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CRISE DU BTP: APRÈS L’AGONIE, l’ENTERREMENT DE PREMIERE CLASSE


Rédigé par leral.net le Jeudi 11 Décembre 2025 à 18:15 | | 0 commentaire(s)|

CRISE DU BTP: APRÈS L’AGONIE, l’ENTERREMENT DE PREMIERE CLASSE
Depuis près de deux ans, le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) au Sénégal traverse une crise d'une gravité sans précédent, menaçant l'un des piliers essentiels de l'économie nationale. Ce marasme, initié par des décisions politiques et aggravé par une cascade de difficultés financières, met à genoux des milliers d'entreprises et d'emplois, dessinant un tableau sombre de l'activité.

Traditionnellement moteur de croissance et d'aménagement du territoire, le BTP sénégalais se trouve aujourd'hui dans une impasse, tiraillé entre des dettes de l'État non apurées, une visibilité réduite et la pression croissante des institutions financières. La situation actuelle exige une intervention urgente et un plan de relance audacieux, pour éviter un effondrement aux répercussions sociales et économiques incalculables.

L'effet domino : Suspension des chantiers et retards de paiement

Le point de bascule de cette crise coïncide avec l'accession au pouvoir d'un nouveau gouvernement et sa volonté affichée d'auditer et de réorienter les projets d'infrastructures. La suspension ou l'arrêt pur et simple de nombreux chantiers publics à travers le pays, a agi comme un choc exogène brutal pour l'ensemble du secteur. Ces mesures, bien que motivées par un souci de bonne gouvernance et de transparence dans l'attribution des marchés, ont instantanément gelé le carnet de commandes des entreprises, laissant derrière elles, des équipements inutilisés et des équipes au repos forcé.

À cet arrêt des travaux, s'est ajouté un problème structurel : les retards chroniques et massifs dans le paiement de la dette intérieure de l'État envers les entreprises du BTP. Ces créances impayées, dont le montant total est estimé par les Intersyndicales, à plus de 250 milliards  FCfa, constituent une ponction mortelle sur la trésorerie des sociétés.

Le BTP est un secteur à cycle long, qui nécessite d'importantes avances de fonds pour l'achat de matériaux (ciment, acier, bitume) et le règlement des salaires. L'absence de paiements réguliers a asphyxié les entreprises, les privant du fonds de roulement nécessaire pour honorer leurs engagements.

« Notre carnet de commandes est passé de 140 milliards à 20 milliards FCfa », témoigne un acteur majeur du secteur, illustrant l'ampleur du désastre. La consommation de ciment, indicateur clé de l'activité, a chuté de près de 25% en un an, signe que le secteur est profondément à genoux.

L'étau du chômage et l'accablement bancaire

Les conséquences directes de cet effondrement financier, se mesurent en termes d'emplois et de confiance. Des milliers de travailleurs, maçons, techniciens, ingénieurs et administratifs, se sont retrouvés en chômage technique ou ont été purement et simplement licenciés. Une Intersyndicale de grandes firmes a récemment alerté sur plus de 10 000 emplois directement menacés, soulignant la crise sociale que cette situation engendre pour des milliers de familles sénégalaises.

Pour nombre de techniciens spécialisés, la seule issue a été de se reconvertir dans des métiers informels, à l'image des conducteurs de Jakarta (motos-taxis), traduisant un recul dramatique du capital humain.

Parallèlement, les entreprises survivantes font face à l'hostilité grandissante du secteur bancaire. Ayant contracté des emprunts pour financer les chantiers publics, elles se trouvent incapables d'honorer leurs échéances. Les banques, soucieuses de leurs ratios de risques et de la prudence réglementaire, sont contraintes d'accabler ces entreprises, renchérissant le coût du crédit, gelant les lignes de financement, voire exigeant des remboursements immédiats. Cet effet de tenaille entre le défaut de paiement de l'État et la pression des banques, crée un climat d'incertitude totale.

Ce manque de visibilité et l'épuisement des ressources, ont engendré un découragement tel que de nombreuses entreprises, même celles ayant les reins solides, ne répondent plus aux appels d'offres publics. Pourquoi s'engager sur de nouveaux marchés si la garantie de paiement est inexistante et si l'avenir est incertain ?

Les mesures draconiennes : Une double peine

Dans ce contexte déjà tendu, le ministre des Infrastructures a récemment annoncé des mesures draconiennes visant les entreprises en défaut contractuel avec l'État. Ces mesures, qui pourraient inclure la résiliation de contrats, l'application de pénalités de retard et, dans les cas extrêmes, la mise à l'index des entreprises défaillantes, sont perçues par les acteurs du BTP comme une double peine.

Alors que l'État lui-même est en défaut de paiement et, est la cause initiale de l'arrêt de l'activité, demander aux entreprises de se conformer à des délais contractuels devenus intenables, est jugé paradoxal, voire injuste.

Il est crucial que ces mesures soient mises en œuvre avec discernement, en distinguant clairement les entreprises mal gérées des victimes de l'effet ciseau provoqué par l'interruption des chantiers et les retards de trésorerie de l'administration.

Le BTP, moteur de la souveraineté économique

L'heure n'est plus à la recherche des coupables, mais à la relance urgente. Le secteur du BTP ne doit pas être vu comme un simple poste de dépense à auditer, mais comme le levier essentiel pour faire redémarrer l'économie sénégalaise.

1. Apurement Immédiat de la dette : La première action, non négociable, est le paiement rapide et intégral de la dette intérieure due aux entreprises. Apurer ces créances, injecterait immédiatement des milliards FCfa dans le circuit économique, permettant aux entreprises de payer leurs fournisseurs, leurs employés et de renégocier leur situation avec les banques. Cela rétablirait la confiance de base entre l'État et le secteur privé national.

2. Relance ciblée des projets : Le gouvernement doit relancer rapidement un programme d'investissements publics ciblés, garantissant aux entreprises une visibilité sur les trois à cinq prochaines années. Le BTP ne demande pas l'aumône, il réclame des commandes et des contrats.

3. Partenariat Public-Privé rénové : Une nouvelle loi sur la commande publique doit être mise en place, pour garantir une préférence nationale effective et un contenu local renforcé, protégeant ainsi les entreprises sénégalaises de la concurrence déloyale et assurant une meilleure souveraineté économique.

3. Soutien bancaire : L'État doit faciliter la mise en place de lignes de financement spéciales et de garanties bancaires pour les entreprises du BTP, afin de réduire le poids des intérêts et d'alléger la pression qui les accable.

Le BTP est le secteur qui transforme la vision d'une nation en réalité physique : routes, écoles, hôpitaux, logements. Laisser ce secteur à l'abandon, c'est mettre en péril l'ambition de développement du Sénégal. En soutenant fermement ses entreprises nationales, l'État ne fait pas qu'une faveur, il investit dans la croissance, l'emploi et la dignité de ses citoyens. Il est temps de rouvrir les chantiers et de reconstruire la confiance. Le futur du Sénégal passe par la force de ses fondations.

PS. Ce plaidoyer est fait en ma qualité d’acteur des BTP ayant subi de plein fouet la crise. Licenciement de la quasi totalité du personnel. Difficulté avec mes banques, carnet de commandes nul.





Cheikh Tidiane Sy
CEO BATICONCEPT SA

Mame Fatou Kebe