Tous sont, finalement, arrêtés. Diakhaté, lui, échappe miraculeusment à la prison. Il pense à ses amis et souhaite tous les jours leur libération. L’acalmie notée dans le cycle infernal de violence, les nouvelles retrouvailles qui se dessinent entre les combattants ouvre de bonnes perspectives et lui donne de bonnes raisons d’espérer, même si au fond de lui-même la réconciliation envisagée entre le Ps et le Pds ne l’enchante guère.
Le climat politique de 1988 s’est éloigné. Abdoulaye Wade et le Pds prennent une décision historique. Les responsables du Pds sont en fait vaincus et en attendant de prendre leur revanche, ils rejoignent l’ennemi, en décidant d’entrer dans un gouvernement socialiste, baptisé pour la circonstance gouvernement majorité présidentielle élargie (Gmpe).
Le départ de Jean Collin intervenue un an, auparavant, le 30 mars 1990, précisément, a, sans aucun doute, permis le rapprochement entre Diouf. Et Wade. Dakar a fini de flamber. C’est la paix des braves. Le Pds et le Ps décident de fumer le calumet de la paix. Pour combien de temps ?
Ainsi, le 7 avril 1991, Abdou Diouf rappelle aux affaires son ami de toujours Habib Thiam et lui confie le poste de Premier ministre. Disparue en 1983, la fonction réapparaît dans l’armature institutionnelle à la faveur d’une réforme constitutionnelle. Personne ne s’attendait au retour de l’ancien premier ministre. Sauf lui et son ami. Derrière ce retour, il y avait, sûrement, un calcul fait en fonction de la nouvelle donne politique.
En effet, Habib Thiam doit prendre en charge, la formation d’une équipe gouvernementale, au sein de laquelle, désormais, siégent Abdoulaye Wade et trois autres ministres de son parti. Habib Thiam est là pour rassurer son ami Abdou Diouf. Il est aussi là, pour contrebalancer dans l’équipe gouvernementale le poids lourd que constitue Abdoulaye Wade. Diouf veut éviter un face-à-face direct avec son ministre d’Etat et lui trouve, en la personne du premier Habib Thiam, un vis-à-vis direct, pour contraindre, à chaque fois que de besoin, ses vélléités oppositionnelles au sein de l’équipe gouvernementale.
Il s’y emploie, avec une rare efficacité. Il a l’habitude des joutes et des passes d’armes épiques avec un adversaire bien connu, en l’occurrence Abdoualye wade. Dans les années 70, les deux personnes animaient remarquablement les débats parlementaires avec beaucoup de passion, de talent et de conviction. Habib Thiam assume les charges de Président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, dès la mise en place de la législature de 1978, alors que Abdoujlaye Wade incarne, avec parfois une certaine morgue condescendante, son nouveau statut de chef de l’opposition parlementaire.
Cette nouvelle législature consacre au Sénégal le retour du débat multipartisan et contradictoire. Habib Thiam connait un retour à la politique active et au premier plan, après un purgatoire que lui avait imposé son congédiement du gouvernement en 1973. Il tient à ses nouvelles fonctions et entend briller devant un adversaire que le Président Senghor a toujours considéré comme un homme rusé. Mettre à l’épreuve cet adversaire, le prendre à défaut sur le terrain du débat démocratique, apparaissait comme un formidable challenge pour tous les cadres socialistes de l’époque. Ainsi naquirent une inimitié et une une sorte d’animosité entre les deux hommes qui « s’affrontèrent » sans répit pendant cinq ans à l’Assemblée nationale.
Abdoulaye Wade joue un rôle essentiel dans les débats et est admirablement soutenu en cela, sur les través de l’hémicycle par feu Fara Ndiaye, Président du groupe libéral. Ils peuvent aussi compter sur le concours brillant d’un jeune parlementaire débutant Serigne Diop. Habib Thiam et ses camarades leur opposent durant toute la législature plus qu’une résistance. Ils répliquent avec talent aux attaques politiques et aux charges libérales critiques et documentées que nous font regretter les ternes prestations actuelles des députés, celles des parlementaires libéraux en particulier.
Un tel passé avait fini par cristalliser chez l’un et chez l’autre une sorte de rivalité, un antagonisme réel, si bien qu’au moment de la constitiution de la nouvelle équipe gouvernementale le retour de Habib Thiam aux affaires avait été analysé comme un défi lancé par Diouf à l’orgueil de Me Wade, son nouvel allié.
