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Samedi 6 Septembre 2008

Chapitre 3:Un pays au bord du désastre.


La violence culmine dans le pays, en particulier dans la caîtale, Dakar. Elle atteint, désormais, des niveaux inquiétants et dangereux, même si jusqu’à présent les vies humaines sont épargnées.



. recours à la violence apparaît de plus en plus comme une option politique décisive pour régler un contentieux qui tarde à se résorber. A partir de novembre et de décembre 88, les premières voitures piégées explosent dans les rues de Dakar. Des moyens de destruction plus spectaculaires apparaissent dans le cycle infernal des explosions.

Je me demande encore, s’interroge Pape Ibrahima Diakhaté, comment nous avons pu éviter des massacres de populations civiles innocentes avec ces voitures piégées explosant au coin des rues. »
L’interrogation prend tout son sens quand on lit le procès verbal de police constatant la déflagration intervenue ce 8 décembre 1988 et qui a eu lieu à six heures quarante cinq minutes, face au commissariat de Dieuppeul devant la caserne des sapeurs pompiers. Une voiture de marque « Peugeot » appartenant au ministère du Développement industriel, immatriculée 12977 SO, a été littéralement pulvérisée dans cette matinée. Le constat fait par la police est édifiant sur la nature et la puissance de la charge explosive

« Une grenade défensive a été utilisée. On a dû la dégoupiller et scotcher un petit bout de papier entre l’embout et la grenade pour la faire exploser à distance. C’est une affaire de professionnels rompus aux maniements des grenades et ayant une haute technicité sur les explosifs. »

Les enquêteurs ont immédiatement visé les milieux proches du parti démocratique sénégalais, en se lançant à la recherche des coupables de cet acte criminel. Ainsi, un nommé Cheikh Touré, actuel conseiller spécial à la Primature, à l’époque fonctionnaire au ministère de l’Equipement et des Transports et Pape Samba Mboup, actuel ministre, chef de cabinet du président de la République, à l’époque enseignant dans un institut privé d’enseignement moyen général sont arrêtés.

Ils sont arrêtés et maintenus en prison, en même temps que quatre anciens policiers victimes de la mesure de radiation générale qui a frappé en 1987 le Corps de la police nationale : à savoir : les ex-inspecteurs de police Madieng Dieng et Ameth Diop, l’ex-brigadier Elhadji Sakho et de l’ex-gardien de la paix, Pape Djité. Tous les anciens policiers arrêtés en janvier sont libérés faute de preuves suffisantes établissant de façon formelle, leur implication dans les attentats à la voiture intervenus, les 8 et 29 décembre 1988. Cheikh Touré et Pape Samba Mboup sont libérés le 13 janvier 1989.




La police a identifié et arrêté les responsables des attentats à la voiture piégée de décembre. Il s’agit de : Ousmane Sène dit « Tenace », Ameth Guèye, Clédor Sène et Moustapha Ndao. Pourquoi Pape Ibrahima Diakhaté n’a pas, lui, été arrêté ? L’intéressé répond aujourd’hui en affirmant sans détours :

« C’est le vieux Ndao qui était un agent double qui nous a balancés. Quand Ousmane Sène m’a informé la vieille de leur arrestation, que [Pa Ndao] lui avait fait part de la visite, chez lui, à Mermoz de la police et lui avait posé des questions sur notre bande, j’ai vite compris. J’ai alors pris mes dispositions, pour organiser ma planque hors de Dakar. C’est ainsi que j’ai pu échapper à la police. Tous mes camarades ont été arrêtés. »

Ameth Guèye confirme :
« La police nous a trouvés chez Clédor Sène, juste après le déjeuner. Quand celle-ci est arrivée, elle n’est pas immédiatement entrée dans la maison. C’est un brigadier qui a envoyé une jeune qui habitait la maison venir s’enquérir de la présence de Clédor dans les lieux, le cas échéant, lui signifier qu’il désirait s’entretenir avec lui. Quand la jeune fille nous a trouvés en train de prendre le thé, j’ai flairé quelque chose de suspect, quand elle a demandé à Clédor Sène d’aller répondre à un homme qui souhaiterait lui parler. J’ai immédiatement réagi en ordonnant à « Clé » de refuser de sortir de la maison. Nous étions en train de discuetr ferme quand deux policiers en civil sont entrés, se sont présentés à nous en demandant à Clédor de les suivre. Ils nous ont finalement embarqués tous. Clédor Sène et Ousmane Sène « tenace » et moi-même. En ce qui me concerne, j’ai insisté en m’opposant à l’arrestation de mes amis, c’est pour cette raison qu’ils m’ont embarqué. »

Les poseurs de bombe sont arrêtés. Le combat de la rue cessera-t-il, faute de combattants ? Rien n’est moins sûr. Mais pour l’instant la police savoure sa victoire. Ell a, en effet, bien joué son coup. Elle a en fait infiltré le groupe des fauteurs de troubles. Pourtant, Ameth Guèye avait toujours suspecté la Renault 12 de couleur blanche, sûrement une voiture de police banalisée qui les suivait partout et dont il remarquait souvent la présence à leurs côtés.

