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CONGO : CRÉANCES SOUVERAINES VS DETTE SOCIALE

Rédigé par leral.net le Jeudi 27 Novembre 2025 à 00:53 | | 0 commentaire(s)|

EXCLUSIF SENEPLUS - On emprunte désormais non pas pour investir, mais pour survivre. Cette logique est insoutenable à moyen terme, et prépare une nouvelle crise de solvabilité à l’horizon 2026–2027

Comme la plupart des pays africains, le Congo s’est engagé depuis une dizaine d’années en faveur du recours aux financements bancaires et aux marchés régionaux et internationaux des capitaux. Le poids accumulé des créances des compagnies pétrolières, des fonds vautours, des entreprises chinoises et des banques occidentales ont incité à cette dérive qui n’a pas allégé leur charge inertielle. La baisse des prêts concessionnels des Occidentaux ont encouragé la substitution du marché domestique. Il faut constater, comme à Dakar, la faillite des contrôles multilatéraux, puisque la supervision du FMI et des institutions régionales (BEAC, COSUMAF) sont altérées, négligentes et finalement favorables à l’orientation de marché du régime du président Sassou. Et d’une certaine façon l’amplification de l’endettement domestique, c’est-à-dire vis-à-vis des ménages et des banques du Congo et de la CEMAC, dépasse les capacités de mesure et de projection du FMI. Elle laisse les plus vieux et les plus précaires régler par les arriérés la dette sociale.

Dette domestique invasive

Le FMI pourra dire qu’il n’avait pas intégré le poids de la dette domestique de l’État dans son analyse de viabilité, c’est-à-dire vis-à-vis des résidents au Congo. Cela entache la validité de l’analyse de viabilité de la dette du Congo publiée tout récemment, en juin 2025. Cette dette publique est critique[1] selon le FMI, mais comme les déficits publics semblent s’améliorer, il conclut pourtant qu’elle est viable[2].La Caisse Congolaise d’Amortissement (CCA), en charge de la gestion, depuis les années 1970, de l’endettement de la République du Congo et qui devrait en principe assurer le service de la dette publique extérieure et intérieure, a réalisé un travail d’analyse et de compilation plus exhaustif et plus alarmant. « A la fin du deuxième trimestre 2025, le stock de la dette publique du Congo a atteint 8 287,80 milliards de FCFA. L'analyse de sa structure révèle une prédominance marquée de la dette intérieure, qui représente 62,62% du stock total, soit 5 189,59 milliards de FCFA. La CCA constate, et le ministère des finances aussi, que l’État fait face à une crise de trésorerie qui empêche le remboursement de la dette intérieure

Élections et viabilité ?

Avec sa réponse à la dette extérieure, le président Sassou a donné le top départ de sa candidature aux prochaines élections présidentielles. Il y a quelques jours, l'émission par le Congo de 670 millions de dollars d'obligations[3] sur les marchés internationaux permet à l'État d'atténuer les pressions sur son refinancement à court terme sur le marché régional. Le gouvernement du Congo peut ainsi refinancer les obligations d’une précédente émission qu’il doit amortir en 2026. Le président pour sa part conservera la faveur du FMI et des marchés en même temps qu’il entend gagner le prochain scrutin.

Il est plus difficile de comprendre la persistance du FMI à juger viable la situation de la dette congolaise aujourd’hui et demain. Le FMI pensait que le Congo aurait retrouvé liquidité et solvabilité en 2026. Il fallait prioriser le paiement des créanciers non-résidents et reporter le paiement des obligations du Trésor (dette intérieure) de 2025 vers 2026. Dans ce scénario on considère que la dette des résidents du Congo pourrait être la variable d’ajustement car abritée de l’examen et des appréciations des puissances financières de la globalisation.

La mutation des créanciers

Mais ce n’est plus le cas, ni au Congo ni en Afrique. Les emprunts en bons et obligations du Trésor sur les marchés domestiques africains sont passé de 150 milliards USD en 2010 à 500 milliards USD en 2024[4]. C’est une bifurcation drastique du financement souverain car, comme dans le cas sénégalais, il est moins cher à rembourser que celui des marchés internationaux et surtout il permet de lever les difficultés de trésorerie plus facilement. Enfin les agences de notation n’ont ni compris le fonctionnement de ces marchés régionaux, ni envie de les noter car ce n’est pas encore rémunéré.

Le Club de Paris et les autres créanciers bilatéraux publics qui menaient la danse de la restructuration de la dette congolaise sont devenus des acteurs marginaux, laminés par la Chine, les traders pétroliers et les marchés d’obligations internationales (Eurobonds). La dynamique endogène de la dette est de plus en plus difficile à comprendre mais ce serait cependant la mission des institutions de Bretton-Woods de la saisir afin de mette en exergue son impossible remboursement.

