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Bâtir une Afrique mondiale


Rédigé par leral.net le Lundi 8 Décembre 2025 à 00:00 | | 0 commentaire(s)|

S’il était encore parmi nous, Frantz Fanon, penseur révolutionnaire panafricain et enfant de la Martinique, aurait célébré en juillet dernier son centième anniversaire. D’où le symbolisme poignant que beaucoup d’entre nous ont ressenti lorsque nous nous sommes rassemblés en septembre à Alger – sur les terres qui ont vu Fanon rejoindre le combat pour la libération – afin de célébrer la Journée mondiale de la diaspora africaine, lors de la Foire commerciale intra-africaine 2025 (IATF 2025).
Bâtir une Afrique mondiale
Alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme, Fanon a quitté les Caraïbes pour s’engager aux côtés des Africains dans la lutte contre la domination coloniale. Son principal message consistait à souligner la nécessité pour les Africains de rester unis, où qu’ils vivent, quels que soient leurs convictions personnelles, leur couleur de peau, leur sexe et leurs idées politiques.

Ce message conserve aujourd’hui l’importance qu’il revêtait dans les années 1950. Toutes les personnes d’ascendance africaine demeurent en effet confrontées à la marginalisation, à la suspicion et aux inégalités systémiques, dans tous les pays du monde. Malgré notre nombre et nos immenses contributions à la civilisation, nous restons divisés, et trop souvent définis par des discours qui ne sont pas les nôtres. Le destin de Fanon nous rappelle que l’unité est possible lorsque la volonté existe.

Le défi auquel nous sommes aujourd’hui confrontés n’est pas seulement politique ou culturel, mais également économique. Pour le surmonter, nous devons transformer la communauté africaine mondiale, à la fois sur le continent et dans sa diaspora. Nous devons puiser dans notre héritage, dans notre identité et dans notre destin communs pour devenir une puissance économique mondiale unifiée et autonome.

Telle est l’essence de « l’Afrique mondiale », une version moderne du panafricanisme, ancrée non seulement dans l’identité commune, mais également dans les marchés, les capitaux et la propriété. Les Africains du monde entier doivent pouvoir contrôler les chaînes de valeur et les institutions qui façonnent notre destin, et le meilleur moyen d’y parvenir consiste à tisser de solides liens interrégionaux.

Notre histoire est celle d’un potentiel inexploité. L’Afrique mondiale compte environ deux milliards d’êtres humains, et représente un PIB combiné (en termes de parité de pouvoir d’achat) d’environ 12 000 milliards $, ce qui fait d’elle l’un des plus grands blocs économiques inexploités de la planète. Si nous pouvions devenir une économie intégrée, nous serions en mesure de libérer des opportunités inégalées de commerce intérieur, d’investissement et de prospérité partagée.

Ce potentiel demeure malheureusement en sommeil depuis trop longtemps. Notre fragmentation, alimentée par des siècles de stratégies coloniales de division et de domination, nous empêche de tirer parti de notre force collective. Si nous parvenions à rassembler aujourd’hui cette force, nous pourrions atteindre la souveraineté économique, et inaugurer ainsi une nouvelle ère de panafricanisme.

Prenons l’exemple du sport. Les personnes d’ascendance africaine dominent le sprint, le football, la course d’endurance et de nombreuses autres disciplines athlétiques. Or, les récompenses économiques de cette excellence reviennent bien souvent à d’autres, qui récoltent les fruits de la sueur que versent nos communautés. Ce schéma s’observe dans tous les secteurs, des matières premières jusqu’à l’industrie manufacturière, en passant par la musique et le cinéma. Le problème ne réside pas dans un manque de talent ou de créativité, mais dans l’absence de contrôle sur les marchés et la distribution.

Pour que l’Afrique mondiale devienne une réalité, nous devons l’institutionnaliser. C’est la raison pour laquelle a récemment été proposée la création d’une Commission pour l’Afrique mondiale, dont la mission consisterait à mettre en place la gouvernance, les réseaux et les instruments financiers conférant une cohérence et une longévité à la vision économique que nous partageons, tout en amplifiant notre voix et notre influence communes à l’échelle mondiale. Cette Commission contribuerait par ailleurs à formaliser les efforts de promotion d’un agenda commun en matière de commerce, de culture, d’éducation et de création.

En plus de nous appuyer sur nos liens économiques, nous devons exploiter le soft power des Africains. Le championnat Global Africa Athletics qui a été proposé, ainsi qu’une Unity Cup élargie, célébrant les liens afro-caribéens, ne sont pas de simples événements sportifs. Ils constituent des leviers stratégiques d’intégration économique, des véhicules de promotion de nouvelles industries, de l’image de marque et des opportunités commerciales qui créeront de la valeur pour nos athlètes et nos communautés. Par-dessus tout, chacun de ces leviers renforcera nos liens, et créera davantage d’opportunités pour la jeunesse d’Afrique.

Le message formulé par l’IATF 2025 à Alger était clair : l’ère de la fragmentation doit prendre fin. L’avenir de l’Afrique mondiale dépend de notre détermination à produire au sein de nos communautés, à commercer les uns avec les autres, ainsi qu’à être fiers de consommer ce que nous produisons. Nous sommes les seuls à pouvoir façonner un avenir stable et sûr, fondé sur l’unité, la souveraineté et la reconnaissance commune de notre identité cosmopolite mondiale. Pour réussir, nous devons mobiliser les investissements nécessaires, tirer parti des envois de fonds des expatriés, promouvoir les échanges de compétences et de connaissances, soutenir le développement des industries culturelles, et accélérer l’intégration transfrontalière.

L’IATF incarne cette vision, celle d’un espace au sein duquel l’Afrique et sa diaspora peuvent créer des liens, réaliser des transactions, et créer des richesses partagées. Cette foire biennale – principal événement africain de commerce et d’investissement – continue de jouer un rôle essentiel dans l’amélioration de l’accès à l’information concernant les opportunités de commerce et d’investissement dans l’ensemble de l’Afrique mondiale. Nous devons tirer parti des avantages que confèrent des chaînes de valeur africaines interconnectées et détenues à part entière. Les fondations ont été posées ; la prochaine étape consiste à poursuivre la construction. Il nous appartient d’exploiter notre potentiel économique, afin que l’Afrique mondiale ne soit plus seulement un rêve créé par nos ancêtres, mais une réalité pour les générations à venir.
Temwa Gondwe est directeur Créativité et Diaspora à la Banque africaine d’import-export (Afreximbank).
© Project Syndicate 1995–2025



Source : https://www.lejecos.com/Batir-une-Afrique-mondiale...

La rédaction