Il ajoute :

« le jour où j’ai remarqué cette présence et les signes bizarres que notre compagnon Pa Ndaw semblait, par moments, faire en direction de ses occupants, je m’en étais ouvert à Clédor Sène qui avait tout balayé d’un revers de main. C’est cette imprudence qui a conduit à notre perte en 1998. Comme la même imprudence a grillé mes copains en 1993. »

Ses compagnons de bataille arrêtés, Abdoulaye Wade semble las du combat. Il prend un peu de recule. A la fin du mois de janvier de l’année 1989, il se replie, comme à son habitude, dans la capitale française. Il laisse ses ouailles et certains de ses lieutenants s’occuper sur place et comme ils peuvent de la rue et des casses.

Boubacar Sall et Ousmane Ngom sont en première ligne. Jean-Paul Dias prend en charge le journal « Sopi » et licencie notre confrère Mamadou Oumar Ndiaye qui en était, jusqu’ici, l’une des figures de proue. Il était là, au plus fort de la contestation. Abdoulaye Wade lui est à Paris. Il ne veut surtout pas se faire oublier. Au contraire. Il essaie d’occupeer pas moins les média nationaux. Il utilise la presse< pour lancer ses salves sur Abdou Diouf et son régime.

Ainsi, le 23 février 1993, de Paris, Abdoulaye Wade accorde une interview à « Sud Hebdo » dans laquelle il aborde deux questions. Interrogé d’abord sur la démission du Pds de son ancien directeur de campagne, en l’occurrence, Idrissa Seck, il se veut catégorique:
« C’est faux. Il est toujours dans le parti. Je suis en contact permanent avec lui. ».

L’histoire se reproduit-elle, aujourd’hui, autrement entre Idrissa Seck et Abdoujlaye Wade ? Tout porte à le croire. Dans quelques mois ou années, Idrissa Seck sera-t-il, toujours, de ses compagnons ?

Après cette précision apportée aux rumeurs de démission de son ex directeur de campagne, Abdoulaye Wade en vient, esnuite, à dessiner dans la même interview, les contours d’une nouvelle approche du dialogue national qu’il préconise, après la faillite totale de la concertation nationale engagée, six mois auparavant sous la forme d’une table ronde :

« Non au dialogue direct avec Diouf.Il n’est pas sincère et ne respecte pas ses engagements. Il faut une tierce partie garante des accords que nous aurons à conclure. Oui aux médiateurs. Ne sont-ils pas d’ailleurs déjà à l’œuvre ? Je suis en mesure de faire partir Diouf. Je suis cependant prêt pour entrer dans un gouvernement de transition.»

La démarche de Me Wade semble caractérisée par un extrordinaire clair-obscur. Il fait un pas en avant en donnant l’impression de vouloir s’engager résolument dans le dialogue national auquel lui-même convie, pour amorcer aussitôt un recule décisif. Il condamne la violence, tout en justifiant dans son principe cette option, face à ceux qu’ils qualifient d’usurpateurs du pouvoir. Appréciant les attentats à la voiture piégée du mois de décembre de l’année écoulée, il déclare en février 1989:

« Le Pds en tant que parti n’a jamais pris l’initiative de telles opérations, somme toutes artisanales. Si on avait choisi ce genre de formule de lutte on l’aurait fait officiellement avec des moyens autrement plus sophistiqués. Le Pds est un parti populaire. Les événements de février ont amené vers lui divers courants. A l’intérieur du parti, les gens sont partagés sur les méthodes à adopter vis-à-vis du pouvoir en place. Si certains croient à l’action politique de type classique, d’autres pensent que face au pouvoir, il faut l’affrontement violent. Là, je parle au niveau des courants. Mais cela ne se traduit en quoi que ce soit au niveau de la Direction de notre parti. »

Le chef de l’opposition, d’alors, poursuit son raisonnement. Aussi, ajoute-t-il, pour mieux se faire comprendre:

