationnellement, c'est-à-dire sur des bases conceptuelles solides, au moyen d'une exploration des actes et comportements politiciens ayant conduit le Sénégal à ce qui n'est rien d'autre qu'une impasse.
Il est heureux de noter dans ce contexte que malgré le naufrage politicien, le Sénégal présente un état de santé plus attractif si l'on ne se réfère qu'aux tentatives de production intellectuelle de ces dernières années. Beaucoup de livres, de qualité inégale, ont été mis sur le marché. En les feuilletant, on peut progressivement en arriver à avoir une meilleure idée des causes du mal sénégalais.
Dans son ouvrage, arrivé à pic, Dame Diop permet de capter plusieurs des faits saillants du Sénégal récent, c'est-à-dire celui des années Wade, de l'alternance politique. Il jette une lumière crue sur des acteurs nouveaux et anciens qui ont animé la scène politique. Et mieux que tout, il nous montre, en ombres et lumière, le visage de l'énigmatique Monsieur Wade, l'homme du Sopi (changement en Wolof) dont l'arrivée au pouvoir en l'an 2000 avait fait naître tant d'espoirs avant que, patatras, son vrai visage le révèle tel qu'il est -un prétendu démocrate dans l'opposition mais vrai autocrate une fois au pouvoir.
Quand, sans me connaître personnellement, l'auteur m'a demandé de rédiger la préface de ce livre, je n'ai pas hésité une seule seconde pour une seule et fondamentale raison: la signer, c'est non seulement encourager la perpétuation, en mieux de l'identité sénégalaise, mais faire mieux connaître les réalités du pays sous le regard d'un jeune, qui ne m'appelle que par le terme de Doyen, mais surtout c'est, je l'espère, amener ses lecteurs à se tenir prêt à voler au secours du pays au moment où son destin se trouve engagé par des populistes sans vergogne, inspirés plus que jamais par l'homme qui tient la barre d'un bateau national presque en perdition.
Pays où l'on croit plus qu'ailleurs à la possibilité des miracles, le Sénégal saura, cependant, passer le cap de ces moments difficiles, pour retrouver sa place d'honneur dans un continent africain toujours riche de ressources naturelles et de potentialités humaines mais reste décevant. Comme le pays de la Teranga (hospitalité en Wolof).
Palo Alto, Californie, Novembre 2011,
Adama GAYE
Journaliste et chroniqueur politique sénégalais.
Ici il ne s'agit pas de duels physiques d'homme à homme sous les regards direct et digital des foules sénégalaises agglutinées dans les lieux des combats ou devant leurs écrans de télévisions. Ce dont il est question relève pourtant aussi d'une vieille tradition nationale: l'art du combat politique.
Depuis la nuit des temps, le pays n'a jamais été qu'une vaste arène politique et les champions de celle-ci n'ont rien à envier aux nouveaux gladiateurs physiques se battant par leurs muscles profondément passés sous les mains des marabouts dont les eaux bénites et autres gris-gris aident à mieux camper le décor de leurs joutes, au rythme des tambours et chansons à leur gloire...
Ces temps-ci, hélas, les neurones des lutteurs politiques se bousculant sur la scène nationale pour conquérir les voix des Sénégalais, de manière démocratique, ou, plus souvent, par des magouilles anti-démocratiques largement partagées, semblent n'être que des ...muscles. Résultat: le débat national est devenu faible voire inexistant. Il semble avoir été transformé en querelles de bornes-fontaines. Volant souvent au ras des pâquerettes, il ne soulève jamais ou presque les enjeux essentiels susceptibles de déterminer l'avenir du pays dans un monde en mutation fulgurante ou seuls les Etats bien dirigés, placés sur les rampes de la technologie, du savoir, de la vraie démocratie, de la productivité et de l'innovation, font la différence.
Or depuis qu'il fait de la politique, le Sénégal, en dehors du rêveur et poète, Léopold Sedar Senghor, qui fut, de 1960 à 1980, son premier Chef de l'Etat, n'a connu que des populistes au sein de sa classe politique...Depuis les temps anciens où, sur fond d'identité ethnique, d'accointance religieuse ou encore d'appartenance aux chefferies traditionnelles, les plus célèbres des lutteurs politiques sénégalais ont toujours mis en avant la fibre sentimentale des citoyens sénégalais. Recueillir le 'Ndigueul', l'ordre donné par les puissants chefs des confréries religieuses à leurs ouailles pour orienter leurs votes, faire la cour aux artistes et autres porteurs de voix, ou draguer la proximité ethnique constituent autant de pistes de réflexion pour qui tente de comprendre la culture des hommes politiques sénégalais...La rationalité n'est pas toujours leur compagne.