Il n’empêche, en dépit de toutes ces considérations politiques ou politiciennes, susceptible d’expliquer ou de justifier une éventuelle cohabitation heurtée entre Habib Thiam et Abdoulaye Wade, la mise en place de de la nouvelle équipe conduira à une sorte de trêve, en 1991 et pendant même toute l’année 1992. Cette période favorisera la naissance d’un climat politique, ayant permis aux hommes politiques de s’accorder sur les conditions d’un dialogue national qui permit la mise en place de la commission cellulaire nationale qui accouchera du fameux code électoral consensuel adopté en 1992. C’était au moins cela de gagné dans la trêve et dans les retrouvailles entre Wade et Diouf.
Tous cet acquis Pape Ibrahima Diakhaté, apparement, n’en avait cure. Ce n’était pas cela son objectif de « sa lutte. » Ce résultat minimaliste le révoltait. C’est le temps des regrets. Désabusé, l’homme évoque ses souvenirs avec beaucoup de peines. Il n’avait pas apprécié la cohabitation avec les socialistes et l’avait signifié à qui de droit :
« J’étais tout à fait excité à l’idée de connaître physiquement l’homme Abdoulaye Wade et de traiter avec lui. Ce fut un bonheur complet pour moi. C’est à cette période, en 1988, que nous avons connu et fréquenté Abdoulaye Wade. Nous avons surtout travaillé ensemble à cette période par l’intermédiaire de Mody Sy, Ablaye Faye et Modou Kâ. Quand il discutait avec nous, il se comportait comme un père. C’était comme un père et ses enfants. Il ne nous cachait rien. Il nous racontait tout. C’est cela que je croyais. Quand il entrait dans le gouvernement de Diouf, je n’avais pas compris sa logique et sa démarche. A sa sortie, il venait juste de démissionner du gouvernement, avant l’élection présidentielle de février 1993, je lui dis: [je suis étonné. Tu nous dis que tu n’aimes pas Abdou Diouf, et tu as fais partie de son gouvernement. Si tu es contre, tu l’es totalement. Il ne faut pas dire que tu entres au gouvernement pour travailler pour le pays ]. Je lui parlais ainsi, parce que on avait beaucoup fait en 1988. On y croyait. Sa volte-face nous étonnait beaucoup. Nous nous étions battus à notre manière pour qu’il soit au pouvoir, mais pas pour y participer sous quelque forme que ce soit. Et lui, quelques temps après, il entre au gouvernement. Je lui ai dit ce que je pensais. Il n’a rien dit. »
Avant que Me Wade n’entre au gouvernement, Pape Ibrahima Diakhaté le rencontre à son domicile, pour plaider le dossier de ses amis emprisonnés. Il est contre son entrée dans le gouvernement, mais voulait que cette entrée profite au moins à ses amis. Il s’en ouvre à Abdoulaye Wade et l’échange engagé entre les deux hommes prouve un haut degré de complicité entre eux à l’époque :
« Mes gars se battaient pour toi et ils sont emprisonnés. Toi, tu es libre et tu vas entrer dans le gouvernement de Diouf. Il faut faire quelque chose avec tes journalistes du Témoin.»
Wade répond :
- Est-ce que tu as lu le Témoin ?
- Non
- Cela va s’arranger.
Cette rencontre était l’une des toutes permières que Me wade a eue avec Pape Ibrahima Diakhaté, depuis que tous les amis du jeune graçon ont été arrêtés. Elle s’est déroulée en présence de feu Ismaïla Mbaye.
« Cette rencontre a eu lieu la période où Feu Ismaïla Mbaye commençait à fréquenter le Vieux. Je les ai trouvés ensemble quand je suis venu parler à Maître. On n’habitait pas le même quartier mais je le connaissais par nos fréquentations communes à l’époque. Il y a une autre personne qui était présente ce jour-là et qui n’ignorait rien des choses. C’est Meïssa Sall. Je me planquais, je rappelle à l’extérieur à des endroits différents à l’intérieur du pays. Je descendais à Dakar et je passais la nuit à Derklé. Je me souviens avoir passé la nuit du 4 avril 1991 à Dakar. J’ai lu à l’époque un article dans un journal qui rendait compte des chefs d’inculpation retenus contre mes gars : atteinte à la sûreté de l’Etat. Quand je l’ai lu, je me suis dit que c’est grave. J’avais alors décidé de disparaître. Je venais de me rendre compte que le Vieux nous avait gonflé à bloc et nous avait trompé. Il nous avait manipulé. Voilà. Il est entré dans le gouvernement le 7 avril 1991. Ce jour-là je me suis senti trahi. Avec le recul, je regrette au plus profond de moi mes actes. »
Pape Ibrahima Diakhaté est un homme pris par le remords, traumatisé par l’idée de devoir rendre compte un jour de tous ses actes liés à ses activités politiques au « Tout puisant ». Dieu le miséricordieux, comme il dit, lui-même. Tout en plaidant coupable, il demande qu’on lui accorde de larges circonstances atténuantes. A ceux qui lui demandent de se taire, il répond non et se justifie :
« Je regrette tout ce que j’ai fait et aidé à faire. Vraiment et sincèrement ! J’aurais pu rester dans mon coin. Le pays serait maintenu dans l’ignorance totale à propos de événements de 1988. Pour ces événements comme pour l’affaire Me Sèye, j’ai décidé de parler pour témoigner devant l’histoire.