« Quand j’étais en prison on m’a fait tout un tas de propositions. C’était normal que des gens apprécient la situation à leur manière et viennent me faire ce genre de propositions qui auraient eu plus de conséquences si j’avais donné mon accord. On ne peut pas empêcher un citoyen quand il voit des gens confisquer le pouvoir d’envisager de les en déloger par la force. C’est une position parfaitement concevable. Je n’exclus pas, à certains échelons du parti, qu’il y ait des gens écoeurés par la confiscation du pouvoir et qui veulent recourir à la force. Je ne l’écarte pas au niveau du principe, mais en fait je n’ai pas eu connaissance que des militants du Pds soient impliqués dans cette histoire. (…) Je condamne ces actes.»

Pape Ibrahima a une compréhension particulière des propos tenus, à l’épqoue, par Me Wade aux journalistes :

« Je peux comprendre qu’il y ait eu deux courants à l’intérieur du Pds face à la violence politique. L’un s’y opposant et l’autre la préconisant pour régler un conflit politique. Je peux dire avec exactitude, que Me Wade, lui, était du camp qui prônait la violence. Il en était même l’instigateur principal. Il nous donnait des instructions, planifiait nos agissements directement ou par personne interposée. Tantôt c’était Ablaye Faye, tantôt c’était Mody Sy qui nous dirigeait vers nos cibles. Il se défend mal. Sa responsabilité reste entière car il avait omis de dénoncer à la police ceux qui venaient lui proposer de commettre des actes délictueux quand il était en prison et quand de tels faits se sont, finalement, avérés sous forme d’attentats à la voiture piégée et autres violences de rues. Son silence n’était plus ni moins qu’une complicité ou un refus de dénoncer à l’autorité de police, alors qu’il en est informé, la préparation de délits ou de crimes. »

Que Abdoulaye Wade ait ou non accepté les propositions pariant sur la violence et qui lui ont été faites en prison, le Sénégal semblait inexorablement s’acheminer vers l’impasse et le chaos politique. Cette perspective se précise davantage dès le retour de Paris, ce 7 mars 1989, du maître du « Sopi ». Il débarque et annonce aux Sénégalais qu’il détient les preuves de sa victoire incontestable au dernier scrutin présidentiel :

« J’ai obtenu 58,2% des suffrages alors que le président sortant en a 40%. J’attends le meeting du samedi 11 mars pour tout détailler. »

Comme si l’histoire voulait lui faire, dix ans après cette fameuse déclaration, un heureux et malin clin d’œil, il est élu en mars 2000 par 58% des suffrages exprimés par les électeurs sénégalais. Le rêve, un tantinet prémonitoire, devient ainsi réalité, dix ans après.

L’atmosphère déjà électrique est à nouveau chauffée à blanc. Abdoul aye attise les braises du feu qui couve depuis ce 29 février 1988. Les deux poids lourds de la scène politique nationale : le Pds et le Ps se font, plus que jamais, face. Ils tiennent le pays en laisse. L’un avec ses nervis et les moyens de l’Etat défient parfois le bon sens, l’autre avec ses méthodes à la hussarde et sa bande de jeunes dressés pour servir d’agitateurs, de casseurs de cabines téléphoniques, de poseurs de bombes artisanales et plus tard de criminels, à la gâchette facile, terrorise à sa fçon le pays.

A l’unisson, les média appellent à la raison : « Halte à l’escalade », peut-on lire à la « Une » de tous les titres paraissant l’époque. Les éditorialistes tentent de mettre les deux parties face à leurs responsabilités historiques. Le pays se trouve sous la menace d’une déflagration qui risque d’emporter des protagonistes jouant, sans prudence, à se faire peur :

« Au regard de tous les périls qui nous menacent, il est temps de se convaincre qu’aucun parti politique, aucun homme fut-il providentiel ne détient à lui seul la solution de nos problèmes. Alors s’employer à arrêter le jeu de massacre devient impératif. Si seuls le Sénégal et son avenir hantent les esprits. »