On ne s'étonne pas que l'historiographie politique sénégalaise soit donc si riche de ces moments qui valorisent des populistes comme Ngalandou Diouf, Lamine Guèye, Valdiodio Ndiaye ou encore, plus récemment, Abdoulaye Wade. Du coup, un Abdou Diouf, successeur de Senghor, entre 1980 et 2000, avant sa mémorable défaite devant l'ancien Président de la Rue Publique, un certain Wade, n'apparaît plus que comme un accident de parcours tant sa gestion administrative, bon élève du Fmi et de la Banque mondiale, studieux dans l'application des programmes d'ajustement structurels, détonne par rapport à ce qui fait la substance de la politique populiste au Sénégal.
Seulement, les temps ont changé. L'heure est grave. Le populisme d'hier, acceptable à la veille des années 'cha-cha' d'indépendance et à l'aube de celle-ci, ne peut plus être de mise. On comprend donc pourquoi tous les observateurs attentifs de la marche du pays sont désormais inquiets. Ils savent que la plupart, sinon tous les acteurs politiques du moment ne semblent être à la hauteur des défis immédiats et à venir. Comme la Grèce ou l'Italie plongées dans une crise financière résultant d'un piètre leadership, le Sénégal ressemble désormais à un bateau ivre au milieu d'une mer houleuse avec un capitaine âgé et ayant perdu le sens des réalités, une panoplie de prétendants à sa succession, issus des flancs de son parti, le Parti démocratique sénégalais, mais qui ne sont que de grands voleurs de deniers publics devant l'Eternel et manifestement impréparés à assumer un leadership étatique, sans compter une opposition rarement inspirée, écrasée par les ambitions d'individus dont le profil anti-démocratique se lit aisément sur leurs visages ou sur leur capacité à se cramponner à la tête des formations politiques dont ils ont, depuis des lustres, le contrôle.
Dire que le Sénégal a besoin d'engager une vraie conversation sur son destin relève, dès lors, d'un doux euphémisme. Pour éviter qu'elle ne verse dans le verbiage si représentatif du peuple sénégalais, il importe de l'engager rationnellement, c'est-à-dire sur des bases conceptuelles solides, au moyen d'une exploration des actes et comportements politiciens ayant conduit le Sénégal à ce qui n'est rien d'autre qu'une impasse.
Il est heureux de noter dans ce contexte que malgré le naufrage politicien, le Sénégal présente un état de santé plus attractif si l'on ne se réfère qu'aux tentatives de production intellectuelle de ces dernières années. Beaucoup de livres, de qualité inégale, ont été mis sur le marché. En les feuilletant, on peut progressivement en arriver à avoir une meilleure idée des causes du mal sénégalais.
Dans son ouvrage, arrivé à pic, Dame Diop permet de capter plusieurs des faits saillants du Sénégal récent, c'est-à-dire celui des années Wade, de l'alternance politique. Il jette une lumière crue sur des acteurs nouveaux et anciens qui ont animé la scène politique. Et mieux que tout, il nous montre, en ombres et lumière, le visage de l'énigmatique Monsieur Wade, l'homme du Sopi (changement en Wolof) dont l'arrivée au pouvoir en l'an 2000 avait fait naître tant d'espoirs avant que, patatras, son vrai visage le révèle tel qu'il est -un prétendu démocrate dans l'opposition mais vrai autocrate une fois au pouvoir.
Quand, sans me connaître personnellement, l'auteur m'a demandé de rédiger la préface de ce livre, je n'ai pas hésité une seule seconde pour une seule et fondamentale raison: la signer, c'est non seulement encourager la perpétuation, en mieux de l'identité sénégalaise, mais faire mieux connaître les réalités du pays sous le regard d'un jeune, qui ne m'appelle que par le terme de Doyen, mais surtout c'est, je l'espère, amener ses lecteurs à se tenir prêt à voler au secours du pays au moment où son destin se trouve engagé par des populistes sans vergogne, inspirés plus que jamais par l'homme qui tient la barre d'un bateau national presque en perdition.
Pays où l'on croit plus qu'ailleurs à la possibilité des miracles, le Sénégal saura, cependant, passer le cap de ces moments difficiles, pour retrouver sa place d'honneur dans un continent africain toujours riche de ressources naturelles et de potentialités humaines mais reste décevant. Comme le pays de la Teranga (hospitalité en Wolof).
Palo Alto, Californie, Novembre 2011,
Adama GAYE
Journaliste et chroniqueur politique sénégalais.