Voilà. Il y a des gens, des parents, des amis qui m’ont demandé de me taire et de laisser les choses en l’état. D’autres s’inquiètent pour moi et craignent pour ma vie. Ils ont peur que je ne sois assassiné. Tous me disent : [c’est un Etat, ils ont des moyens infinis].
Et moi, je réponds toujours : [quand le Vieux nous faisait faire, quand on se battait pour le lui, il y avait aussi en face un Etat très fort et nous n’avions pas peur, alors que nous avions tort d’agir, comme il nous le demandait de le faire. Aujourd’hui que j’ai des de bonnes raisons de parler, pourquoi alors me taire maintenant que je veux dire la vérité ? Je ne vois pas pourquoi je devrais avoir peur de la vérité et me laisser effrayer sur le chemin y conduisant. Je ne me tairai pas. Qu’ils agissent contre moi, si ce sont eux qui décident à la place de Dieu. Je sais qu’ils peuvent être tentés de faire, car ils ne croient pas en Dieu et n’ont aucune humanité. »
Loin de se démonter devant ses parents et ses amis qui lui demandent de se taire, Pape Ibrahima Diakhaté se montre plus déterminé que jamais. Et un brin philosophe, dans le propos, il s’explique :
« De toutes les façons et en tout état de cause, hier, nous avions pris des risques. Aujourd’hui aussi, je prends des risques en expliquant et en révélant ce que je sais. S’ils croient que c’est parce qu’ils sont au pouvoir, que la gendarmerie leur appartient ou bien ils peuvent agresser et assassiner impunément, quand cela leur plait, ou tuer comme ils ont tenté de le faire avec certains, ils se trompent. Dieu ne sera jamais avec les mécréants »
En prison, Pape Ibrahima Diakhaté révèle avoir beaucoup réfléchi et médité ses actes. Son incarcération en a fait un autre homme, soutient-il. La prison, disons, a été, d’une certaine façon, salutaire pour lui. C’est l’une des fonctions que la socité lui assigne sans qu’elle n’y arrive toujours Diakhaté jure que si dans son cas. Tant mieux alors pour lui, pour sa femme, pour ses enfants et pour la société à qui il a déjà payé neuf ans de « sa jeunesse confisquée. » Comme dans une sorte de confession, il demande à être cru:
« Je regrette amèrement et profondément. Je ne suis pas un militant du Pds. Nous avons agi, parce que le Vieux nous avait convaincus de le faire. Nous le croyions. Nous ne croyions qu’en lui. Comme un marabout et ses talibés. C’est en prison que j’ai commencé à réfléchir. Je me suis dit : [Les Mody Sy, Ablaye Faye et autres, j’ai, aujourd’hui, pour eux un sentiment de haine. Ces gens là sont des pères, ils ont des, frères, des enfants et d’autres connaissances, à qui ils n’ont pas fait prendre les risques qu’ils nous avaient incités à prendre]. Eux-mêmes n’ont jamais pris de risques sinon celui d’avoir jeté des enfants dans la rue. Aucun risque. C’est à nous qu’ils se sont adressés. Ils n’osent plus me demander de faire quoi que ce soit de mal. Mais dit comme cela, on peut me répliquer : [ Vous étiez assez gaillards à l’époque. Vous pouviez refuser]. Mais nous n’étions pas mâtures, nous n’étions pas mûrs. Nous étions tous tombés dans le piège. Si j’étais capable à l’époque de réfléchir comme je le fais aujourd’hui, c’est moi, qui conduirais directement à la police, par le collet, la personne qui serait venue me faire des propositions, comme celles qui ont conduit aux voitures piégées de 1988 et à l’assassinat de Me Sèye, en 1993. Personne n’ose plus rien me demander. Nous voulons vivre bien, autant qu’eux-mêmes. »
Le climat politique de 1988 s’est éloigné. Abdoulaye Wade et le Pds prennent une décision historique. Les responsables du Pds sont en fait vaincus et en attendant de prendre leur revanche, ils rejoignent l’ennemi, en décidant d’entrer dans un gouvernement socialiste, baptisé pour la circonstance gouvernement majorité présidentielle élargie (Gmpe).