Abdou Diouf est parti en voyage, persuadé que son pays est stable et est à l’abri de toutes les secousses. Il laisse pourtant derriière lui uns situation qui peut dégénérer à tout moment. Il a bouclé sa visite à l’étranger et s’apprête à rentrer au pays. Son retour est prévu ce mardi 7 mars 1989. Abdoulaye Wade met en place une stratégie de déstabilisation efficace du régime. Il appelle le peuple à descendre dans les rues de la capitale, pour « accueillir » Abdou Diouf. Il préconise que le peuple se rende en masse à l’aéroport, afin de l’obliger à quitter le pouvoir. La tension est à son comble dans cette journée du 13 mars. On craint le pire. Les forces de l’ordre quadrillent la ville et occupent tous ses points stratégiques. Personne n’ose imaginer l’issue de la confrontation qui s’annonce inévitable ey violente. Un ancien officier de la sécurité d’Etat témoigne :
« La vieille, le lundi matin 13 mars, nous avons tenu une réunion de coordination au ministère de l’Intérieur pour évaluer la situation. Nous avions estimé qu’un minimum de trois à quatre cents personnes répondraient à l’appel de Me Wade et se dirigeraient vers l’aéroport. Compte tenu du nombre et de l’état d’équipement de nos forces, nous savions que nous serions très vite débordés. A moins de faire usage de nos armes, nous ne voyions pas comment nous pourrions nous en sortir. Le cas échéant, nous pensions qu’au moins une vingtaine de personnes voire beaucoup plus pourrait perdre la vie dans les bagarres avec la police. Cette perspective était terrifiante. La situation était grave. Nos supérieurs en avaient immédiatement informé le ministre d’Etat, Secrétaire général de la présidence de la république. Il réussira de façon admirable à désamorcer la bombe qui pouvait emporter le régime et toute la classe politique du pays. »

Par un concours de circonstances heureux, à cause de la naïveté coupable de l’ancien chef de l’opposition et avec un extraordinaire sens de l’intrigue, Jean Collin, en vieil administrateur de colonie, rompu aux arcanes de l’intrigue, réussit, en effet, à « résoudre » la crise de façon remarquable. Avec la complicité de Ameth Khalifa Niasse, Jean Collin fait tomber Abdoulaye Wade dans un incroyable piège. Il était peut-être le seul à l’époque a en avoir les moyens et le secret de le fabriquer. Un texte publié par Abdoulaye Ndiaga Sylla, dans l’édition de « Sud hebdo » du jeudi 16 mars 1989, édifie amplement sur les faits qui ont conduit à désarmorcer la bombe :

« Tout avait commencé par un appel téléphonique à notre rédaction. Au bout du fil, une voix grave, [Me Wade, le Secrétaire général du Pds a une importante déclaration à faire à son domicile à 11 heures 30 minutes]. (…) A l’arrivée des journalistes Me Wade leur a remis une copie de la lettre envoyée au ministre de l’Intérieur pour annuler l’accueil qu’il réservait à Diouf et un communiqué dans lequel il informe les Sénégalais que Jean Collin lui avait envoyé un émissaire le lundi 13 mars en fin d’après-midi pour lui dire que Abdou Diouf et lui sont d’accord pour la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et la dissolution de l’Assemblée nationale. Par ailleurs, il lui propose une rencontre avec Diouf, dès son arrivée pour l’examen de mesures pratiques d’application. Dans le même communiqué, Me Wade souligne qu’après avoir consulté ses alliés, le Pit et la Ld, il a décidé d’annuler l’accueil qui était prévu pour le mardi après-midi . Et d’inviter les militants, les sympathisants et tous les Sénégalais à demeurer vigilants et à rester à l’écoute. »

Jean Collin sauve ainsi le Sénégal d’une confrontation dangereuse. Tout pouvait dégénérer, du fait d’une périlleuse surenchère engagée, sur fond de violences. Le Pds et son premier responsable avaient réussi à imposer au pays, après la proclamation des résultats des élections générales de février 1988, une marche forcée au rythme de leurs options du moment et de leurs calculs politiques. La violence maîtrisée semblait constituer une option fondamentale dans l’action de ce parti. La violence constatée dans le pays, en particulier à Dakar, n’était nullement la résultante d’actes isolés perpétrés par des éléments récalcitrants, refusant d’accepter l’option pacifiste majoritaire de la direction du parti libéral.


Cette option contestable ajoutée à l’incurie du régime socialiste en place qui la rend légitime, aux yeux de certains, pouvait conduire le pays dans une impasse susceptible d’imposer les militaires, comme la seule alternative crédible, face à l’irresponsabilité des politiques. Cela a failli arriver.