Échange de titres plus que paiement

En effet, la République du Congo prévoit de consacrer près de 1 500 milliards FCFA au service de sa dette entre mars et décembre 2025. Cette opération de grande envergure vise essentiellement les créanciers domestiques, dans un contexte de pression accrue sur les finances publiques. Selon la situation mensuelle de la dette publique de février 2025, publiée par la Caisse congolaise d’amortissement (CCA), le montant total à rembourser s’élève à 1 492,9 milliards FCFA. Sur cette somme, 1 202,2 milliards FCFA (soit 80,54 %) seront affectés au règlement de la dette intérieure, contre 290,4 milliards FCFA (19,47 %) pour la dette extérieure. Les créanciers domestiques se retrouvent en première ligne et cette stratégie semble claire et vertueuse. On peut soulager les finances publiques en priorisant la dette intérieure qui englobe notamment les bons du Trésor, les emprunts obligataires, la dette sociale ou encore les engagements envers la BEAC.

La CCA précisait que le mois d’octobre 2025 marquerait un pic de tension, avec un service de la dette intérieure estimé à 309,86 milliards FCFA, dont 225,54 milliards FCFA pour le seul remboursement des bons du Trésor.

Le président Sassou et son argentier Christian Yoka ont su contourner ces pics de service de la dette domestique. 80% des paiements domestiques se feront à travers les BTA, soit 225,5 milliards de FCFA (398 millions USD) tandis que le reste, soit 53,6 milliards de FCFA (94,5 millions USD), sera remboursé via les OTA. Mais cela ne résulte pas d’une sortie de cash par le Trésor ou de virements au profit des banques qui détiennent les Bons du Trésor. Sur un total de dettes, d’un montant de 2314 milliards de francs CFA, détenues par le Congo-Brazzaville sur le marché des titres publics de la BEAC, les banques de la zone Cemac auxquelles Brazzaville doit 1957 milliards de francs CFA, soit 85% l’encours total, ont accepté de négocier. Résultat, près de 1500 milliards de francs CFA font déjà, dans un premier temps, l’objet d’un allongement des échéances de remboursement. Le PNOT qui prévoit un échange anticipé de titres est composé de Bonds du Trésor Assimilables (BTA) et d’Obligations du Trésor Assimilables(OTA).

Les véritables payeurs

Cette cavalerie ne pourra pas durer indéfiniment et les autorités congolaises tentent de redéfinir leur approche de la dette. La CCA prévoit d’introduire de nouveaux mécanismes de financement, plus en phase avec les capacités budgétaires du pays. Mais la crise de trésorerie qu’elle signale en 2025, une fois de plus, touche directement les plus âgés et les plus démunis des fonctionnaires. Accumulant cinquante mois de pensions impayées, les retraités de la Caisse de retraite de fonctionnaires (CRF) ont sollicité le 7 novembre à Brazzaville, l’implication du président du Sénat, Pierre Ngolo, pour qu’au moins trois mois leur soient versés. Quinze syndicalistes ont présenté au président de la chambre haute du Parlement leurs revendications. Il s’agit, entre autres, du paiement d’au moins trois mois sur cinquante, la valorisation des pensions au point d’indice 300, la révision des situations administratives et des rencontres avec le Premier ministre, le ministre des Finances ainsi que celui de la Fonction publique, du Travail et de la Sécurité sociale. La CRF continue à calculer la retraite sur la base du point d’indice 150. Le paiement courant des retraites est amputé de sa moitié en raison du point d’indice et les arriérés intérieurs vis-à-vis des fonctionnaires s’accumulent depuis la première crise des finances publiques congolaises, en 2016. Chaque année le budget congolais fabrique lui-même des arriérés en inscrivant 60 milliards de FCFA alors qu’il en faudrait 130.

Outre la situation des pensionnés de la CRF, la sphère publique entière est affectée. Il y a des arriérés vis-à-vis des établissements à budgets de transfert tels que les mairies, le Centre hospitalier universitaire de Brazzaville (CHU), le Laboratoire national de santé public où des agents partent en retraite sans pensions à cause du non-reversement des cotisations par le Trésor public. C’est le cas d’un retraité qui attend toujours sa première pension depuis cinq ans. « J’ai fait valoir des droits à la retraite depuis 2020, mais j’attends toujours ma première pension. J’éprouve de sérieuses difficultés au quotidien avec ma petite famille. Cela fait très mal, je suis en train de souffrir », a-t-il témoigné.

On emprunte désormais non pas pour investir, mais pour survivre. Cette logique est insoutenable à moyen terme, et prépare une nouvelle crise de solvabilité à l’horizon 2026–2027, avec un rendez-vous électoral biaisé qui évitera au FMI de découvrir des arriérés cachés et odieux.

[1] The overall and external debt of the Republic of Congo are classified as “in distress”, reflecting the ongoing restructuring and audit of domestic arrears, as well as the recurrent accumulation of temporary external arrears but debt is assessed as “sustainable”. Analyse de soutenabilité de la dette FMI-Banque mondiale 2025

[2] Ibid.

[3] https://www.ecofinagency.com/news-finances/0511-50143-republic-of-congo-returns-to-eurobond-market-after-20-years-raising-670-million

[4] https://repec.graduateinstitute.ch/pdfs/Working_papers/HEIDWP15-2025.pdf

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Farid


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