Le départ de Jean Collin intervenue un an, auparavant, le 30 mars 1990, précisément, a, sans aucun doute, permis le rapprochement entre Diouf. Et Wade. Dakar a fini de flamber. C’est la paix des braves. Le Pds et le Ps décident de fumer le calumet de la paix. Pour combien de temps ?
Ainsi, le 7 avril 1991, Abdou Diouf rappelle aux affaires son ami de toujours Habib Thiam et lui confie le poste de Premier ministre. Disparue en 1983, la fonction réapparaît dans l’armature institutionnelle à la faveur d’une réforme constitutionnelle. Personne ne s’attendait au retour de l’ancien premier ministre. Sauf lui et son ami. Derrière ce retour, il y avait, sûrement, un calcul fait en fonction de la nouvelle donne politique.
En effet, Habib Thiam doit prendre en charge, la formation d’une équipe gouvernementale, au sein de laquelle, désormais, siégent Abdoulaye Wade et trois autres ministres de son parti. Habib Thiam est là pour rassurer son ami Abdou Diouf. Il est aussi là, pour contrebalancer dans l’équipe gouvernementale le poids lourd que constitue Abdoulaye Wade. Diouf veut éviter un face-à-face direct avec son ministre d’Etat et lui trouve, en la personne du premier Habib Thiam, un vis-à-vis direct, pour contraindre, à chaque fois que de besoin, ses vélléités oppositionnelles au sein de l’équipe gouvernementale.
Il s’y emploie, avec une rare efficacité. Il a l’habitude des joutes et des passes d’armes épiques avec un adversaire bien connu, en l’occurrence Abdoualye wade. Dans les années 70, les deux personnes animaient remarquablement les débats parlementaires avec beaucoup de passion, de talent et de conviction. Habib Thiam assume les charges de Président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, dès la mise en place de la législature de 1978, alors que Abdoujlaye Wade incarne, avec parfois une certaine morgue condescendante, son nouveau statut de chef de l’opposition parlementaire.
Cette nouvelle législature consacre au Sénégal le retour du débat multipartisan et contradictoire. Habib Thiam connait un retour à la politique active et au premier plan, après un purgatoire que lui avait imposé son congédiement du gouvernement en 1973. Il tient à ses nouvelles fonctions et entend briller devant un adversaire que le Président Senghor a toujours considéré comme un homme rusé. Mettre à l’épreuve cet adversaire, le prendre à défaut sur le terrain du débat démocratique, apparaissait comme un formidable challenge pour tous les cadres socialistes de l’époque. Ainsi naquirent une inimitié et une une sorte d’animosité entre les deux hommes qui « s’affrontèrent » sans répit pendant cinq ans à l’Assemblée nationale.
Abdoulaye Wade joue un rôle essentiel dans les débats et est admirablement soutenu en cela, sur les través de l’hémicycle par feu Fara Ndiaye, Président du groupe libéral. Ils peuvent aussi compter sur le concours brillant d’un jeune parlementaire débutant Serigne Diop. Habib Thiam et ses camarades leur opposent durant toute la législature plus qu’une résistance. Ils répliquent avec talent aux attaques politiques et aux charges libérales critiques et documentées que nous font regretter les ternes prestations actuelles des députés, celles des parlementaires libéraux en particulier.
Un tel passé avait fini par cristalliser chez l’un et chez l’autre une sorte de rivalité, un antagonisme réel, si bien qu’au moment de la constitiution de la nouvelle équipe gouvernementale le retour de Habib Thiam aux affaires avait été analysé comme un défi lancé par Diouf à l’orgueil de Me Wade, son nouvel allié.