Avec le recul, on peut se laisser convaincre que le Sénégal s’en était, par chance, sorti là où des régimes africains corrompus et évanescents, comme l’était celui du Ps, dans les années 80, ont été balayés par l’intervention des Forces armées nationales. Il s’en est fallu de peu, comme le révèle « Sud Hebdo » dans sa livraison du jeudi 23 mars :

« Des officiers supérieurs de l’Armée nationale aux arrêts. L’ancien d’état major général des Armées, le général Da Souza limogé et nommé ambassadeur en Allemagne a été rappelé et mis à la retraite d’office. Le dialogue entre l’opposition et le pouvoir est bloqué. Tels sont les éléments d’une situation politique bloquée où l’intrigue et la méfiance dominent. »

C’est cette situation politique d’ensemble qui a prévalu pendant toute l’année 1989, elle s’est, en réalité, installée dans le pays, dès l’arrestation des principaux responsables de l’opposition, le lendemain des scrutins du 28 février 1988.
Diakhaté se souvient de cette folle journée du mardi 14 mars 1988 :
« Me Wade venait de tout annuler. Je savais que le Ps n’était pas sérieux dans ses propositions. Je pensais également que le « Vieux » était trop crédule pour croire encore aux engagements des socialistes. Je n’étais pas d’accord avec l’annulation de l’accueil. J’étais personnellement convaincu que c’était l’assaut final. De toutes les façons, ce jour-là, si l’accueil avait été maintenu, il y aurait eu beaucoup de morts. 1988 fut une année particulière. Les jeunes voulaient le changement. Nous étions jeunes. C’était comme çà. Je me souviens de toutes les péripéties. Quand j’y pense, il y a une sorte de mélancolie qui m’habite. Il y a des étapes et des séquences dans le combat engagé qui m’ont particulièrement marqué. Il en est ainsi de ce rassemblement de Colobane. C’était juste quelques jours après la sortie de prison de Wade. Ils étaient tous là. Nombreux : Ablaye Faye, Ousmane Ngom, Boubacar Sall. Lui, « le Vieux », avait appelé à un rassemblement à leur siège à Colobane. Mais les forces de l’ordre avaient dispersé la manifestation ».

Pape Ibrahima Diakhaté parle de ces événements avec beaucoup d’émotion. Il n’arrête pas et le film qu’il en déroule est, à tous points de vue, hallucinant. C’est lui qui apprécie.

« Vous accepterez et comprendrez que je vous dise que ce fut exaltant pour un jeune de mon âge de participer à l’époque aux événements. En 1988, quand le Vieux a été arrêté et à la veille de son jugement… Nous allions souvent aux abords du tribunal et il y avait toujours des lacrymogènes. Cela m’excitait beaucoup, en définitive. Nous avions dans nos équipes d’intervention, des gens très motivés. Certains menaient des actions parallèles.
Je me souviens d’un monsieur monsieur qu’on appelait King. C’était un homme déterminé que le « Vieux », je crois, gérait lui-même. Il était surtout spécialisé dans le plastiquage des centraux téléphoniques de la Sonatel. Il procédait en enroulant d’abord des pneumatiques autour des grappes de files se trouvant dans ces centraux, pour esnuite y mettre le feu ou de la dynamite.
Quand le Vieux a retrouvé sa liberté, il nous a fait appeler. C’est Mody Sy, qui nous a conduits chez lui. Arrivés là, et ce que je vais te dire est très important, nous l’avons trouvé dans la cour. Il y avait un chien. Il y avait Ousmane Ngom, actuel ministre de l’Intérieur Mody Sy, Clédor, Ameth Guèye et moi et nous discutions. Il nous prenait pour des militants et s’adresse à moi en disant me reconnaître. Je lui fais comprendre que je n’en suis pas un. Je lui explique que nous étions présents, à côté de lui, lors de son meeting de clôture, peut-être qu’il m’avait vu là-bas. Il nous mit en garde contre Landing Savané. Il ne fallait pas qu’il entre en contact avec nous, sous le prétexte que lui c’est un communiste. . Landing savané croyait et sen était ouvert à lui, que les militants du Pds étaient les auteurs des casses et des attentats à la voiture piégée. Lui, c’est un démocrate et Landing est un communiste. Tout en riant il nous dit : [j’ai expliqué à Landing que ces méthodes insurrectionnelles sont celles des communistes, les militants libéraux démocratiques étaient donc hors de cause.] Il nous conseilla de rester un groupe soudé et de ne pas l’élargir et d’éviter tout contact avec les amis de Landing. Il nous l’a dit devant Ousmane Ngom et devant tous ceux que j’ai cités tantôt. . Landing m’a demandé si vous étiez mes militants. Cette phrase il nous: [il faut être vigilants et ne pas être en contact avec Landing qui cherche à connaître les auteurs des attentats]. Puis, il se lève, part et revient et nous remet une enveloppe de 200 000 francs »

Les souvenirs de Pape Ibrahima Diakhaté sont vivaces dans sa mémoire. Il ne n’arrête pas et se montre même bavard, comme si quelque part, l’homme voulait vider son sac, pour se délester d’un poids étouffant.

« Mes gars ont été arrêtés en janvier 1989, mais avant cela, Mody Sy nous avait fait des cadeaux. C’était des blousons. Il m’avait offert une moto. Le Vieux lui avait remis de l’argent pour la payer, j’ignore le montant.»


Les violences de 1988 avaient été le fait de jeunes « qui construisaient avec le désespoir, alors que Mai 68 s’était écrit avec des utopies », pour reprendre la formule des confrères Kassé et Camara. A l’arrivée, ce ras-le-bol conduit, dans la nuit du 3 au 4 mai 1988, à une explosion à Dieuppeul, le premier d’une série d’attentats. Dans la même nuit, une conduite d’eau, située à Dalifort est détruite. Le théâtre des opérations se déplace ensuite vers Pout et Ngekokh, où les bâtiments de la sous-préfecture sont incendiés dans la nuit du 5 au 6 mai.

Au soir du 8 mai, une autre voiture explose à la Gueule Tapée. Cette explosion, révèle Pape Ibrahima Diakhaté, avait endommagé - ironie du sort - la voiture de l’épouse de Ousmane Ngom. Dans la même soirée, une tentative d’attentat avait échoué au centre-ville de Dakar, indique Pape Ibrahima Diakhaté qui ajoute : « C’était du fait de Pape Samba Mboup et de Cheikh Touré ».

Ces derniers explique Diakhaté essayaient ainsi de prouver, soutient Diakhaté, qui explique également, avec une pointe d’ironie et un brin d’humour :

« Pape Samba Mboup avait été mis en relation avec Ousmane Sène. Cheikh Touré, également. Ces deux hommes sont venus, un jour, nous annoncer qu’ils allaient tenter une opération en ville. Ils sont venus dans la voiture de Cheikh Touré. Ce dernier logeait, je crois à l’époque aux Hlm. C’est le même Cheikh Touré qui était au Cosec. Ils sont allés en ville. Au moment de passer à l’action ils ont eu vent de l’attentat que nous avions commis à la Gueule Tapée. Ils ont pris peur et sont revenus très vite au quartier général, chez maître Wade, précisément. Je suis sûr que ce sont les indiscrétions de ces peureux et la forfaiture de « Pa Ndao », cette taupe de la police, qui ont conduit, en janvier 1989, mes gars en prison. Quand je les vois se donner des airs dans le pouvoir et un semblant de respectabilité, j’ai envie de vomir. Je suis dégoûté…»

Et Pape Ibrahima d’ajouter en riant aux éclats :

« Quand Cheikh Touré et Mboup sont venus nous voir, ils ne représentaient rien du tout à l’époque. Ils passaient leur temps, à la Cité Marine, chez Mère Tchoumbé. Feue Mère Tchoumbé, je dis bien. On leur avait remis des explosifs. Ils voulaient prouver quelque chose. Autre précision : on m’entendrait parler, on ne penserait pas que… J’ai des parents qui ne veulent plus que je parle de ces affaires-là »
Les deux attentats commis dans la nuit du 8 mai 19989, ont été revendiqués dans les rédactions par un mystérieux « Mouvement de résistance du 29 février » (date de l’arrestation de Me Abdoulaye Wade). Avant que les amis de Diakhaté n’aillent en prison, des actions de sabotage de la radio et de la télévision d’Etat ont été envisagées. Il s’en souvient dans les moindres détails :

« En nous parlant, le Vieux a dit, que si çà ne tenait qu’à lui, la radio et la télévision seraient aphones. Parce qu’elles étaient les relais du Parti socialiste. Il était question que nous sabotions les émetteurs de Yeumbeul et toutes les machines qui relayent les signaux des média d’Etat. »

Un commando devait être constitué pour saboter le car de reportage qui était toujours stationné derrière l’ancienne Maison de la Radio Télévision du Sénégal.

« C’est Mody Sy qui devait nous aider à préparer l’opération que nous savions très risquée. Un jour il nous a dit : [ Il y a une voiture, en fait, un car qui est toujours stationné derrière la Rts, il parait que cette voiture, est un relais important de diffusion]. Je m’étais énervé quand je l’ai entendu parler. Nous estimions que opération était impossible à tenter, à moins que nous ayons du bon matériel, que nous commandions à distance ».