Il n’empêche, en dépit de toutes ces considérations politiques ou politiciennes, susceptible d’expliquer ou de justifier une éventuelle cohabitation heurtée entre Habib Thiam et Abdoulaye Wade, la mise en place de de la nouvelle équipe conduira à une sorte de trêve, en 1991 et pendant même toute l’année 1992. Cette période favorisera la naissance d’un climat politique, ayant permis aux hommes politiques de s’accorder sur les conditions d’un dialogue national qui permit la mise en place de la commission cellulaire nationale qui accouchera du fameux code électoral consensuel adopté en 1992. C’était au moins cela de gagné dans la trêve et dans les retrouvailles entre Wade et Diouf.
Tous cet acquis Pape Ibrahima Diakhaté, apparement, n’en avait cure. Ce n’était pas cela son objectif de « sa lutte. » Ce résultat minimaliste le révoltait. C’est le temps des regrets. Désabusé, l’homme évoque ses souvenirs avec beaucoup de peines. Il n’avait pas apprécié la cohabitation avec les socialistes et l’avait signifié à qui de droit :
« J’étais tout à fait excité à l’idée de connaître physiquement l’homme Abdoulaye Wade et de traiter avec lui. Ce fut un bonheur complet pour moi. C’est à cette période, en 1988, que nous avons connu et fréquenté Abdoulaye Wade. Nous avons surtout travaillé ensemble à cette période par l’intermédiaire de Mody Sy, Ablaye Faye et Modou Kâ. Quand il discutait avec nous, il se comportait comme un père. C’était comme un père et ses enfants. Il ne nous cachait rien. Il nous racontait tout. C’est cela que je croyais. Quand il entrait dans le gouvernement de Diouf, je n’avais pas compris sa logique et sa démarche. A sa sortie, il venait juste de démissionner du gouvernement, avant l’élection présidentielle de février 1993, je lui dis: [je suis étonné. Tu nous dis que tu n’aimes pas Abdou Diouf, et tu as fais partie de son gouvernement. Si tu es contre, tu l’es totalement. Il ne faut pas dire que tu entres au gouvernement pour travailler pour le pays ]. Je lui parlais ainsi, parce que on avait beaucoup fait en 1988. On y croyait. Sa volte-face nous étonnait beaucoup. Nous nous étions battus à notre manière pour qu’il soit au pouvoir, mais pas pour y participer sous quelque forme que ce soit. Et lui, quelques temps après, il entre au gouvernement. Je lui ai dit ce que je pensais. Il n’a rien dit. »
Avant que Me Wade n’entre au gouvernement, Pape Ibrahima Diakhaté le rencontre à son domicile, pour plaider le dossier de ses amis emprisonnés. Il est contre son entrée dans le gouvernement, mais voulait que cette entrée profite au moins à ses amis. Il s’en ouvre à Abdoulaye Wade et l’échange engagé entre les deux hommes prouve un haut degré de complicité entre eux à l’époque :
« Mes gars se battaient pour toi et ils sont emprisonnés. Toi, tu es libre et tu vas entrer dans le gouvernement de Diouf. Il faut faire quelque chose avec tes journalistes du Témoin.»
Wade répond :
- Est-ce que tu as lu le Témoin ?
- Non
- Cela va s’arranger.
Cette rencontre était l’une des toutes permières que Me wade a eue avec Pape Ibrahima Diakhaté, depuis que tous les amis du jeune graçon ont été arrêtés. Elle s’est déroulée en présence de feu Ismaïla Mbaye.
« Cette rencontre a eu lieu la période où Feu Ismaïla Mbaye commençait à fréquenter le Vieux. Je les ai trouvés ensemble quand je suis venu parler à Maître. On n’habitait pas le même quartier mais je le connaissais par nos fréquentations communes à l’époque. Il y a une autre personne qui était présente ce jour-là et qui n’ignorait rien des choses. C’est Meïssa Sall. Je me planquais, je rappelle à l’extérieur à des endroits différents à l’intérieur du pays. Je descendais à Dakar et je passais la nuit à Derklé. Je me souviens avoir passé la nuit du 4 avril 1991 à Dakar. J’ai lu à l’époque un article dans un journal qui rendait compte des chefs d’inculpation retenus contre mes gars : atteinte à la sûreté de l’Etat. Quand je l’ai lu, je me suis dit que c’est grave. J’avais alors décidé de disparaître. Je venais de me rendre compte que le Vieux nous avait gonflé à bloc et nous avait trompé. Il nous avait manipulé. Voilà. Il est entré dans le gouvernement le 7 avril 1991. Ce jour-là je me suis senti trahi. Avec le recul, je regrette au plus profond de moi mes actes. »
Pape Ibrahima Diakhaté est un homme pris par le remords, traumatisé par l’idée de devoir rendre compte un jour de tous ses actes liés à ses activités politiques au « Tout puisant ». Dieu le miséricordieux, comme il dit, lui-même. Tout en plaidant coupable, il demande qu’on lui accorde de larges circonstances atténuantes. A ceux qui lui demandent de se taire, il répond non et se justifie :
« Je regrette tout ce que j’ai fait et aidé à faire. Vraiment et sincèrement ! J’aurais pu rester dans mon coin. Le pays serait maintenu dans l’ignorance totale à propos de événements de 1988. Pour ces événements comme pour l’affaire Me Sèye, j’ai décidé de parler pour témoigner devant l’histoire.