Finalement, Pape Ibrahima Diakhaté et ses amis ne tentent pas l’opération. Elle était de toutes les manières très risquée. « Mody Sy se proposait de nous fournir le matériel commandé à distance. Nous avions longuement discuté de cette affaire chez Me qui avait soutenu Certains avaient émis l’idée de balancer une roquette sur le car. Après j’ai dit à mes gars, que le Vieux voulait nous sacrifier. Il ne nous en a plus reparlé. Quelques temps après, il est parti en France. Mais avant çà, sommes allés avec Mody Sy, vers Rufisque, à Yeumbeul, à bord de son propre véhicule. Il y avait Clédo et moi-même. Arrivés là, il nous montre les antennes et nous dit, que si elles sont détruites, la Rts ne diffuse plus. »


Après l’abandon de l’idée de détruire le car, la destruction des émetteurs de Yeumbeul et le sabotage de la station terrienne de Gandoul, a été envisagée. Elle n’a jamais été exécutée. C’est après que Pape Ibrahima Diakhaté, Ousmane Sène « Tenace » et Clédor Sène, ont alors pris le chemin de Mbour, à destination de Nguékokh, pour déplacer les casses à l’extérieur de Dakar. Pape Ibrahima Diakhaté témoigne :

« Nous sommes passés d’abord à Gandoul mais l’opération a foiré. Je garde encore pour souvenir des débris des détonateurs que nous avions. J’ai été touché par des éclats. Clédor aussi. C’était quand nous étions en train de vérifier, au retour de mission, les systèmes de mise à feu. Là, je me suis rendu compte que les fils étaient coupés à l’intérieur des explosifs. C’est en ce moment même que Clédor et moi avions été touchés, c’était chez lui, je garde encore les marques de cette blessure ». Là, il retrousse machinalement les manches de sa chemise et montre des cicatrices

Ouverte de façon tourmentée avec l’organisation des élections générales de février, l’année 1988 s’achève de façon violente avec des attentats à la voiture piégée qui ont rythmé le mois de décembre et les arrestations consécutives de certains responsables du Pds.

1989 annonce la tenue à Dakar de la Conférence au sommet des pays membres de la Francophonie. Certains responsables socialistes de l’époque étaient convaincus que le Pds et ses dirigeants voulaient se donner les moyens et asseoir des conditions qui empêchent la tenue de cette conférence. Car, si elle était effective, consacrerait la reconnaissance officielle des résultats des élections de l988, par la communauté internationale.

En réalité, cette reconnaissance a été déjà consacrée. Mais la tenue à Dakar, du sommet prouvera au monde et à la France, en particulier, que le Sénégal vit un contexte de stabilité politique remarquable et conduit une démocratie apaisée, dont les fondements sont solides. «
Aussi, en désespoir de cause, le Pds cherchaient à obtenir et à justifier, éventuellement, la nécessité de convoquer au Sénégal, une Conférence nationale souveraine, en vue de mettre en place un gouvernement d’union nationale de transition. A défaut, favoriser la tenue d’une concertation nationale qui conduirait au même résultat. Les attentats à la voiture piégée ont échoué. Les fauteurs de troubles sont arrêtés. Les casses dans les rues, les violences n’ont pas pu aider dans la volonté de forcer le destin du pays. Diakhaté explique :
« A l’époque, on s’apprêtait à organiser le sommet de la Francophonie à Dakar. Le Vieux était parti en France. Mody Sy qui l’avait précédé à ,Paris revient à Dakar, quelques jours après le départ du Vieux. Il nous a réunis dès son arrivée. Et il nous a dit qu’il fallait qu’on agisse coûte que coûte, avant la Francophonie. Mais çà, le Vieux nous en avait déjà parlé. C’était avant qu’il ne parte en France. Mody Sy est revenu là-dessus en nous disant, que de cette façon, le Sommet de la Francophonie n’aurait plus lieu à Dakar. C’est plus tard que nous avons compris que Mody Sy avait détourné l’argent que lui avait remis pour nous, Abdoulaye Wade. C’était un montant de deux millions. Nous avons été mis au courant après le retour de Me Wade. C’était au mois de mars 1989, moins de six mois avant la tenue de la Conférence au sommet de la Francophonie. C’est à cause de son comportement, de ce détournement, que mon ami Clédor Sène l’a cité dans l’affaire Me Sèye, dès qu’il a été arrêté. Je dois avouer que Mody Sy n’avait rien à voir avec ce complot, sauf d’avoir subi la colère de Clédor. C’était un règlement de comptes. Depuis fort longtemps, le Vieux nous avait fait comprendre qu’on pouvait empêcher la tenue du sommet de la Francophonie, en organisant des troubles, en nous en prenant, au besoin et physiquement à des ressortissants europeens résidant eu Sénégal. »
Un ancien officier de la police nationale explique, à ce sujet :
« Nous avions reçu des informations probantes de nos collègues français, en 1988 et au début de 1989. Ceu-là nous avaient indiqué dans une note verbale, qu’il était fortement probable qu’il y ait de graves attentats sur des ressortissants europeens au Sénégal. La même note ajoutait, également, que des troubles graves pouvaient secouer le pays avec l’appui d’organisations terroristes internationales sous la coupe de la Libye. »
Une coïncidence troublante interient : le 19 février 1989, Ameth Khalifa Niasse de retour de Lybie est arrêté avec deux ressortissants de ce pays qui ont débarqué avec lui . Ils sont tous trois inculpés d’un délit passible de trois à cinq ans de prison : « ils auraient entrepris des actes et des manœuvres susceptibles de porter atteinte à la sécurité intérieure du pays. »
La presse révèle, cependant, que Ameth Khalifa Niasse avait fait le voyage de Tripoli à Dakar, via Cotonou avec un titre de transport payé par un bon émis par la Présidence de la République du Sénégal, auprès de la défunte compagnie multinationale Air Afrique. L’ex-épouse du numéro deux de l’époque du Pds, Ousmane Ngom est accusée d’avoir vendu la méche. Elle est immédiatement licenciée de la compagnie. Sa hiérarchie l’accuse d’avoir favorisé la fuite qui at permis à la presse, de se saisir du bon de commande. Madame Sophie Ngom et un autre employé de la compagnie, El Hadji Bitèye, décédé au mois de janvier 2005, perdent ainsi leur emploi.
Ameth Khalifa Niasse et les deux libyens sont libérés au mois de mai 1989. Ils n’ont jamais été jugés. Cette affaire semble ainsi corroborer les propos de Pape Ibrahima Diakhaté concernant les troubles prévus à Dakar, quelques mois avant la tenue du Sommet de la Francophonie.
Les événements de 1988 hantent Pape Ibrahima Diakhaté. Il s’en souvient de beaucoup de faits et détails. Il lui arrive parfois de fouiller dans une masse de papiers lui servant « d’archives » pour préciser certains points de son récit.
Pape Ibrahima ne décoloère pas contre les premiers responsables, en mesurant les risques qu’ils lui faisaient prendre à l’époque. Il laisse éclater sa colère :
« Ma rage contre ces gens-là déculpe quand je revois encore tous les risques que nous prenions à l’époque. J’avais fait don de ma personne à Abdoulaye Wade et à la cause qu’il défendait. Tenez, un exemple encore : il y a une autre voiture que nous avions piégée, aux abords des Chèques postaux à Dakar. En plein jour. Pour étonner et narguer encore plus le pouvoir. Nous avons installé l’explosif sous la voiture. Peu après son propriétaire s’est dirigé vers le véhicule. J’ai pris le risque, quand je l’ai vu, de désinstaller le dispositif qui devait exploser au démarrage de la voiture. Le propriétaire était surpris de me voir sous la voiture. Nous ne voulions pas qu’il y ait mort d’homme. Je te dis çà, pour que les gens sachent que nous avions toutes nos facultés mentales. La chose a failli détonner. J’ai pris le risque, parce que c’est moi qui m’y connaissais le mieux en explosif. Je l’avais fait en plein jour, aux abords des Chèques postaux. Nous prenions toujours la précaution de choisir un endroit très peu fréquenté, pour poser les bombes. Arrivés là, nous avons choisi cet endroit. Nous nous étions trompés sur le calme de cette rue-là. A notre arrivée, il n’y avait personne. Nous avons installé l’explosif. Mais tout d’un coup, nous étions gênés par des passants, à intervalles réguliers. Nous nous sommes dit qu’il fallait désinstaller et chercher ailleurs. C’est à ce moment que le propriétaire de la voiture est sorti et s’est avancé vers sa voiture. C’était une voiture immatriculée SO. A l’époque, les voitures de l’Etat étaient immatriculées comme çà. SO. Nous ne voulions pas qu’il y ait mort d’homme. Et il y a beaucoup, beaucoup d’autres choses que nous avions refusé de faire».

Senegal Leral






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