Voilà. Il y a des gens, des parents, des amis qui m’ont demandé de me taire et de laisser les choses en l’état. D’autres s’inquiètent pour moi et craignent pour ma vie. Ils ont peur que je ne sois assassiné. Tous me disent : [c’est un Etat, ils ont des moyens infinis].
Et moi, je réponds toujours : [quand le Vieux nous faisait faire, quand on se battait pour le lui, il y avait aussi en face un Etat très fort et nous n’avions pas peur, alors que nous avions tort d’agir, comme il nous le demandait de le faire. Aujourd’hui que j’ai des de bonnes raisons de parler, pourquoi alors me taire maintenant que je veux dire la vérité ? Je ne vois pas pourquoi je devrais avoir peur de la vérité et me laisser effrayer sur le chemin y conduisant. Je ne me tairai pas. Qu’ils agissent contre moi, si ce sont eux qui décident à la place de Dieu. Je sais qu’ils peuvent être tentés de faire, car ils ne croient pas en Dieu et n’ont aucune humanité. »
Loin de se démonter devant ses parents et ses amis qui lui demandent de se taire, Pape Ibrahima Diakhaté se montre plus déterminé que jamais. Et un brin philosophe, dans le propos, il s’explique :
« De toutes les façons et en tout état de cause, hier, nous avions pris des risques. Aujourd’hui aussi, je prends des risques en expliquant et en révélant ce que je sais. S’ils croient que c’est parce qu’ils sont au pouvoir, que la gendarmerie leur appartient ou bien ils peuvent agresser et assassiner impunément, quand cela leur plait, ou tuer comme ils ont tenté de le faire avec certains, ils se trompent. Dieu ne sera jamais avec les mécréants »
En prison, Pape Ibrahima Diakhaté révèle avoir beaucoup réfléchi et médité ses actes. Son incarcération en a fait un autre homme, soutient-il. La prison, disons, a été, d’une certaine façon, salutaire pour lui. C’est l’une des fonctions que la socité lui assigne sans qu’elle n’y arrive toujours Diakhaté jure que si dans son cas. Tant mieux alors pour lui, pour sa femme, pour ses enfants et pour la société à qui il a déjà payé neuf ans de « sa jeunesse confisquée. » Comme dans une sorte de confession, il demande à être cru:
« Je regrette amèrement et profondément. Je ne suis pas un militant du Pds. Nous avons agi, parce que le Vieux nous avait convaincus de le faire. Nous le croyions. Nous ne croyions qu’en lui. Comme un marabout et ses talibés. C’est en prison que j’ai commencé à réfléchir. Je me suis dit : [Les Mody Sy, Ablaye Faye et autres, j’ai, aujourd’hui, pour eux un sentiment de haine. Ces gens là sont des pères, ils ont des, frères, des enfants et d’autres connaissances, à qui ils n’ont pas fait prendre les risques qu’ils nous avaient incités à prendre]. Eux-mêmes n’ont jamais pris de risques sinon celui d’avoir jeté des enfants dans la rue. Aucun risque. C’est à nous qu’ils se sont adressés. Ils n’osent plus me demander de faire quoi que ce soit de mal. Mais dit comme cela, on peut me répliquer : [ Vous étiez assez gaillards à l’époque. Vous pouviez refuser]. Mais nous n’étions pas mâtures, nous n’étions pas mûrs. Nous étions tous tombés dans le piège. Si j’étais capable à l’époque de réfléchir comme je le fais aujourd’hui, c’est moi, qui conduirais directement à la police, par le collet, la personne qui serait venue me faire des propositions, comme celles qui ont conduit aux voitures piégées de 1988 et à l’assassinat de Me Sèye, en 1993. Personne n’ose plus rien me demander. Nous voulons vivre bien, autant qu’eux-mêmes. »